Depuis l'annonce spectaculaire de juillet 2012, les physiciens ont analysé deux fois et demie plus de données que ce qui était alors disponible. Leurs derniers résultats ont été présentés jeudi 7 mars à La Thuile, dans les Alpes italiennes, lors des "Rencontres de Moriond", la première conférence de physique majeure de l'année.
L’enjeu principal des études menées par les collaborations ATLAS et CMS auxquelles l’IRFU participe activement est de vérifier (ou d’infirmer !) si le boson découvert est bien le boson de Higgs prédit par le modèle standard de la physique des particules. L'identification formelle de cette particule comme un boson de Higgs passe par une analyse détaillée de ses propriétés quantiques et de la façon dont elle interagit avec d'autres particules. Ainsi, dans le modèle standard, le boson de Higgs est supposé avoir comme propriété un spin nul, et sa parité, c'est-à-dire la façon dont se comporte son image miroir, doit être positive (ce qu’on note SpinParité= JP = 0+).
La détermination du spin et de la parité du boson candidat Higgs s’effectue à partir des particules issues de sa désintégration. Les différents angles des vecteurs-impulsion des particules « filles » avec la ligne de vol du boson sont caractéristiques des deux nombres quantiques JP de la particule « mère ».
Canal du Higgs en 2 photons
La figure à gauche montre, dans le cas de la désintégration H → γγ, la distribution expérimentale de l’angle θ* entre la direction des photons et la ligne de vol du boson de Higgs, comparée avec celles attendues pour les hypothèses de spin/parité JP = 0+ (courbe bleue) et JP = 2+ (courbe rouge). Les données ATLAS de 2012 (points bleus ou rouges)* favorisent clairement la première hypothèse prédite par le modèle standard avec un niveau de confiance de 99%.
*La méthode de soustraction du bruit de fond dépend très légèrement de l’hypothèse que l’on fait pour simuler le signal. C’est pourquoi il y a deux sortes de résultats expérimentaux.
Canal du Higgs en 4 leptons
Le groupe ATLAS-Saclay participe activement à cette étude. La désintégration H→ZZ→4l met en jeu cinq angles. Pour chaque événement candidat Higgs, une quinzaine environ, on construit à partir de toutes les impulsions mesurées dans le centre de masse du Higgs une grandeur statistique appelée rapport de vraisemblance, notée ici L(H0)/L(H1), dont la valeur moyennée sur plusieurs événements dépend de la parité du Higgs.
Pour chaque hypothèse, JP=0+ ou JP=0-, on simule un grand nombre de « pseudo-expériences » (générant des événements donnant 4 leptons dans l’état final) comportant la même statistique que l’expérience correspondant aux données vraies.
Sur la figure ci-contre, la valeur de cette grandeur obtenue avec les données vraies d’ATLAS (indiquée par la ligne noire verticale) est comparée aux distributions obtenues pour les deux ensembles de pseudo-expériences, en bleu pour l’hypothèse 0+ et en rouge pour 0-. La valeur expérimentale, située au milieu de la distribution bleue, indique que les données sont en bien meilleur accord avec l’hypothèse J=0+ du modèle standard et rejette l’hypothèse 0- avec un niveau de confiance de 97,8%.
Il est donc possible d’affirmer que ce nouveau boson est très probablement un boson scalaire de parité positive. Mais un boson de Higgs non standard pourrait aussi avoir de tels nombres quantiques JP = 0+. Ces seules quantités ne suffisent pas à trancher.
Couplage du Higgs aux bosons et aux fermions
Depuis sa découverte en juillet 2012, seules les mesures de production de Higgs se couplant aux bosons directement (H → WW, H → ZZ) ou indirectement (H → γγ) ont conduit à des résultats significatifs dans ATLAS et CMS. A la conférence de Moriond, une nouvelle mesure du Higgs se couplant aux fermions H → ττ a été présentée par la collaboration CMS.
La figure ci-contre montre l’intensité du signal normalisée à celle attendue dans le modèle standard pour les différents canaux de désintégration des leptons τ : τ → l ντ νl (l = e ou m) ou τ → ν pions ντ (canal de désintégration hadronique τh en un ou plusieurs pions). Le groupe CMS de l’IRFU a contribué à l’étude du canal μτh qui a le poids le plus élevé dans la combinaison finale.
La valeur combinée pour tous les canaux, σ/σSM = 1.1 ± 0.4, est proche de celle attendue pour un boson de Higgs standard. La mesure la masse mH = 120 +9-7 GeV est compatible avec celle mesurée dans les canaux γγ et ZZ. C'est donc la première indication forte (à 2,85 σ pour une masse de 125 GeV) que la nouvelle particule couple directement aux fermions.
Encore de la patience pour le baptême du Higgs
La question reste encore ouverte de savoir s'il s'agit bien du boson de Higgs du modèle standard, ou plutôt du plus léger d'un ensemble de bosons prédits dans certaines théories au-delà du modèle standard comme la supersymétrie, pour laquelle l’intensité des interactions avec certaines particules du modèle Standard est très légèrement différente. Répondre à cette question est l’enjeu majeur des prochaines campagnes de prise de données à l’énergie nominale du LHC d’environ 13 TeV, qui débuteront en 2015. Cette montée en énergie qui sera accompagnée d’une montée en luminosité, permettra de produire beaucoup plus de bosons de Higgs en moins de temps et, plus largement, explorera de nouvelles régions de création de nouvelles particules.
contacts: (ATLAS), (CMS)
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