Grâce aux données du satellite Kepler, de la NASA, une équipe internationale incluant Rafael Garcia du Service d'Astrophysique du CEA-Irfu [1], vient de réussir à sonder pour la première fois le coeur de plusieurs centaines d’étoiles géantes. Les chercheurs ont utilisé la sismologie stellaire qui consiste à analyser de très faibles oscillations de luminosité de surface pour en déduire les caractéristiques du cœur des étoiles. Dans le large échantillon étudié, ils ont réussi à distinguer où se situaient les réactions de fusion nucléaire, selon les cas au cœur même de l’étoile ou dans des couches plus externes. C’est une découverte majeure pour la compréhension des étoiles car jusqu’ici rien ne permettait aux astronomes d’isoler ces stades qui correspondent à une étape différente de la vie d’une étoile. Les résultats sont publiés dans la revue Nature du 31 mars 2011.
Le concert des géantes rouges (mp3) Ecoutez les vibrations des étoiles géantes traduites en sons selon leurs fréquences réelles : écoutez trois étoiles de taille croissante [1'00], Crédits Daniel Huber (Univ. Sydney 2011) |
La technique de sismologie stellaire ou astérosismologie a subi un essor fulgurant ces dernières années grâce aux mesures très précises de la luminosité des étoiles. Les premières oscillations à la surface d‘une étoile ont été découvertes sur le Soleil en 1960. Elles ont été particulièrement étudiées à partir de 1995 à l'aide de l’instrument GOLF à bord du satellite européen SOHO auquel a participé le CEA. Ces mêmes oscillations à la surface d’autres étoiles que le Soleil ont pu, par la suite, être découvertes et étudiées par le satellite français Corot en orbite depuis fin 2006 et aujourd’hui le satellite étasunien Kepler lancé en mars 2009. Ces deux dernières missions ont pour objectif principal la recherche de planètes mais elles fournissent une mesure inégalée des très faibles variations de luminosité des étoiles qui sont aussi la traduction des oscillations.
Les oscillations d'étoiles sont une réponse de la structure de l'étoile à des vibrations en général déclenchées par des mouvements turbulents proches de sa surface. Sous l'action de ces vibrations, l'ensemble de l'étoile résonne comme un tambour ce qui produit de très faibles oscillations de luminosité. L'analyse de ces oscillations permet alors de sonder l'intérieur des étoiles tout comme sur Terre, l'analyse des vibrations terrestres à la suite d'un tremblement de terre permet par la sismographie de sonder l'intérieur du globe.
Calcul sur ordinateur des vibrations d'étoiles géantes rouges. Des mouvements turbulents proches de la surface déclenchent dans l'étoile des vibrations. L'ensemble de l'étoile résonne alors comme un tambour. Les couleurs représentent les "creux" et les "bosses" de ces vibrations. L'amplitude des oscillations a été augmentée et la durée réduite pour les rendre plus visibles. La durée réelle est de plusieurs heures. La deuxième scène représente un zoom sur le noyau. L'analyse de ces oscillations a permis de sonder l'intérieur d'étoiles géantes rouges jusqu'au coeur central et de découvrir leur mode de production d'énergie. Crédits : Pieter Degroote, K.U. Louvain, Belgique. (si la vidéo n'apparait pas, cliquer ici). |
Les géantes rouges représentent le stade avancé de l’évolution d’une étoile. Ce sera le futur de notre étoile, le Soleil, dans environ 6 milliards d'années. Dans un premier temps, lorsque l’hydrogène qui constitue le combustible principal a été totalement brulé au centre, les réactions nucléaires se déplacent vers les couches plus extérieures. L’étoile se gonfle alors et devient géante et rouge car les régions plus externes se refroidissent en se dilatant. En même temps, les régions centrales sans source d’énergie se contractent. Dans un deuxième stade, lorsque le cœur de l’étoile devient suffisamment dense, c’est l’hélium qui peut entrer en fusion au centre. Jusqu’ici les astronomes n’avaient aucun moyen de distinguer ces deux étapes très différentes de la vie d’une étoile car de l’extérieur, elles ne se traduisent par aucun changement notable.
C’est en utilisant les données sur près de 400 géantes rouges obtenues par le satellite Kepler pendant 13 mois que les scientifiques ont finalement percer le secret. En passant au crible les différentes variations périodiques de la lumière des étoiles qui correspondent chacune à une vibration, ils ont pu distinguer celles qui concernent les couches externes (les ondes acoustiques) de celles qui concernent le cœur de l‘étoile (les ondes de gravité).
