En utilisant les dernières données de l’observatoire spatial Herschel, une équipe internationale coordonnée par le Service d'Astrophysique- Laboratoire AIM Paris Saclay (CEA-Irfu – CNRS - Université Paris Diderot) a mis en évidence l’impact des étoiles massives sur la formation des autres étoiles dans les nuages moléculaires. Les chercheurs ont pu montré que les étoiles les plus massives en évaporant le gaz des nuages par leur rayonnement provoquaient également un effet de compression capable de donner lieu à une nouvelle génération d’étoiles. Ces résultats sont publiés dans la revue Astronomy & Astrophysics d'avril 2014
Les nuages moléculaires, constitués de gaz moléculaire et de poussière interstellaire convertissent une fraction de leur masse en étoiles en s'effondrant sous l'effet de la gravité. Les étoiles qui naissent ont alors une large gamme de masses différentes réparties selon une distribution dénommée "fonction de masse initiale". Les étoiles de type solaire et surtout les naines rouges plus petites que le Soleil dominent largement en nombre tandis que les étoiles massives et les naines brunes sont minoritaires. Pourtant, les étoiles les plus massives jouent un rôle prépondérant par la suite, car, par l'effet de leur puissant rayonnement et leurs explosions à la fin de leur courte vie, elles parviennent à disperser les nuages.
Il etait communément admis jusqu'ici que ces processus de compression du gaz et de dispersion étaient indépendants. Or les observations du satellite Herschel démontrent sans ambiguïté que l’expansion du gaz ionisé provoqué par la rayonnement ultra-violet des étoiles massives compresse en réalité le reste du nuage et forme ainsi une nouvelle génération d’étoiles même pendant la phase d’ionisation et d’érosion du nuage.
La première partie de l'étude des chercheurs a été conduite à l’aide de simulations numériques au sein du laboratoire LMPA (Laboratoire de modélisation des Plasmas Astrophysiques). Grâce au code d’hydrodynamique radiative HERACLES développé au CEA, la modélisation de l’interaction entre l’ionisation des étoiles massives et la turbulence des nuages moléculaires a mis en évidence deux régimes. Lorsque la turbulence est plus faible que la pression du gaz ionisé, ce dernier peut s’étendre et comprimer le nuage, formant ainsi une couche de gaz dense qui est déformée par les inhomogénéités du nuage. Lorsque cette couche est suffisamment courbée, des piliers de gaz denses se forment, comme les Piliers de la Création. A l’inverse, lorsque la turbulence est plus forte, la compression n’est pas efficace et des “grumeaux” se détachent du nuage moléculaire sous l’effet de l’agitation turbulente, formant ainsi des globules ( voir la vidéo de la simulation HERACLES)
Simulations numériques de l'ionization d'un nuage turbulent avec le code HERACLES. L'ionization par le rayonnement des étoiles massives est introduite par le haut pendant un million d'années sur un nuage dense dans deux cas différents.
A gauche: le nuage initial est peu turbulent (les fluctuations de vitesse sont de l'ordre de la vitesse du son ou Mach 1). La pression du gaz ionisé des étoiles l'emporte sur la pression turbulente du nuage et la compression par le gaz ionisé est très forte. Le gaz comprimé apparait en jaune/blanc. Dans ce cas, le nuage sera façonné en piliers denses.
A droite : la turbulence initiale du nuage est beaucoup plus importante (les fluctuations de vitesse sont 4 fois plus importantes que la vitesse du son ou Mach 4). La compression par le gaz ionisé est beaucoup moins efficace. Dans ce cas, on voit des grumeaux de gaz froid se détacher pour former des globules de mat!ère. Crédits Sap/HERACLES.
Ces nouveaux modèles pour la formation des piliers et des globules donnent lieu à des signatures particulières dans le champ de vitesse et de densité du gaz et ils ont pu être confronté aux observations grâce aux nouvelles données prises par le satellite Herschel et grâce à des observations de raies moléculaires faîtes par des radio-observatoires sur Terre dans les nébuleuses de l’Aigle et de la Rosette.
