Une équipe commune du service de physique nucléaire (SPhN) et du service d'Electronique des Détecteurs et d'Informatique (Sedi) de l'Irfu a récemment conçu et testé avec succès un prototype de détecteur gazeux Micromegas doté d’une technique innovante de multiplexage permettant de réduire notablement le nombre de voies d'électronique tout en conservant une excellente résolution spatiale. Ce premier prototype Micromegas de 50x50 cm² est équipé de 1024 pistes mais seulement de 61 voies d’électronique. Ce multiplexage qui a fait l’objet d’un dépôt de brevet permet de diminuer le coût des détecteurs et ouvre la voie à de nombreuses applications en dosimétrie, imagerie médicale et en physique des particules.
Pourquoi multiplexer ?
Les expériences de physique requièrent de nos jours la détection de particules sur des surfaces de plus en plus grandes, avec une excellente résolution spatiale. Cela nécessite la construction de détecteurs comportant des milliers d’éléments de lecture – pistes, fils, pixels – et le même nombre de voies d’électronique.Dans la plupart des cas, le budget de l’électronique représente ainsi une fraction significative du coût total d’un projet. Cela pose également des problèmes d’intégration, de refroidissement, de consommation qui peuvent devenir prohibitifs pour certaines applications. Pourtant, le flux de particules incidentes par élément de lecture n’est souvent pas critique. Pour un événement donné, le signal utile est ainsi localisé sur quelques voies d’électronique seulement, les autres ne portant aucune information. La possibilité de connecter plusieurs éléments de lecture à une même voie d’électronique (multiplexage) apparait donc comme une source d’économie potentielle très importante, à la condition que le motif de multiplexage permette de localiser la ou les particules sans ambiguïté.
Figure 1: Principe du multiplexage à double couche (a) et du multiplexage génétique (b). Le circuit imprimé du détecteur est représenté en vert, et les pistes en rouge. Le passage d’une particule laisse un signal sur les pistes colorées en bleu. Dans le cas du multiplexage génétique, les pistes où le signal apparait ne sont consécutives qu’à l’endroit où la particule est passée.
Principe du multiplexage génétique
Un premier type de multiplexage a été mis au point au Sédi afin d’équiper le banc cosmique de CLAS12 avec de grands détecteurs de référence. Ce multiplexage, illustré sur la Figure 1 (a), utilise en fait 2 zones actives de détection situées de part et d’autre d’un même circuit imprimé, et son principe est similaire à celui du vernier d’un pied à coulisse. Un côté du circuit est équipé de 32 pistes larges – de l’ordre du cm – pour localiser grossièrement le passage d’une particule. L’autre côté est composé d’un peigne de 32 pistes beaucoup plus fines – de l’ordre de 0,5 mm – qui se répète à l’identique sous chacune des 32 pistes larges. La détection simultanée d’un signal sur chacun des détecteurs permet de localiser la particule avec une précision donnée par la taille des pistes fines. On aboutit ainsi à un détecteur de 32x32=1024 pistes mais équipé de seulement 32+32=64 voies d’électronique.
Ce type de multiplexage a été utilisé avec succès pour les 6 détecteurs de 50x50 cm² du banc de test en cosmiques qui ont été fabriqués à l’atelier Micromegas du Sédi. Il présente néanmoins quelques inconvénients, notamment lorsque les particules passent au bord d’une piste large, ou lorsque plusieurs particules traversent le détecteur simultanément. Pour pallier ces inconvénients, un nouveau type de multiplexage a été mis au point au SPhN, permettant de localiser la zone de passage de la particule sans utiliser le détecteur à larges pistes.
Ce multiplexage repose sur l’hypothèse qu’une particule laisse un signal sur au moins deux pistes fines consécutives dans un détecteur, hypothèse très raisonnable dans le cas des détecteurs gazeux à micro-pistes, grâce à la diffusion transverse des électrons dans le gaz. Supposons que deux voies d’électronique données soient chacune connectées à plusieurs pistes sur le détecteur, de telle manière que seulement deux de ces pistes soient adjacentes. Si un signal est enregistré sur ces deux voies, il ne peut ainsi provenir que d’une particule ayant traversé le détecteur au voisinage du couple de pistes adjacentes, ce qui localise la particule sans ambigüité.
Ce principe est illustré sur la Figure 1 (b). Une construction systématique d’un tel motif a été mise au point, et permet par exemple de lire un détecteur composé de 1831 pistes avec seulement 61 voies d’électroniques. Ce multiplexage est ainsi deux fois plus efficace que le précédent. Il ne nécessite en outre qu’une seule face de détection, et peut être facilement ajusté au flux de particules incidentes en adaptant le degré de multiplexage. Il peut également être généralisé à des cas où le signal est déposé sur au moins k pistes, k>2, ainsi qu’à d’autres types de détecteurs comme les chambres à dérive. Le nom de multiplexage génétique a été choisi par analogie avec l’ADN, puisqu’une séquence de voies d’électroniques code de manière unique la position sur le détecteur. Il a fait l’objet d’un dépôt de brevet1, et la rédaction d’un article est en cours.
Validation avec un prototype Micromegas et perspectives
Un prototype de même taille que les 6 détecteurs du banc cosmique a été réalisé à l’atelier Micromegas du Sédi à partir d’un schéma de connexion illustré sur la Figure 2, et testé avec succès dans le banc cosmique de CLAS12. Le démultiplexage des données a montré que la taille des clusters dans le détecteur est effectivement supérieure ou égale à 2 dans la grande majorité des cas, ce qui permet de localiser la particule dans plus de 98% des événements. L’efficacité de détection a été estimée à plus de 90%, et ce malgré des capacités de pistes de 1,3 nF.
Il est prévu de réaliser prochainement un Micromegas identique à ce prototype, mais équipé de la technologie dites de pistes résistives, afin d’atteindre une efficacité de détection très proche de 100% et une plus grande robustesse du détecteur. Ce détecteur devrait être testé d’ici fin 2013 dans une expérience de tomographie muonique en collaboration avec l’Institut de Physique du Globe de Paris. Un financement interne à l’IRFU est à l’étude pour réaliser un démonstrateur XY résistif de 1 m², et équipé de moins de 200 voies d’électronique. L’adaptation du degré de multiplexage permet d’envisager d’autres applications en dosimétrie, en imagerie médicale, en contrôle de containers et en physique des particules, y compris pour les expériences du LHC.
Référence :
(1) Brevet n° 12 62815 : « Circuit de connexion multiplexé et dispositif de
connexion permettant notamment de réaliser un multiplexage » (S. Procureur, R. Dupré, S. Aune)
Contact : Sébastien Procureur (IRFU/SPhN)
Stéphan Aune (IRFU/Sédi)
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