02 juillet 2022
Mini-bangs dans KATRIN pour explorer le grand !
Mini-bangs dans KATRIN pour explorer le grand !

Vue du spectromètre de Katrin. © Markus Breig, KIT

Le fond cosmologique de neutrinos est une des prédictions du modèle cosmologique standard, mais il n'a jamais été observé directement. Ces neutrinos, dits « reliques », pourraient être capturés sur un noyau radioactif comme le tritium. Le taux de capture qui en résulte dépend de la densité locale de neutrinos reliques. Puisque les neutrinos massifs se laissent happer par le potentiel gravitationnel de notre galaxie et se regroupent localement, une modeste surdensité locale de neutrinos reliques devrait exister sur Terre. Des considérations plus exotiques pourraient conduire à des surdensités plus conséquentes. L'expérience KATRIN a publié en juin 2022 dans Physical Review Letters sa première recherche de neutrinos reliques basée sur l’analyse des données enregistrées en 2019.  L’analyse, menée par un physicien de l’Irfu, améliore de deux ordres de grandeur les limites précédentes.

 

Les neutrinos reliques 

Le modèle cosmologique standard prédit une forte abondance de neutrinos reliques produits aux premiers stades de l'évolution de l'Univers, environ une seconde après le Big-Bang. Ces neutrinos, qui sont à ce jour les particules de matière connues les plus abondantes dans l'Univers, ont depuis circulé librement pendant plus de 13 milliards d'années. Ils ont aujourd'hui une énergie d'environ un millième d’électron-volt et une densité moyenne de 336 par centimètre cube. Nous n'avons que des preuves indirectes de leur existence, à partir du fait que le caractère ultra-relativiste des neutrinos lors de leur découplage avec le reste de l’Univers influence la densité d'énergie du rayonnement dans l'Univers primordial. La présence de ces particules ultra-relativistes est attestée expérimentalement par l'observation précise des anisotropies du fond diffus cosmologique par le satellite Planck. Il s'agit d'une confirmation indirecte, quoique très solide, de l'existence de particules ultra-relativistes dans l'univers primitif. Néanmoins, seule une détection directe des neutrinos reliques nous assurerait que ces particules sont bien les neutrinos du modèle standard. Cette observation permettrait aussi de repousser la limite temporelle d’observation du Big-Bang à quelques secondes (voir figure 1), avec peut-être des surprises à la clef.

 
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Figure 1 : Résumé de l'histoire de l'Univers sur près de 14 milliards d'années, montrant notamment la formation de la lumière et de la matière et l'émission du fond diffus de neutrinos cosmiques environ une seconde après le Big-Bang. © ESA.

L’expérience KATRIN

L'expérience internationale KATRIN, qui rassemble 20 laboratoires de 7 pays et est située à l'Institut de technologie de Karlsruhe (KIT) en Allemagne, est conçue pour mesurer la masse des neutrinos avec une précision encore jamais atteinte (voir faits marquants). L'Institut de technologie de Karlsruhe abrite le Laboratoire de tritium de Karlsruhe (TLK), une installation de pointe pour le traitement et l'approvisionnement en tritium de l'expérience KATRIN. Son inventaire actuel est d'environ 25 grammes de tritium, mais seuls 200 microgrammes sont présents dans la source du dispositif KATRIN à chaque instant, et seuls quelques pourcents des captures sont a-priori observables".

Principe de recherche des neutrino reliques dans KATRIN

Côté détection, un processus qui ne requiert pas de seuil d'énergie doit être envisagé en raison de la minuscule énergie cinétique des neutrinos reliques ayant voyagé plus de 13 milliards d'années dans notre Univers en expansion. L'une des méthodes les plus prometteuses est ainsi la capture de neutrinos sur des noyaux par processus bêta inverse illustré sur la figure 2 (à gauche) :  un neutrino relique, à l’énergie fixée du fond diffus de neutrino, peut être capté par un noyau de tritium et produire un électron par la réaction suivante : neutrino + tritium → électron + hélium. Les atomes de tritium et d’He pouvant être considérés comme au repos, KATRIN recherche donc des électrons monoénergétiques dont l’énergie se situe juste au-dessus du point final du spectre de désintégration β, à environ 18 575 eV. Pour distinguer le signal des événements de fond, une résolution en énergie du même ordre que la masse du neutrino est nécessaire. A priori, environ 100 grammes de tritium sont requis pour la détection d’une densité de 336 neutrinos par centimètre cube, par conséquent KATRIN, avec une dizaine de µg utilisables pour cette recherche, ne peut que fixer une limite supérieure à la surdensité de neutrinos reliques autour de la Terre, notée η.

