04 novembre 2004
Astre compact, supergéante et cocon de matière
IGR J16318-4848 dévoilée par INTEGRAL et l'infrarouge

Après la découverte par la mission INTEGRAL d'une source énigmatique enfouie dans un cocon de matière, des observations menées dans les domaine optique et infrarouge viennent de dévoiler la nature de l'objet. Des scientifiques du DAPNIA/SAp ont déterminé qu'il s'agit d'un système peu commun dans notre Galaxie, un couple constitué d'un astre compact et d'une étoile appartenant à la classe des super géantes bleues (de type Sg[e]), étoiles massives et lumineuses. Cette source, dénommée IGR J16318-4848, serait le prototype d'une nouvelle population d'objets de notre Galaxie.

 

Rayons gamma et infrarouge s'associent pour identifier une source

Le ciel gamma est hautement variable du fait de la nature des objets qui le constituent: systèmes binaires abritant une étoile à neutrons ou un trou noir, pulsars, noyaux actifs de galaxies. L'observatoire INTEGRAL, en orbite depuis octobre 2002, découvre en janvier 2003 une source non encore cataloguée. Immédiatement alerté, le satellite en rayons X de l'ESA XMM-Newton pointe dans la direction de l'objet et confirme la présence de cette nouvelle source. L'analyse conjointe des données souligne immédiatement la nature insolite de l'objet, caractérisé par une forte atténuation du rayonnement X. L'absorption anormale observée dans la direction de l'astre, dénommé IGR J16318-4848 (d'après ses coordonnées sur la voûte céleste), est-elle intrinsèque à ce système ou simplement la cause d'une atténuation particulière sur la ligne de visée?

Image de IGR J16318-4848 obtenue dans la bande visible (filtre rouge centré autour de la longueur d'onde de 0.641 micromètres) à gauche, et en lumière infrarouge proche à droite (filtre  Ks centré autour de 2 .2 micromètres). La source, faible en optique avec une magnitude de 17.7, atteint la magnitude 7 en infrarouge. Si de nombreux objets, invisibles sur l'image de gauche, apparaissent sur l'image de droite, le contraste est néanmoins beaucoup plus important dans le cas de  IGR J16318-4848. Le cercle de 4 secondes d'arc de diamètre indique  la position la plus probable (boîte d'erreur) déterminée par le satellite XMM-Newton.

Pour répondre à ces questions, les astronomes ont eu recours à l'observation infrarouge. Ils ont décidé d'effectuer des observations à l'Observatoire Européen Austral (ESO) au Chili, dans le cadre d'un programme dit "de cible d'opportunité", procédure permettant une programmation rapide des observations dans le cas de phénomènes inattendus (comète, supernova, sursaut gamma ou encore détection d'une nouvelle source dans une autre bande d'énergie). Les observations, menées au Télescope de Nouvelle Technologie NTT (télescope de 3.5 mètres de diamètre) dans les domaines optique et infrarouge, ont rapidement confirmé la très forte absorption suggérée par les satellites INTEGRAL et XMM-Newton. Alors que la source est difficilement observable en lumière visible, IGR J16318-4848 devient un véritable phare lorsqu'elle est vue en lumière infrarouge, saturant même  le détecteur pour des poses aussi courtes qu'une seconde! Alors que l'absorption moyenne dans la région observée est de 12 magnitudes, les scientifiques mesurent sur l'objet une absorption 100 fois plus importante. L'atténuation dans la gamme des rayons-X est quant à elle encore 100  fois plus intense, rendant la source plus énigmatique.

Des mesures complémentaires effectuées en mode spectroscopique, permettant d'étudier la composition chimique du milieu, ont révélé un grand nombre de raies en émission, certaines présentant des profils bien particuliers (appelés P-Cygni), signatures d'une éjection de matière émis par l'étoile compagnon.

Spectre de la source  IGR J16318-4848 dans l'infrarouge proche. Les raies en émission (indiquées par les flèches verticales) signalent  la présence de différentes espèces atomiques comme  l'hydrogène (H), l'hélium (He) ou le fer (Fe). L'étude de l'intensité ou du profil de ces raies d'émission livrent des diagnostics  très utiles permettant de déterminer la température, la densité ou  encore la vitesse de la matière éjectée par l'étoile massive. Cette analyse permet ensuite de classer l'astre suivant les différentes familles d'étoiles et d'estimer des paramètres comme  son âge ou sa masse. L'échelle horizontale représente la longueur d'onde ici exprimée en micromètre et l'axe vertical l'intensité du signal.

