Une équipe internationale d’astronomes dirigée par Masato Onodera du Service d'Astrophysique du CEA-Irfu, travaillant dans le cadre d’un projet financé par l’Agence Nationale de la recherche (ANR)[1], a utilisé le télescope japonais Subaru[2] pour prendre un spectre infrarouge d’une galaxie elliptique massive très lointaine et extrêmement brillante. Cette galaxie est située à 10 milliards d’années-lumière de la Terre et est observée au moment où l’Univers n’avait qu’environ un quart de son âge actuel. Paradoxalement, et en contradiction avec certaines études précédentes, cette galaxie ressemble à ses cousines de notre Univers local. Ce résultat apporte une touche de complexité supplémentaire au « puzzle » de l’évolution des galaxies et montre que certaines galaxies elliptiques peuvent déjà atteindre leur taille adulte tôt dans l’évolution de l’Univers, tandis que d’autres peuvent augmenter leur volume une centaine de fois au cours du temps. Ces résultats sont publiés dans la revue The Astrophysical Journal du 20 Mai 2010.
Les galaxies les plus massives dans notre Univers proche sont des elliptiques géantes. Elles ont une forme ovale régulière et ne possèdent pas de disque comme les galaxies spirales dont fait partie notre propre galaxie, la Voie lactée.
En utilisant de grands télescopes, les astronomes ont maintenant identifié des galaxies elliptiques plus de dix fois plus massives que la Voie lactée et aussi loin de la Terre que dix milliards d’années-lumière. Observer la lumière de galaxies aussi lointaines permet l’étude directe de leur apparence peu après leur formation et ouvre de nouvelles perspectives sur le passé lointain de notre Univers.
Il y a cinq ans, des images extraordinairement profondes de l’Univers prises par le télescope spatial Hubble suggéraient que les galaxies elliptiques lointaines pouvaient être de deux à cinq fois plus petites que des galaxies elliptiques proches et de même masse. Si cette découverte était juste, cela signifierait que les densités des galaxies elliptiques lointaines seraient de dix à cent fois supérieures à celles des galaxies locales. Depuis, les scientifiques se sont interrogés pour savoir si ces galaxies très compactes pouvaient augmenter de volume pendant ces dix derniers milliards d’années jusqu’à occuper un volume similaire à celui de leur équivalentes locales. De nombreux chercheurs se demandaient si les mesures des tailles des elliptiques lointaines étaient précises : des erreurs de mesure ou des biais observationnels pouvaient-ils expliquer leur relative petite taille apparente ? Trop peu d'observations étaient jusqu'içi disponibles.
L’équipe de Masato Onodera s’est tournée vers un des plus grands relevés de l’Univers lointain, le projet COSMOS, pour trouver d’éventuelles autres galaxies elliptiques géantes lointaines. Ils ont cherché des objets dotés d’une signature spectrale particulière dans le visible et le proche-infrarouge, comme celles détectées par la caméra Suprime-Cam du télescope Subaru, et la caméra WIRCAM du télescope Canada-France-Hawaii. Enfin, ils ont pû bénéficier de l’exceptionnelle base de données d’images à haute résolution du télescope spatial Hubble de l’équipe COSMOS pour trouver des objets qui avaient des formes similaires aux elliptiques locales, avec une masse équivalente. C’est cet échantillon de galaxies qui a finalement été sélectionné pour des observations avec le télescope Subaru.
A gauche : image composite d'un champ de galaxies lointaines obtenue d'après des clichés de la caméra Surprime-Cam du télescope Subaru (couleurs bleue et verte d'après les filtres B et z') et la caméra WIRCAM du télescope CFH (couleur rouge pour le filtre Ks). La galaxie lointaine, 254025, à une distance de 10 milliard d'années-lumière, est un minuscule point rouge. A droite, un zoom sur la position de la galaxie marquée par un carré. Credits Subaru/CFH/SAp
Pour « peser » les galaxies, l’équipe de Masato Onodera a choisi d’utiliser une technique de mesure particulière, la dispersion des vitesses des étoiles qui permet d'estimer la masse d’une galaxie elliptique lointaine. La dispersion des vitesses est une mesure de la répartition des vitesses des étoiles. Plus la masse d’une galaxie est grande, plus les étoiles auront à tourner rapidement autour du centre de la galaxie pour compenser l’attraction gravitationnelle. La détermination de l’élargissement des raies spectrales dans le spectre de la galaxie peut renseigner sur la vitesse des étoiles et permettre de déduire la masse de la galaxie en comparant les informations sur sa taille avec la vitesse des étoiles.
