L’imagerie par résonance magnétique à haut champ (≥ 7 teslas) apparaît comme une des voies les plus prometteuses dans le dépistage précoce des pathologies neurologiques. Au-delà des savoir-faire industriels en matière d’IRM, cette imagerie se heurte à des difficultés techniques nouvelles. L’équipe du CEA (Irfu et I2BM) du projet Iseult vient d’en franchir une. Il s’agit d’assurer une excitation homogène des noyaux atomiques grâce à la transmission parallèle. Celle-ci permet l’homogénéisation de l’excitation des spins de protons des tissus biologiques pour aboutir à des images de cerveaux humains sans zone d’ombre ni perte de contraste. Les images in vivo récemment obtenues à 7 teslas en transmission parallèle, constituent une première en Europe et consacre une collaboration réussie entre les deux instituts. Ces travaux ont aussi permis le dépôt de plusieurs brevets. Bien qu’une quinzaine de scanners IRM à 7 teslas soient installés dans le monde, seuls 5 à 6 centres de recherche sont capables de mobiliser en un même lieu toutes les compétences réunies dans la collaboration DSM-DSV pour développer toutes les étapes nécessaires à la transmission parallèle, à savoir : la conception des antennes (Irfu/SACM) et leur électronique (I2BM/NeuroSpin), la simulation électromagnétique du couplage antenne-patient (Irfu/SACM), le développement des séquences IRM d’acquisition des cartes de champ magnétique (I2BM/NeuroSpin), l’analyse, le contrôle de la puissance déposée dans les tissus, et la mise au point des procédés de transmission parallèle (I2BM/NeuroSpin), sans oublier le bureau d’études (Irfu/SIS) et la mise en œuvre des équipements de mesure spécifiques (Irfu/Sédi).
Depuis deux ans, l’Irfu est engagé avec le centre NeuroSpin (CEA/DSV) dans le programme Iseult/Inumac au sein d’un consortium franco-allemand [1] pour développer les techniques associées à l’imagerie par résonance magnétique à haut champ (magnétique statique), notamment à travers la construction d’un imageur à 11,7 teslas alors que la plupart des scanners hospitaliers fonctionnent aujourd’hui à 1,5 teslas. La résolution accrue et les multiples modalités d’examen du nouvel imageur devront apporter une meilleure compréhension du système nerveux et de ses dysfonctionnements pour aboutir à un dépistage plus précoce des pathologies telles que la maladie d’Alzheimer, les accidents vasculaires cérébraux ou les tumeurs. Dans ce cadre, l’Irfu est en charge de la construction de nouvelles antennes, ainsi de celle de l’aimant statique à 11,7 teslas. Les premières images in vivo obtenues à 7 teslas valident une étape intermédiaire importante dans les développements nécessaires au projet.
La transmission parallèle représente un défi technologique majeur à relever sur le chemin de l’IRM à haut champ (≥ 7 teslas). Elle permet l’homogénéisation de l’excitation des spins (caractérisée par un angle de bascule par rapport à la direction du champ magnétique statique) de protons des tissus biologiques pour produire des images de cerveaux humains sans artéfacts d’ombre et de contraste. Alors que l’uniformité de l’excitation est obtenue aisément à bas champ par l’application d’un champ magnétique radiofréquence (RF) homogène grâce à une antenne avec une seule entrée/sortie, elle nécessite une antenne réseau, composée de plusieurs éléments de transmission et de réception, disposés autour de la tête du patient, pour l’IRM à haut champ. En effet, la fréquence du signal RF utilisé augmentant avec le champ statique, l’interaction entre l’onde RF et les tissus organiques entraîne des distorsions du champ RF de plus en plus fortes en vertu des lois de l’électromagnétisme quand bien même le champ RF produit par une antenne serait parfaitement uniforme sans le patient.
Figure 1. Antenne réseau à 8 canaux développée par l’Irfu en collaboration avec NeuroSpin pour la transmission parallèle et l’obtention des premières images in vivo à 7 teslas. Le bloc à gauche de la figure intègre des circuits électroniques spéciaux : des interrupteurs rapides capables de commuter en une microseconde une puissance crête d’un kilowatt en transmission, et des préamplificateurs à très faible bruit (NF < 1 dB) utilisés en réception.
Figure 2. Image IRM créée dans un fantôme de 2 litres d’eau grâce à une technique de type Transmit-SENSE. La localisation et le degré d’excitation des protons de l’eau reproduisent le visage de la Joconde à 7 teslas.