L’observation des modes de gravité des étoiles géantes montre deux groupes bien différents, ce qui permet pour la première fois de séparer l’état évolutif de ces étoiles sans ambiguïté. En effet, les modes de gravité des étoiles qui brûlent uniquement de l’hydrogène en couche ont des périodes autour de 50 secondes (points bleus dans la figure). Les étoiles qui brulent aussi de l’hélium dans le cœur ont des modes dont les périodes sont autour de 100 à 300 secondes (points rouges et oranges). Les valeurs indiquées sont les masses des étoiles (en masse solaires) selon les prévisions théoriques. Dans le dernier groupe, les moins massives brulent probablement leur hélium rapidement (points rouges) et les plus massives plus lentement (points oranges). Crédits Kepler/NASA
Sur les 400 étoiles observées, les ondes de gravité des différentes étoiles se sont réparties en deux catégories bien distinctes: un premier groupe montrait une période d'environ 50-60 secondes tandis que le second avait des périodes autour de 100-300 secondes. En comparant avec des prévisions théoriques, les scientifiques en ont conclu qu'ils observaient en fait des géantes rouges avec un coeur très différent. Les premières à périodes courtes avait un coeur où l'hydrogène était déjà épuisé et elles brulaient alors leur hydrogène dans des couches plus extérieures. Les secondes étaient dans un stade plus avancé d'évolution et brulaient à nouveau dans le coeur par la fusion de l'hélium. Ils ont même pu distinguer que dans ce deuxième groupe, la combustion de l'hélium se faisait probablement différemment selon la masse de l'étoile: les moins massives pourraient bruler très rapidement leur hélium dans un 'flash" tandis que les plus massives le bruleraient plus lentement. C'est la première fois que les astronomes arrivent à distinguer par l'observation ces stades d'évolution très différents.
« C’est une vraie révolution » confie Rafael Garcia du Service d’Astrophysique du CEA-Irfu, membre du consortium scientifique pour l’astérosismologie sur Kepler (KASC) « grâce à ces ondes, on peut reconstituer ce qui se passe au centre et on isole très clairement deux groupes d‘étoiles, les géantes qui brulent l’hydrogène en couches et celles plus évoluées qui brulent l’hélium au centre. C’est presque miraculeux d’arriver enfin à voir directement ce qui va arriver à notre Soleil dans quelques milliards d’années». Une seule étoile géante avait pu être étudiée jusqu’ici dans les mêmes conditions; plusieurs milliers seront accessibles grâce à Kepler qui restera en orbite jusqu’en 2013.
Contact :
« Gravity modes as a way to distinguish between hydrogen- and helium-burning red giant stars »
Bedding et al. (2011) publié dans la revue Nature du 31 mars 2011 (pour une version électronique ficher PDF)
voir - le communiqué de presse commun CEA-CNRS (31 march 2011)
- le communiqué de presse de l'Université de Sydney (31 march 2011, en anglais)
- le communiqué de presse de l'université de Louvain (31 march 2011, en anglais)
- l'actualité de l'Observatoire de Paris-Meudon (31 mars 2011)
voir aussi - "Des astronomes prennent le pouls d’une étoile géante" (17 mars 2011)
- "Astérosismologie et activité magnétique" (27 aout 2010)
- "Premiers résultats astérosismologiques du satellite KEPLER" (1 mars 2010)
- "Pulsations d'étoiles" (20 octobre 2009)
Notes :
[1] Le consortium scientifique pour l’astérosismologie sur Kepler (KASC) regroupe des chercheurs internationaux avec une participation importante de laboratoires européens parmi lesquels l'université de Arhus (Danemark), l'Institut astronomique de Louvain (Belgique), l'université de Birmigham (U.K.), l'Observatoire de Paris-Meudon (LESIA, Meudon), l'Institut d'Astrophysique Spatiale (Orsay) et le Service d'Astrophysique du CEA-Irfu. Le financement de la mission Kepler Mission est fourni par le département des missions scientifiques de la NASA. Les auteurs remercient toute l'équipe derrière Kepler.
Rédaction: R. Garcia, J.M. Bonnet-Bidaud
• Structure et évolution de l'Univers › Planètes, formation et dynamique des étoiles, milieu interstellaire
• Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM
• Dynamique des Etoiles, des Exoplanètes et de leur Environnement