Cependant, des raies spectrales intenses dans le proche-infrarouge sont nécessaires pour réaliser ces mesures sur des galaxies lointaines, domaine spectral dans lequel les observations sont particulièrement difficiles. Équipé de son spectrographe et caméra infrarouge multi-objets (MOIRCS), le télescope Subaru était tout particulièrement adapté à l’étude de ces raies spectrales. Parce qu’il peut capter la lumière infrarouge d’objets multiples dans un grand champ de vision, il est capable de fournir des images et des mesures spectroscopiques de la composition de ces objets.
Le spectre dans l'infrarouge de la galaxie 254025, obtenu par l'instrument MOIRCS-Subaru et utilisé pour déterminer la dispersion de vitesse des étoiles d'après la largeur des raies des éléments chimiques Hydrogène (H), calcium (Ca) et d'hydrure de carbone (CH notés comme "G-band"), marqués par des flèches.
C’est une méthode relativement nouvelle de mesure de la masse des galaxies lointaines. De premières mesures avaient déjà été obtenues en 2009 sur une seule autre galaxie. Elles avaient révélées une grande dispersion des vitesses (plus de 500 km par seconde) qui etait cohérente avec une masse probable de 200 milliards de fois la masse du Soleil mais sous un rayon de seulement 2 500 années-lumière: des proportions, et du même coup une densité élevée, qui ne trouve pas d’équivalent parmi les galaxies locales. En utilisant la même technique, la galaxie ID 254025, trouvée et étudiée par l’équipe de Masato Onodera, a révélé une dispersion des vitesses beaucoup plus faible (environ 300 km par seconde), qui est plus en accord avec sa grande taille (environ 19 000 années-lumière). Avec une masse estimée à moins de 700 milliards de fois la masse du Soleil, cette galaxie a donc des mensurations tout à fait conformes aux galaxies locales. Ce résultat apporte la preuve que de grandes galaxies, parvenues à leur stade adulte, coexistent bien avec d’autres, plus compactes, dans l’Univers primordial.
Le mystère de la formation et de l’évolution de galaxies elliptiques reste donc entier. Quel type de galaxies prédominent dans l'univers jeune ? L’équipe de Masato Onodera se penche maintenant sur le problème de la détermination de la proportion relative de ces deux types extrêmes de galaxies elliptiques, en fonction du temps cosmique. De nouvelles observations avec l’instrument MOIRCS du télescope Subaru seront nécessaires pour contribuer à la résolution ce mystère.
Contacts : (CEA) et (CEA)
Publications :
« A z=1.82 Analog of Local Ultra-massive Elliptical Galaxies»
M. Onodera, E. Daddi, R. Gobat, M. Cappellari, N. Arimoto, A. Renzini, Y. Yamada, H. J. McCracken, C. Mancini, P. Capak, M. Carollo, A. Cimatti, M. Giavalisco, O. Ilbert, X. Kong, S. Lilly, K. Motohara, K. Ohta, D. B. Sanders, N. Scoville, N. Tamura, Y. Taniguchi
publié dans la revue "Astrophysical Journal Letters" du 20 Mai 2010, vol.715, L6
pour une version electronique ficher PDF
Voir : le texte du communiqué de presse CNRS-CEA (20 May 2010)
le comuniqué de presse Subaru (20 Maty 2010, en anglais)
Voir également : - Détection de gaz moléculaire dans des jeunes galaxies (23 Janvier 2008)
- Formation d'étoiles dans l'Univers lointain (7 Juin 2007)
Notes :
[1] ANR. Ce projet a été financé en partie par l'Agence Nationale de la Recherche (allocations ANR-07-BLAN-0228 et ANR ANR-08-JCJC-0008) ainsi que par la Commission Européenne de la Recherche (allocation UPGAL-240039)
[2] Le télescope Subaru qui possède un miroir de 8,2 mètres de diamètre a été mis en service en 1998 au sommet du Mauna Kea à Hawaii (USA). Il a été construit par l'Observatoire astronomique national du Japon et tire son nom de la constellation des Pleiades, "subaru" en japonais).