Avec la transmission parallèle, on cherche à réaliser une excitation uniforme de deux manières. On peut ajuster l’amplitude et la phase du signal alimentant chaque élément d’une antenne réseau en conservant une même forme temporelle pour toutes les impulsions afin de générer finalement dans la région d’intérêt, un champ magnétique RF uniforme. C’est la méthode du « shim RF statique ». Malheureusement, elle s’avère inefficace pour couvrir un cerveau entier. Pour aller plus loin, le temps est mis à profit comme degré de liberté supplémentaire pour optimiser des formes d’impulsions différentes sur chaque canal, transmises de manière simultanée avec des gradients [2] de champ magnétique. Au cours de l’excitation, ces derniers permettent de se déplacer dans l’espace de Fourier dual à l’espace de l’image, afin de couvrir différentes fréquences spatiales et pallier ainsi les interférences destructives à l’origine des artéfacts. Avec cette méthode dite de « shim RF dynamique », encore appelée Transmit-SENSE, c’est l’angle de bascule qui est rendu homogène. Mise en œuvre avec une antenne réseau (Figure 1) développée par l’Irfu en collaboration avec NeuroSpin et pour laquelle un brevet est déposé [3], cette technique apporte de nombreux degrés de liberté supplémentaires pour la manipulation des spins nucléaires et permet une excitation de ces derniers dans l’espace de manière quasi-arbitraire, utile en spectroscopie in vivo par exemple. La complexité du motif réalisé par l’excitation sélective d’un milieu homogène démontre les performances de l’antenne et la maîtrise de la méthode (Figure 2). Un nouveau procédé 3D reposant sur cette technique, baptisé « KT points », a notamment été breveté à NeuroSpin [4, 5] pour obtenir une excitation homogène dans un cerveau entier.
Pour obtenir un « shim RF » optimal, il est nécessaire de connaître au préalable les cartes 3D du champ magnétique RF produit dans le cerveau par chacun des éléments d’antenne. Ceci implique une étape préliminaire de mesure de ces cartes, opérée par le biais de séquences d’acquisition IRM adaptées et développées à NeuroSpin, en un temps compatible avec une expérience in vivo chez l’homme, sans toutefois compromettre la précision du résultat. Il a ainsi été démontré qu’une telle mesure est possible en moins de 2 minutes avec une séquence multi-coupes [6]. Côté Irfu, une méthode de post-traitement basée sur la géostatistique a été mise au point pour améliorer la résolution et la précision des cartes de champ quelque soit la nature des séquences de mesure utilisées [7].
Figure 3. Premier essai in vivo à 7 teslas du procédé « KT points » breveté par NeuroSpin pour l’homogénéisation de l’excitation des spins en transmission parallèle : a) inhomogénéité de l’ange de bascules sans « shim RF dynamique », b) homogénéisation obtenue avec le nouveau procédé.
Si la transmission parallèle peut s’avérer très performante, elle est néanmoins accompagnée de problèmes supplémentaires de sécurité à gérer. L’énergie dissipée dans les tissus par effet Joule dépend en effet de l’anatomie du patient, de sa position dans l’antenne RF et aussi largement des impulsions RF transmises à chaque canal émetteur. En augmentant le nombre de degrés de liberté pour contrôler la dynamique des spins, on augmente aussi la possibilité de chauffer localement un tissu. Le débit d’absorption spécifique (DAS) quantifie la puissance déposée dans les tissus par unité de masse. Des recommandations internationales ont défini des seuils à ne pas dépasser. Basées sur les cartes de champ électrique et magnétique issues de la simulation numérique réalisée à l’Irfu sur le couplage antenne-patient, des techniques de réduction du DAS ont été développées à NeuroSpin [8, 9]. Pour un sujet donné, l’évaluation précise du DAS nécessite des cartes de champ électrique, qui ne peuvent être obtenues aisément par la mesure. Pour pallier cette difficulté, l’équipe de NeuroSpin a proposé de surestimer volontairement le DAS via le développement d’un logiciel baptisé CEASAR [10] : d’abord, en ne considérant que l’amplitude des champs électriques avec une hypothèse d’interférence constructive, puis en