 

IGR J16318-4848, prototype d'une nouvelle famille?

Cette étude a permis de montrer que l'enveloppe entourant l'étoile massive est complexe et  formée de couches de densité et de température différentes. En comparant les données en lumière visible, infrarouge, radio et de haute énergie, les scientifiques ont déterminé que la source est constituée d'un système binaire de forte masse où un objet compact (étoile à neutrons ou trou noir) est en orbite autour d'une étoile massive. La matière attirée par l'astre dense est chauffée par frottements visqueux à des températures de plusieurs millions de degrés provoquant cette débauche d'énergie dans les rayons X et gamma. L'étoile massive est une étoile super géante bleue, dont la masse est comprise entre 20 et 40 fois la masse du Soleil et dont la température atteint 20 000 degrés Kelvin. La prochaine étape consiste à mesurer la période orbitale de ce système binaire. La mesure d'une orbite très excentrique autorisant l'objet dense à pénétrer à l'intérieur de l'enveloppe de l'étoile massive pourrait expliquer l'absorption beaucoup plus intense observée dans le domaine des rayons X.

Une douzaine d'objets a depuis été découverte par INTEGRAL dans la direction du bras de Norma, un des bras spiral de notre Galaxie. Certains montrent des propriétés (en infrarouge ou à haute énergie) très similaires à IGR J16318-4848. Ces propriétés pourraient caractériser un état d'évolution différent des sources binaires détectées à plus basse énergie par les télescope à rayons X. Si tel est le cas, une nouvelle classe de systèmes binaires de haute énergie incluant une étoile de grande masse est en train d'être dévoilée par INTEGRAL, IGR J16318-4848 en étant le prototype.

 

 

Contact :  

Publication :

"The optical/NIR counterpart of the INTEGRAL obscured source IGR J16318-4848 : a sgB[e] in a HMXB?"
P. Filliatre et S. Chaty  à paraître dans la revue Astrophysical Journal, Novembre 2004, L'article est consultable à l'adresse:  astro-ph/0408407"


Notes
[1] Absorption. L'absorption du rayonnement se manifeste sous deux formes: d'une part par l'atténuation du signal lumineux provenant d'un astre et d'autre part par le rougissement "artificiel" de son aspect, sa couleur. Dans notre Galaxie, le gaz (principalement sous forme d'hydrogène) et la poussière constituent les principaux ingrédients du milieu interstellaire. Néanmoins chacun de ces constituants jouent un rôle particulier.  Si le gaz (principalement sous forme d'hydrogène - atomique ou moléculaire) absorbe principalement dans le domaine ultraviolet, la poussière est responsable de l'atténuation de la bande visible. Ces deux constituants, présents à grande échelle dans notre Galaxie, constituent un filtre responsable de cette absorption ou extinction interstellaire. Son effet sur le rayonnement émis par un astre est d'autant plus important que la distance à l'objet est importante. Cet effet est également déterminé par la densité du milieu sur la ligne de visée. Ceci explique pourquoi les régions proches du centre de notre Galaxie semblent dépourvues de zones étoilées. L'extinction étant par ailleurs plus efficace aux longueurs d'onde courte, l'astre apparaît plus rouge qu'il ne l'est en réalité. Cette situation est différente dans la bande infrarouge où les effets du gaz et de la poussière sur ce rayonnement sont beaucoup moins efficaces. Il devient alors possible de détecter dans cette gamme de longueurs d'onde des objets invisibles dans le domaine optique. Une absorption supplémentaire peut naître également de causes locales comme la présence autour de l'objet d'un cocon de matière dense de gaz et de poussière. L'absorption se mesure en magnitude. Elle atteint dans la direction du centre de notre Galaxie  30 magnitudes, ce qui signifie que seulement un photon visible sur 1012 (mille milliards) émis par une source située dans cette région nous parvient.

Rédaction: Sylvain Chaty et Christian Gouiffès
 
#1206 - Màj : 08/01/2013

 

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