Une équipe internationale à laquelle ont participé Emanuele Daddi [1] et David Elbaz du Service d'Astrophysique-Laboratoire AIM vient de déterminer la distance d'une des galaxies les plus productrices d'étoiles. Au grand étonnement des astronomes, cette galaxie baptisée HDF850.1 qui produit près de 1000 fois plus d'étoiles que notre galaxie, est située à une très grande distance, dans une région où l'univers est âgé de seulement 1,1 milliards d'années. Elle était invisible sur l'image la plus profonde du ciel visible obtenue par le satellite Hubble mais a été révélée par des observations en ondes millimétriques obtenues à l'interféromètre IRAM du Plateau de Bures (Hautes-alpes). Cette production très précoce d'étoiles dans un univers encore très jeune est une véritable surprise pour les scientifiques. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature du 14 juin 2012.
L'image la plus profonde du ciel a été obtenue par un sondage réalisé par le satellite Hubble (NASA-ESA) en décembre 1995. Baptisé Sondage profond Hubble (HDF pour Hubble Deep Field), il résulte d'une observation de plus de 40 heures répartie sur une dizaine de jours d'une même région du ciel dans la constellation de la Grande Ourse. Sur cette image, plus de 3000 galaxies ont pu être identifiées dont certaines à des distances excédant dix milliards d'année-lumière. Pour compléter cette image obtenue en lumière visible et infrarouge, les astronomes ont également observé la même région dans d'autres domaines de longueurs d'onde, notamment le domaine sub-millimétrique (longueur d'onde entre 100 microns et un millimètre), un domaine qui permet de détecter des régions plus froides, comme notamment des nuages cosmiques de gaz et de poussières.
Dès 1998, les scientifiques ont ainsi découvert dans le sondage Hubble, la source HDF850.1, une source extrêmement puissante de rayonnement sub-millimétrique qu'ils ont identifiée comme une galaxie produisant un fort rayonnement en raison d'une très intense formation d'étoiles au coeur de nuages denses. Mais cette galaxie particulière n'apparaissait pas sur l'image du satellite Hubble car les nuages de gaz de poussières sont totalement opaques à la lumière visible. Du même coup, il devenait impossible de déterminer sa distance par les méthodes classiques du décalage vers le rouge de la lumière visible.
A gauche : la galaxie HDF850.1 (marquée par une croix) est totalement invisible sur l'image de fond du Sondage profond Hubble. A droite : contours de l'émission de la galaxie HDF850.1 dans la raie du carbone ionisé (CII) observée en sub-milimétrique à l'IRAM et superposée sur l'image du Sondage profond Hubble (HDF) en lumière infrarouge. La croix marque la position de la galaxie HDF850.1 et les contours bleus et rouges respectivement l'émission en rapprochement et en éloignement par rapport à la position de la galaxie. L'emission de la raie CII a permis de mesurer le décalage vers le rouge et d'évaluer la distance exacte de la galaxie. Crédits Walter IRAM / HST
C'est grâce à une l'amélioration notable de l'instrumentation du réseau d'antennes sub-millimétriques IRAM du Plateau de Bure (Hautes-Alpes, France) que cette mesure vient d'être rendue possible. L'interféromètre IRAM (pour Institut de Radioastronomie Millimétrique) est constitué d'un ensemble de six antennes mobiles de 15 mètres de diamètre pouvant être séparées par plus de 700 mètres. L'amélioration des détecteurs aux foyers de ces antennes permet aujourd'hui de mesurer de très faibles flux. Les astronomes ont ainsi pu pour la première fois mesurer dans la distribution de lumière sub-millimétrique de la galaxie, des raies caractéristiques du carbone ionisé (CII) et du monoxyde de carbone (CO). C'est le décalage vers le rouge de ces raies qui a permis de mesurer la distance de la galaxie HDF850.1, plus de 14 ans après sa découverte.
Les six antennes de l'Institut de Radioastronomie Millimétrique (IRAM) au sommet du Plateau de Bure dans les Hautes-Alpes (France). Ces antennes d'un diamètre de 15 mètres chacune permettent de capter le rayonnement sub-millimétrique du ciel. L'IRAM est un institut européen regroupant le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique-France), l'Institut Max-Plank (Allemagne) et l'Instituto Geográfico Nacional (Espagne). Crédits IRAM
Le résultat a été surprenant : HDF850.1 a un décalage vers le rouge de 5,2, ce qui la place avec les paramètres cosmologiques actuels et l'effet de l'expansion à une distance de 26 milliards d'années, sa lumière ayant été émise lorsque l'univers n'avait que 8% de son âge actuel. Et pourtant cette galaxie est déjà dans une phase intense de formation d'étoiles. L'intensité de son rayonnement sub-millimétrique révèle en effet qu'elle convertit en étoiles plus de 850 masses solaires par an (par comparaison notre galaxie convertit seulement quelques masses solaires par an). La masse totale de la galaxie est d'environ 130 milliards de fois la masse du Soleil. Les astrophysiciens ont par ailleurs découvert que cette galaxie faisait probablement partie d'un groupe d'une douzaine d'autres galaxies à la même distance. HDF850.1 apparait donc aujourd'hui comme la galaxie la intense dans cette région de l'univers au coeur d'un groupe de galaxies plus faibles. Avec cette observation, les astrophysiciens commencent donc à découvrir le comportement des galaxies aux débuts de l'univers, une exploration qu'ils vont pouvoir bientot poursuivre grâce à un très grand réseau de cinquante antennes actuellement en fin de construction dans le désert d'Atacama, au nord du Chili. L'instrument, baptisé ALMA (pour Atacama Large Millimeter/submillimeter Array), devrait être mis en service en 2013 et a pour principal objectif l'étude de l'apparition des premières galaxies de l'univers.
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Publication :
“The Intense Starburst HDF850.1 in a Galaxy Overdensity at z=5.2 in the Hubble Deep Field”
F. Walter, R. Decarli, C. Carilli, F. Bertoldi, P. Cox, E. Da Cunha, E. Daddi, M. Dickinson, D. Downes, D. Elbaz, R. Ellis, J. Hodge, R. Neri, D. Riechers, A. Weiss, E. Bell, H. Dannerbauer, M. Krips, M. Krumholz, L. Lentati, R. Maiolino, K. Menten, H.-W. Rix, B. Robertson, H. Spinrad, D. Stark, D. Stern
publié dans le numéro du 14 juin de la revue Nature
pour une version électronique: Fichier PDF (0.4Mo)
Voir aussi : le communiqué de l'Institut de Radioastronomie Millimétrique (14 juin 2012, en anglais)
: le communiqué du Max-Planck Institute for Astronomy (14 juin 2012, en anglais)
Voir également : "Comment nourrir les trous noirs géants ?", 10 novembre 2011
"Record de distance pour un amas de galaxies évolué", 10 mars 2011
" De très jeunes galaxies géantes" , 20 mai 2010
"Première détection de gaz moléculaire dans des jeunes galaxies", 23 Janvier 2008
Notes :
[1] Emanuele DADDI a reçu en 2012 la médaille de bronze du CNRS pour la qualité de ses travaux de recherche.
Rédaction: J.M. Bonnet-Bidaud
• Structure et évolution de l'Univers › Evolution des grandes structures et des galaxies
• Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM
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