La puce électronique TimePix, associée à une chambre Micromegas a permis de donner des images tridimensionnelles numériques de traces de particules chargées, ouvrant ainsi la voie vers la réalisation de chambre à projection temporelles numériques (Digital Time Projection Chambers) auxquelles on pense pour équiper, par exemple, les détecteurs auprès du futur collisionneur linéaire international (ILC). L’innovation a consisté à ajouter à une puce plus classique des « horloges » autorisant la mesure du temps d’arrivée des signaux de détection.
Un prototype d’un nouveau type de détecteur de particules chargées vient d’être mis en œuvre avec succès par une équipe Irfu-Cern-Nikhef dans le cadre du projet européen Eudet.
Quand une particule chargée traverse de la matière, elle arrache sur son passage quelques électrons. De même, lorsqu’un rayon X rencontre des atomes, il en extrait un électron qui à son tour en extrait d’autres jusqu’à épuisement de l’énergie du rayon X initial. C’est le phénomène d’ionisation, sur lequel reposent la plupart des détecteurs de particules. Dans un détecteur gazeux, la charge doit ensuite être collectée avant que l’électron et l’atome ionisé ne se recombinent, ce qui se fait grâce à un champ électrique modéré. Cette charge est ensuite amplifiée dans un champ électrique suffisamment intense pour que chaque électron créé gagne assez d’énergie pour ioniser un autre atome avant de perdre son énergie par chocs élastiques. Ainsi est créée une sorte d’avalanche, dans laquelle un électron en donne deux, chacun en donne deux à son tour, et ainsi de suite. Au bout de 10 multiplications, on obtient 1000 électrons, ce qui est suffisant pour être vu par un amplificateur très sensible.
La zone de haut champ peut être créée de diverses façons, par exemple autour d’un fil très fin porté à une haute tension, ou, comme c’est le cas dans la technologie des détecteurs Micromegas, par une grille tendue à une cinquantaine de micromètres au-dessus d’une surface conductrice plane appelée anode. Dans la plupart des détecteurs Micromegas, l’anode est segmentée en damier ou en pistes, permettant d’ajouter les effets de plusieurs dizaines d’électrons primaires et de localiser l’origine de l’ionisation.
La nouveauté qui vient d’être mise en application à Saclay est le fruit d’une collaboration avec l’institut Nikhef (Pays-Bas) et le Cern, dans le cadre du projet européen Eudet. Elle consiste à utiliser come anode une puce électronique de 65 000 pixels numériques, c’est-à-dire capables de répondre 0 ou 1 selon que le pixel a reçu ou non un signal détectable. Cette puce, TimePix, est l’évolution de la puce Medipix2 destinée à l’imagerie X biomédicale. Mais au lieu de compter le nombre de photons vus par le capteur au silicium sur chaque pixel pour définir des « niveaux de gris », une horloge associée à chaque pixel, permet de compter le temps écoulé à partir de l’arrivée du signal et ce jusqu’à la fermeture d’un obturateur après un temps prédéfini. Ainsi, un rayon X converti dans le gaz donne par ionisation un certain nombre d’électrons qui dérivent lentement vers le Micromegas sous l’action d’un champ électrique (les 5 cm sont parcourus en environ une microseconde). En arrivant sur la grille, ils sont multipliés avec un gain de quelques milliers, ce qui permet de les détecter avec une efficacité proche de 100%. Ainsi on obtient une vue tridimensionnelle du nuage d’électrons formés par un rayon X dans un gaz, électron par électron.
Dans un tel détecteur, de même que les rayons X, les particules chargées ionisantes arrachent des électrons tout au long de leur parcours ; ces électrons en dérivant vers l’anode, donnent une image tridimensionnelle des traces des particules, la troisième coordonnée de chaque point étant donnée par le temps de dérive. C’est le principe même de la chambre à projection temporelle (TPC). La mise en œuvre d’une telle « TPC numérique » sur un détecteur auprès du futur collisionneur linéaire est donc envisageable.
Outre cette future TPC, de nombreuses applications s’ouvrent pour ce nouveau genre de détecteurs. En premier lieu, ils permettent d’étudier les propriétés électroniques des gaz avec une précision jamais égalée : une seule conversion de rayon X dans le gaz permet en effet de mesurer ses propriétés comme par exemple, la vitesse de dérive des électrons.
La recherche directe de matière noire repose sur la détection de l’ionisation produite par le recul des noyaux touchés par une particule. Ceci est possible dans ce nouveau type de détecteur avec un avantage de taille : la directionalité. La précision d’un tel détecteur permettant de reconstruire la direction des ions de recul, on devrait pouvoir mettre en évidence une claire signature d’un halo galactique de matière noire : en raison des mouvements de la Terre par rapport à la galaxie, on s’attend en effet à voir un « vent » de matière noire présentant une modulation de la direction sur 24 heures.
Enfin, ce détecteur peut être utilisé comme polarimètre pour des rayons X de basse énergie. En effet, lorsqu’un rayon X heure un atome de gaz, il lui arrache un électron et le réarrangement du cortège va généralement aboutir à l’émission d’un second électron (l’électron Auger). Ces deux électrons vont être émis préférentiellement le long de la direction de polarisation du rayon X initial. L’observation de la direction des électrons émis fournit donc une mesure de la polarisation.
Une autre particularité de la puce TimePix est de pouvoir mesurer, au lieu du temps écoulé par rapport à une référence fixe, la durée entre le passage au-dessus du seuil d’un signal et son passage au-dessous du seuil. Ce « temps au dessus du seuil » est directement relié à l’énergie incidente. Ce détecteur permet donc de faire de la spectroscopie, avec une précision spatiale de 55 micromètres. Cela pourrait s’avérer très utile à l’étude d’œuvres d’art, en permettant de déceler des pigments spécifiques dans un minuscule coup de pinceau.
Contact : Paul COLAS
A consulter : http://irfu.cea.fr/ILC-TPC