10 janvier 2008
Source d’antimatière identifiée dans la Galaxie
INTEGRAL révèle une fabrique d’anti-électrons dans la Voie lactée (10 Janvier 2008)

Une surprenante asymétrie dans la répartition d’antimatière au cœur de la Voie lactée vient d’être découverte. En cumulant l’ensemble des données recueillies depuis cinq ans par le spectrographe SPI, une équipe européenne incluant des chercheurs du Service d'Astrophysique du CEA-IRFU a mis en évidence une émission de photons gamma à une énergie très précise, signature de la présence d’antimatière, dont la morphologie est très proche de la répartition dans le ciel d’un certain type de sources X binaires. Longtemps suspectée pour être une fabrique efficace de positons, cette classe d’objets expliquerait l’origine de l’antimatière dans les régions internes du disque de la Galaxie. Ces travaux sont publiés dans la revue Nature datée du 10 janvier 2008.

AudioEcouter l'interview de Bertrand CORDIER (SAp) : cliquer ICI  

 

Asymétrie d’antimatière dans le plan galactique

En 2005, les données obtenues par le spectrographe SPI à bord du satellite INTEGRAL avait révélé que, dans les régions internes de la Voie lactée, l’émission de lumière à l’énergie de 511 keV, résultat de l’annihilation d’un électron et de son antiparticule le positon, pouvait se décomposer en plusieurs composantes avec une émission ténue répartie le long du plan galactique et une émission plus intense centrée sur le centre galactique (le bulbe galactique). Dans ces premières données, le nuage de positons du centre de la Galaxie semblait très symétrique, suggérant que les positons pouvaient provenir de l’annihilation de particules exotiques de matière noire dans le halo central symétrique de la Galaxie.

En cumulant maintenant toutes les observations obtenues pendant plus de quatre ans, équivalentes à un temps de pose de plus de 50 millions de secondes, la cartographie de la Galaxie a pu être définitivement affinée.  Les scientifiques ont ainsi découvert une structure du plan de la Voie lactée loin d’être symétrique, avec un flux deux fois plus intense d’un coté du centre galactique que de l’autre.

 
Source d’antimatière identifiée dans la Galaxie

A gauche la carte de la Voie lactée observée par SPI à l’énergie de 511 keV représentée en coordonnées galactiques où le plan de la Galaxie est la ligne centrale de part et d’autre du centre galactique situé à la position (0,0). A une émission symétrique de largeur à mi-hauteur de 6 degrés (le bulbe galactique) s’ajoute une extension d’un coté du disque galactique. Le code de couleur indique l’intensité du signal (blanc plus intense). A droite la répartition des systèmes binaires X de faible masse détectés par le télescope IBIS/ISGRI à bord du satellite INTEGRAL. Une concentration plus importante dans la même direction est visible, suggérant que ces systèmes binaires X sont les sources d’antimatière dans les régions internes du disque galactique.

Des couples d’étoiles source de positons

L’origine exacte des positons dans les régions centrales de la Galaxie n’est pas élucidée. Supernovae, hypernovae, systèmes binaires ou annihilation de particules légères de matière noire faisaient jusqu’ici partie des scénarios évoqués. La forme asymétrique du nuage de positons semble désormais exclure la matière noire comme source majeure d’antimatière. En étudiant la distribution spatiale d’une certaine famille de systèmes X binaires dans les régions internes du plan galactique, les scientifiques se sont en revanche aperçus qu’elle reproduisait fidèlement l’extension de l’émission gamma détectée par SPI. Ces objets appartiennent à la classe dite des binaires X de faible masse, des couples composés d’une étoile de masse inférieure ou égale à celle du Soleil orbitant autour d’un astre super dense, trou noir ou étoile à neutrons. Dans de tels systèmes, un plasma chaud constitué d’électrons et de positons peut être éjecté. Une fraction de ces derniers peut alors s’échapper, se propager dans le milieu interstellaire avant de s’annihiler pour former l’émission diffuse observée à 511 keV.

