Les réactions d’arrachage (knockout) de nucléon à haute énergie sont très utilisées pour sonder la structure des noyaux exotiques de courte durée de vie. Elles permettent d’apporter des informations uniques sur la fonction d’onde du noyau étudié. Ces informations sont extraites des sections efficaces expérimentales à l’aide de modèles théoriques. En général, ces modèles supposent que l’énergie cinétique du projectile est grande par rapport à la vitesse des nucléons à l’intérieur du noyau.
Une équipe du Service de Physique Nucléaire de l’IRFU a effectué une étude précise du mécanisme de réaction d’arrachage d’un nucléon à partir de faisceaux de 14O et 16C produits par fragmentation au National Superconducting Cyclotron Laboratory aux Etats Unis.
Ce travail met à jour des limites des approches théoriques actuelles du mécanisme de réaction et quantifie leur domaine de validité pour l’étude des noyaux exotiques. Les données obtenues serviront de référence pour la modélisation de l’arrachage d’un nucléon dans le domaine d’énergie considéré.
F. Flavigny et al., accepté pour publication dans Physical Review Letters (2012).
La structure en couche du noyau atomique est loin d’avoir révélé ses mystères. Les noyaux exotiques, riches ou déficients en neutrons, ne présentent pas la même structure en couches que les noyaux stables. Ces modifications de structure, issues de la compétition de plusieurs termes de l’interaction entre nucléons dans le noyau, restent à explorer.
Comment sonder la fonction d’onde des noyaux exotiques ?
Instables, d’une durée de vie souvent inférieure à la seconde, ils ne peuvent être assemblés en cible pour être bombardés de faisceaux d’électrons ou d’ions lourds comme on étudie les noyaux stables.
La spectroscopie des noyaux instables peut être effectuée en cinématique inverse, c’est-à-dire en formant le noyau d’intérêt par une réaction nucléaire puis en le collectant pour en former un faisceau envoyé sur une cible de noyaux stables et produire les réactions nucléaires permettant de l'étudier.
Différentes réactions nucléaires peuvent être choisies pour peupler et étudier des états nucléaires différents. Les réactions d’arrachage d’un nucléon, proton ou neutron, permettent de sonder la fonction d’onde du noyau en mesurant la section efficace du processus. La section efficace est, en quelque sorte, un comptage des nucléons sur certaines orbitales quantiques du noyau. Ce comptage n’est cependant possible que si le mécanisme de réaction est bien maîtrisé sur le plan théorique.
Illustration du mécanisme de réaction d'arrachage d'un nucléon. Une des réactions étudiées dans ce travail est l'arrachage d'un neutron sur une cible de 9Be à partir de 14O pour former 13O. La mesure de la distribution en vitesse des 13O issus de la réaction démontre la limite des approximations faites dans les modèles actuels. Les couleurs de points indiquent des mesures indépendantes.
Des chercheurs du Service de Physique Nucléaire de l’IRFU ont récemment montré que l’arrachage rapide d’un nucléon à des vitesses incidentes autour de 30% de la vitesse de la lumière pouvait être beaucoup plus complexe que cela n’est décrit par les modèles actuels. Une compréhension plus fine du mécanisme de réaction est nécessaire pour espérer en déduire des informations solides de structure du noyau.
Plusieurs analyses publiées sont suspectées de souffrir de cette limitation.
Certains noyaux exotiques ont en effet la particularité d’être très peu liés : le mécanisme de réaction d’arrachage aux énergies considérées serait trop complexe pour être considéré comme direct. Leur étude montre que le cœur du noyau exotique, i.e. le noyau résiduel une fois le nucléon arraché, est si fragile que la réaction peut l’exciter et le casser. Ces excitations du cœur ne sont pas prises en compte dans les analyses d’aujourd’hui.
Il est aussi montré que l’arrachage de nucléons très liés à ces énergies pouvait être inhibé, voir interdit : l’énergie de séparation du nucléon dans le noyau doit être prise en compte dans le modèle si elle n’est pas négligeable devant l’énergie incidente par nucléon du faisceau. Ces effets sont connus mais avaient été comme oubliés dans les analyses récentes. Les calculs théoriques de la figure 1 montrent la différence entre des prédictions supposant un arrachage rapide (modèle « courant ») et un mécanisme où l’énergie de séparation du nucléon est explicitement prise en compte (modèle « plus complexe »).
Aujourd’hui, l’excitation du cœur fragile des noyaux exotiques n’est pas prise en compte dans la modélisation.
Outre le développement de modèles plus précis, la solution offerte aux physiciens pour étudier les noyaux exotiques pourrait être de considérer expérimentalement des mécanismes de réaction mieux modélisés comme le transfert d’un nucléon à basse énergie, comme ce sera le cas à SPIRAL2, ou l’arrachage de nucléons à beaucoup plus haute énergie. Le choix de cibles de structure simple, comme le proton, sont aussi à privilégier pour minimiser la complexité du mécanisme de réaction.
Outre le développement de modèles plus précis, la solution offerte aux physiciens pour étudier les noyaux exotiques pourrait être de considérer expérimentalement des mécanismes de réaction mieux modélisés comme le transfert d’un nucléon à basse énergie, comme ce sera le cas à SPIRAL2, ou l’arrachage de nucléons à beaucoup plus haute énergie. Le choix de cibles de structure simple, comme le proton, sont aussi à privilégier pour minimiser la complexité du mécanisme de réaction.