 
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Figure 2 : A gauche, capture de neutrino sur un noyau de tritium associée à l’émission d’un électron, ce dernier étant recherché dans l’expérience KATRIN. A droite, schéma du signal recherché, un pic de capture de neutrinos (rouge) au-delà de l’énergie maximum des électrons de la désintégration bêta (en noir, selon la masse du neutrino). © La collaboration KATRIN (KIT).

Les nouveaux résultats de KATRIN

Dans un article publié dans Physical Review Letters [Phys. Rev. Lett. 129, 011806] la collaboration KATRIN présente sa première recherche de neutrinos reliques à partir de deux campagnes de mesures réalisées en 2019. Au cours de la première (nommée KNM1) la source a été exploitée dans une configuration de "rodage" à une activité réduite correspondant à 3.4 μg de tritium utilisable pour la recherche de neutrinos reliques pendant 522 heures. Au cours de la deuxième campagne (KNM2) la source de tritium a été exploitée à son activité nominale avec 13.0 μg de tritium utilisable pendant 744 heures et les bruits de fond ont été réduits d’un quart, à 0.22 coups par seconde. Une comparaison directe des paramètres expérimentaux est donnée dans la figure 4.

 
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Figure 4 : En haut : Spectres électroniques des deux ensembles de données (KNM1 et KNM2) décalés de l’énergie maximale du spectre beta de 18575 eV. Les barres d’erreur sont multipliées par 50 pour être lisibles. Les lignes bleues et vertes représentent les données de KNM1 et KNM2, respectivement. En dessous de 18575 eV, le spectre de KNM2 montre un taux de comptage plus élevé en raison de l'augmentation de l'activité du tritium de KNM1 à KNM2. Au-dessus de 18575 eV, on note un bruit de fond réduit de 25% entre KNM1 et KNM2. En bas : distributions du temps de mesure des deux ensembles de données. © La collaboration KATRIN.

Aucun signal n'est détecté, mais la surdensité de neutrinos reliques est limitée à moins de cent milliards. Bien qu’étant encore très loin de la sensibilité requise pour une détection, ce nouveau résultat de KATRIN améliore les recherches antérieures de deux ordres de grandeur, comme illustré sur la figure 5. L'incertitude de mesure est dominée par l'erreur statistique et ces résultats seront encore perfectionnés dans les années à venir.

 
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Figure 5 : Aperçu des nouvelles limites de KATRIN sur la surdensité des neutrinos reliques autour de la Terre (niveau de confiance de 95 %). Le taux de capture des neutrinos reliques sur un noyau de tritium varie entre les neutrinos de Dirac et les neutrinos de Majorana (paramétrés avec la variable alpha sur l’axe des ordonnées). Le nouveau résultat de KATRIN (en rouge) est comparé aux contraintes des expériences précédentes à Los Alamos et Troitsk (en noir). L'augmentation de la sensibilité est de deux ordres de grandeur. @ La collaboration KATRIN (KIT).

Conclusion

L'objectif de détection directe du fond de neutrinos reliques est très ambitieux et la capture de neutrinos sur des noyaux radioactifs de tritium est une des voies les plus prometteuses. Il faudra toutefois une résolution en énergie de 50 meV (aujourd’hui 2 eV) et une quantité de tritium de 100 grammes (aujourd’hui 0,00001 gramme !)  pour pouvoir être en mesure d'observer les neutrinos reliques. Ce premier résultat de KATRIN est donc encore très loin d'une détection avérée. Cependant KATRIN dispose des meilleures données disponibles à ce jour sur la planète pour cette recherche. Ce nouveau résultat ouvre donc la voie à de futures études fascinantes et accroît ainsi la perspective d'observer des neutrinos cosmiques reliques dans un avenir qui, nous l'espérons, n'est pas si lointain...

Le rôle de l’Irfu

Au département de physique des particules de l'IRFU, Thierry Lasserre a coordonné cette analyse en collaboration avec l’Université TUM (Munich) et en a coordonné la publication pour la collaboration KATRIN.

Contact: Thierry Lasserre

Références:

https://journals.aps.org/prl/abstract/10.1103/PhysRevLett.129.011806

https://physics.aps.org/articles/v15/s85

 

 
#5031 - Màj : 04/05/2023

 

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