Si ce scénario permet de rendre compte de la morphologie particulière observée par SPI dans le disque, il semble néanmoins qu’il ne puisse expliquer de manière satisfaisante celle de la totalité du bulbe galactique. Des sources astrophysiques classiques comme des supernovae thermonucléaires ou le trou noir central super massif pourraient expliquer l’origine de la quantité restante. La place pour un scénario exotique invoquant une particule de matière noire se réduit donc fortement. L’antimatière de la Voie lactée est encore loin d’avoir livrée tous ses mystères.

 

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Publication :

"An asymmetric distribution of positrons in the Galactic disk revealed by gamma-rays"
Georg Weidenspointner, Gerry Skinner, Pierre Jean, Jürgen Knödlseder, Peter von Ballmoos, Giovanni Bignami, Roland Diehl, Andrew W. Strong, Bertrand Cordier, Stephane Schanne, Christoph Winkler
à paraitre dans la revue Nature, 10 Janvier 2008
- pour une version électronique :  (fichier pdf - 316 Ko)

 Voir aussi : 

- le communiqué de presse commun CEA-CNRS  (10 Janvier 2008)
- le communiqué de presse de l'ESA (en anglais - 10 Janvier 2008)
- l'interview de Bertrand Cordier (SAp)   (en collaboration avec Ciel & Espace Radio)
- "L'antimatière du centre galactique dévoile ses mystéres" (article Libération 10/01/08)
- "Satellite Explains Giant Cloud of Antimatter" (actualités NASA en anglais 10/01/08)

voir aussi:  - L'antimatière du centre galactique (19 Juillet 2005)
                 - La source d'antimatière du centre galactique (01 Novembre 2003)

pour en savoir plus:

 

Note : le spectrographe SPI

Le spectrographe SPI (pour SPectromètre pour Integral) est constitué d'un plan de 19 détecteurs semi-conducteurs de Germanium formant une mosaïque hexagonale, refroidis dans un cryostat à la température de 90 degrés Kelvin (soit -180 degrés Celsius). Ces détecteurs permettent de mesurer l'énergie d'un photon incident de 1 MeV avec une précision de 0.2% (soit 2 keV), et ainsi détecter une émission gamma dans des raies fines. Il fournit une image d'une région du ciel d'environ 16 degrés de champ de vue avec une résolution spatiale (plus petit détail perceptible) de 2 degrés (voir aussi sur le site INTEGRAL "le spectrographe SPI").

S’affranchir des effets indésirables comme l’interaction des particules cosmiques avec les matériaux de l’instrument, source d’un signal important à l’énergie de 511 keV, constitue un vrai défi. Un temps d’exposition plus important et une meilleure connaissance de l’instrument expliquent les progrès réalisés et la découverte de cette asymétrie d’antimatière au sein de la Galaxie.

Le CEA a contribué sous maitrise d'oeuvre du CNES au télescope SPI en concevant et en réalisant un dispositif électronique majeur de l’instrument, en participant à toutes les phases de tests et en préparant et conduisant les indispensables étalonnages du télescope au centre CEA-DAM de Bruyères le Châtel. Le spectrographe SPI forme avec l'imageur IBIS la charge utile principale de l’observatoire INTEGRAL.

 
Source d’antimatière identifiée dans la Galaxie

Une vue éclatée du spectrographe SPI

SPI en chiffres:
Masse: 1230 kg
Hauteur: 2.8m
Diamètre: 1.1m
Surface de détection: 500 cm2
Champ de vue: 16º
Résolution angulaire:
Gamme d'énergie: 20 keV-8 MeV
Résolution en énergie: 2 keV à 1 MeV
 

Rédaction: Christian Gouiffès, Jean-Marc Bonnet-Bidaud et Bertrand Cordier
 
#2329 - Màj : 10/01/2008

 

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