Des étoiles au grand coeur

Des étoiles au grand coeur

Certaines étoiles massives en rotation rapide ont un coeur très important

Une observation, menée en continu par le satellite CoRoT du Centre National d'Etudes Spatiales (CNES) pendant plus de 100 jours, a permis à une équipe internationale dirigée par Coralie Neiner de l'Observatoire de Paris et Stéphane Mathis du Service d'Astrophysique – Laboratoire AIM (CEA/Irfu – CNRS – Université Paris-Diderot) d'obtenir un résultat important concernant certaines étoiles massives actives et en rotation rapide : leur coeur serait de taille 20 % plus importante que prévu. Cette découverte indique que des processus dynamiques jusque là ignorés sont à l'oeuvre à l'intérieur des étoiles. L'étude conclut à l'influence prédominante des mouvements de convection à l'intérieur même du coeur de ces étoiles et des mouvements dans l'enveloppe dus à la rotation, introduisant une toute nouvelle vision de la structure et de l'évolution de ce type d'astres, berceau des éléments lourds de l'Univers.

Des étoiles massives tournant à des vitesses critiques

Les deux étoiles de type Be qui ont été étudiées par les chercheurs sont des étoiles actives environ 4 fois plus massives que notre Soleil, avec un rayon équatorial environ 7 fois plus grand. Comparées à ce dernier, elles montrent une structure interne ~inversée~ avec un coeur nucléaire convectif qui bouillonne et une large enveloppe radiative externe plus stable où le transport de l'énergie est assuré par le rayonnement. Les deux étoiles tournent extrêmement rapidement, environ 20 fois plus vite que le Soleil, soit un tour en 1,5 jour seulement (contre 30 jours pour le Soleil).

Cette rotation rapide est très proche de la limite critique pour laquelle la force centrifuge (celle qui tire vers l'extérieur les passagers sur un manège en rotation) devient aussi forte que la gravité. Pour les deux étoiles, leur vitesse de rotation est seulement 10% plus faible que cette limite au-delà de laquelle de la matière serait éjectée. Ceci induit un fort aplatissement de l'étoile accompagné de mouvements à grande échelle et de turbulence dans l'enveloppe radiative qui peut produire un mélange important des éléments chimiques et modifier la structure interne.

Vue d’artiste d’une étoile Be en rotation rapide. L’axe de rotation est représenté en rouge. Le coeur convectif a un rayon plus important (en noir) que la valeur prédite par les modèles statiques de ces étoiles ne prenant pas en compte la rotation de l’étoile (en pointillés verts). Ceci est dû à la pénétration des mouvements convectifs dans l’enveloppe externe du fait de leur inertie (flèches noires) ainsi qu’aux flots de grande échelle (boucles rouges) et aux turbulences induites par la rotation rapide dans cette dernière. Le disque de matière présent autour de ces étoiles est représenté dans le plan équatorial. Crédits réservés.

La dynamique interne à l'oeuvre

Une fois de plus, c'est l'astérosismologie –cet art de sonder le coeur interne des étoiles en étudiant leurs vibrations lumineuses globales — qui est venu ouvrir une fenêtre entièrement nouvelle sur les processus physiques qui transportent l'énergie du foyer nucléaire de ces astres vers leur lumineuse atmosphère. Différents types d'oscillations se propagent dans les intérieurs stellaires: les ondes acoustiques dues à la compressibilité du milieu et les ondes de gravité dues à la force d'Archimède. Dans le cas des deux étoiles Be tardives étudiées ici, ce sont les ondes de gravité, fortement influencées par la rotation rapide (on les appelle alors ondes gravito-inertielles) qui ont permis de sonder la structure interne jusqu'au coeur nucléaire. C'est alors que la surprise est intervenue : en comparant les oscillations observées par le satellite CoRoT avec celles calculées théoriquement, il est apparu que le coeur convectif devait être 1,25 plus lourd et 1,2 fois plus étendu que ce que prédisait les modèles statiques dits standards des étoiles où la dynamique interne, et en particulier la rotation, n'est pas prise en compte.

Ceci indique que des processus dynamiques ignorés jusqu'ici dans le modèle statique des étoiles sont à l'oeuvre, notamment au niveau de la frontière entre le coeur convectif et l'enveloppe radiative externe. En utilisant les connaissances de l'hydrodynamique interne des étoiles massives et des modèles des pulsations de ces dernières prenant en compte la rotation rapide, les scientifiques ont pu expliquer ce désaccord entre les observations et le modèle statique des étoiles. Tout d'abord, ils ont montré que les mouvements convectifs du coeur qui pénètrent dans l'enveloppe radiative du fait de leur inertie peuvent expliquer les deux tiers de son extension « non-standard'' observée. Le tiers restant s'explique par les mouvements internes très lents et la turbulence générée par la rotation différentielle de l'enveloppe radiative. De plus, à l'aide d'observations spectro-polarimétriques complémentaires effectuées au Télescope Bernard Lyot du Pic du Midi, ils ont pu montrer que ces étoiles ne présentent pas de champ magnétique de surface détectable et contraindre l'intensité maximale que pourrait avoir un champ magnétique fossile dans l'enveloppe radiative. Ils ont alors conclu que la dynamique serait dominée largement par la rotation dans le cas de ces étoiles qui tournent de façon extrêmement rapide.

A gauche : le satellite d’astérosismologie CoRoT; A droite : le Télescope Bernard Lyot du Pic du Midi.

Ce résultat montre une fois de plus la puissance de l'astérosismologie qui permet, combinée avec d'autres techniques telles que la spectro-polarimétrie pour l'étude des champs magnétiques et la simulation numérique des mouvements internes des étoiles, de contraindre de manière de plus en plus forte la structure et l'évolution des étoiles. Il montre aussi l'importance des étoiles massives en rotation rapide qui constituent un laboratoire précieux pour comprendre le rôle de la rotation dans l'évolution des étoiles en général.


Contact : Stéphane MATHIS

Publication :

« Seismic modelling of the late Be stars HD 181231 and HD 175869 observed with CoRoT: a laboratory for mixing processes« 
C. Neiner, S. Mathis, H. Saio, C. Lovekin, P. Eggenberger, and U. Lee
à paraitre dans la revue Astronomy & Astrophysics (2012).
pour une version electronique:
fichier PDF
(430 Ko)

Voir : l'actualité de l'observatoire de Paris (15 Février 2012)

Voir aussi – « Voir tourner le coeur des géantes » (07 décembre 2011)

– « Palpitations de stars » (8 avril 2011)
– « Le coeur des étoiles géantes révèle leur source d'énergie » (30 mars 2011)
– « Des astronomes prennent le pouls d’une étoile géante » (17 mars 2011)
– « Astérosismologie et activité magnétique » (27 aout 2010)
– « Premiers résultats astérosismologiques du satellite KEPLER » (1 mars 2010)
– « Pulsations d'étoiles » (20 octobre 2009)


Rédaction: S. Mathis, C. Neiner, J.M. Bonnet-Bidaud