introduisant plusieurs modèles numériques de tête (anatomie, position) pour lesquelles les cartes de champ électrique ont été préalablement simulées. Pour une séquence d’impulsions RF donnée, le DAS est alors calculé en quelques secondes en tout point de la tête pour le cas le plus pessimiste. Pour obtenir les premières images de cerveau humain à 7 teslas, nous avons utilisé une approche encore plus conservatrice, plus sure pour le sujet. Cette expérience a été réalisée à NeuroSpin avec une antenne certifiée par le Bureau Veritas selon la norme IEC 60601-1 relative aux appareils électro-médicaux, et avec l’autorisation de l'AFSSAPS (l'agence française de sécurité sanitaire et des produits de la santé) dans le cadre d'un protocole intitulé : "Evaluation de l’apport de l’imagerie et de la spectroscopie par résonance magnétique à 7 teslas pour l’étude de la structure et du fonctionnement cérébral", qui avait aussi reçu l'aval du CPP (comité pour la protection des personnes). Pour le moment, seuls de très petits angles de bascule peuvent être appliqués aux spins dans les expériences in vivo ; ce qui limite le rapport signal à bruit, et par conséquent, la résolution des images obtenues. Néanmoins, l’équipe de NeuroSpin a pu démontrer, in vivo, l’efficacité du procédé « KT points » qu’elle a breveté pour l’homogénéisation de l’excitation des spins (Figure 3 et 4). Ce résultat est un préalable indispensable pour l’obtention future d’images en haute définition une fois que le logiciel CEASAR sera validé. La technique de Transmit-SENSE pourra alors être pleinement exploitée. Par ailleurs, l’ensemble de ces résultats valide le concept et la technologie de l’antenne réseau proposée par l’Irfu pour le futur imageur à 11,7 teslas.
Rédacteurs : A. Amadon, N. Boulant, F. Lethimonnier, M. Luong
Contacts
Irfu : michel.luong@cea.fr
NeuroSpin : franck.lethimonnier@cea.fr
[1] Consortium Iseult/Inumac composé par le CEA, l’Université de Freiburg (Allemagne), Siemens Medical Solutions (Germany), Bruker BioSpin GmbH (Germany), Guerbet (France) et Alstom (France).
[2] http://www.imaios.com/fr/e-Cours/e-MRI/codage-spatial-signal/gradients-codage.
[3] Résonateur linéaire d’une antenne haute fréquence pour appareil d’imagerie par résonance magnétique nucléaire, G. Ferrand, M. Luong, A. France, numéro de dépôt de brevet 10 50905, février 2010.
[4] Method and Apparatus for Compensating for B1 Inhomogeneity in Magnetic Resonance Imaging by Nonselective Three-Dimensional Tailored RF Pulses, A. Amadon & M. Cloos, F263-375 patent pending, April 2010.
[5] KT points: Fast Three-Dimensional Tailored RF Pulses for Flip-Angle Homogenization Over an Extended Volume, M.A. Cloos, N. Boulant, M. Luong, G. Ferrand, C.J. Wiggins, E. Giacomini, A. France, D. Le Bihan, A. Amadon, Oral presentation 102, Proc. Intl. Soc. Mag. Reson. Med. 18, Stockholm (2010).
[6] B1-mapping of an 8-channel TX-array over a human-head-like volume in less than 2 minutes : the XEP sequence, A.Amadon, N. Boulant, M.A. Cloos, E. Giacomini, C.J. Wiggins, M. Luong, G. Ferrand, H-P Fautz, P2828, Proc. Intl. Soc. Mag. Reson. Med. 18, Stockholm (2010).
[7] A Geostatistical Approach to Denoise and Interpolate Experimental Complex-Valued B1 Maps, G. Ferrand, M. Luong, P. Chauvet, MA. Cloos, A. Amadon, P1471, Proc. Intl. Soc. Mag. Reson. Med. 18, Stockholm (2010).
[8] Local SAR reduction in parallel excitation based on channel-dependent Tikhonov parameters, M. Cloos, M. Luong, G. Ferrand, A. Amadon, D. LeBihan, and N. Boulant, Journal of Magnetic Resonance Imaging, in press.
[9] Parallel excitation of nuclear spins with local SAR control, patent pending, September 2009.
[10] Specific absorption rate monitor for in-vivo parallel transmission at 7 Tesla, M. A. Cloos, N. Boulant, M. Luong, G. Ferrand, D. Le Bihan and A. Amadon, Poster presentation P3871, Proc. Intl. Soc. Mag. Reson. Med. 18, Stockholm (2010).
• L'expertise de l'Irfu au service des enjeux sociétaux
• Le Département d'Électronique des Détecteurs et d'Informatique pour la Physique (DEDIP) • Le Département d'Ingénierie des Systèmes (DIS) • Le Département des accélérateurs, de cryogénie et de magnétisme (DACM)
• ISEULT