Les observations avec Herschel permettent de contraindre la structure en densité de la poussière autour du gaz ionisé et les données en raies moléculaires permettent de déterminer la structure du champ de vitesse du gaz. Ainsi il est possible d’avoir les informations nécessaires pour comparer les observations aux simulations numériques qui contiennent ces deux informations. L’origine turbulente des globules dans la nébuleuse de la Rosette a ainsi pu être mis en évidence grâce à l’observation de leur champ de vitesse alors que la nature plus calme et compressée des piliers dans la nébuleuse de l’Aigle a été identifiée grâce à la combinaison des données en raies moléculaires et des données Herschel.
Carte trois couleurs montrant la position du gaz chaud couleurs (vert : Herschel 70 um/ bleu : Halpha) par rapport au gaz dense et comprimé (rouge : Herschel 250 um). Les Piliers de la Création sont indiqué par Pc1 Pc2 et Pc3, les sources principales d’ionisation par les croix blanches et les zones les plus denses sont tracés par le squelette blanc (algorithme DisPerSe). Crédits SAP/ESA Herschel
En plus d’apporter des nouvelles connaissances sur la formation des piliers et des globules à l’interface entre les nuages moléculaires et le gaz ionisé, les nouvelles observations réalisées avec Herschel permettent d’analyser la structure globale des nuages moléculaires. Lorsque le nuage est dominé par la turbulence, la distribution de sa densité prend une forme caractéristique qu’on appelle lognormale, centrée autour de la densité moyenne du nuage. Autour des zones ionisées un second pic de gaz comprimé a pu être mis en évidence dans les simulations numériques et dans les observations. Cette seconde composante lognormale est aussi plus importante, plus on est proche des étoiles ionisantes, ce qui démontre le lien avec le gaz ionisé.
A gauche : Densité de gaz intégré sur la ligne de visée dans la direction de la Nébuleuse de l’Aigle (Messier 16) déduite à des observations Herchel. Les cercles représentent les 4 differentes zones dans lesquelles la distribution de la densité de colonne du gaz est calculée. A droite : Distributions de densité du gaz en fonction de l’éloignement aux sources ionisantes. Le double pic est particulièrement bien identifiable dans la région 1+2+3. La première composante lognormale correspond au nuage turbulent, la deuxième, plus dense, correspond au gaz froid compressé par l’expansion du gaz ionisé et chaud. crédits SAp/ESA Herschel
Ce « double pic » dans la distribution de la densité du gaz modifie profondément notre vision de la formation des étoiles. Les modèles qui existent à l’heure actuelle se basent essentiellement sur des modèles de nuages gravo-turbulents qui supposent une distribution avec une seule lognormale pour la densité. Pour obtenir la bonne distribution d’étoile à partir de ces nuages, les modèles ont besoin d’une distribution lognormale très large et donc de supposer une turbulence très élevée dans les nuages, beaucoup plus importante que ce qui est observé habituellement. Or en prenant en compte la compression venant de l’expansion du gaz ionisé, la seconde composante lognormale donne une distribution globale beaucoup plus large tout en gardant un niveau de turbulence initial raisonnable pour le nuage. Ainsi prendre en compte les effets de compressions pendant les phases d’ionisation et d’érosion des nuages peut donner lieu à une nouvelle génération d’étoile qui apportera une distribution globale des étoiles cohérente avec la distribution finale observée dans notre galaxie.
Contacts : Pascal Tremblin , Vincent Minier
« Ionization compression impact on dense gas distribution and star formation. Probability density functions around H II regions as seen by Herschel »
P. Tremblin, N. Schneider, V. Minier et al. 2014, Astronomy & Astrophysics, vol 564, A106, Avril 2014
"Pillars and globules at the edges of H ii regions. Confronting Herschel observations and numerical simulations"
P. Tremblin, V. Minier, N. Schneider et al. 2013, Astronomy & Astrophysics, Volume 560, A19
"Three-dimensional simulations of globule and pillar formation around HII regions: turbulence and shock curvature"
P. Tremblin, E. Audit, V. Minier et al. 2012, Astronomy & Astrophysics, Volume 546, A33
voir aussi : - Les étoiles massives façonnent les filaments interstellaires (25 février 2013)
- Bouleversement dans la compréhension des étoiles (Dossier de presse - 29 avril 2011)
- Herschel dénoue les filaments interstellaires (13 avril 2011)
- Images d'étoiles avant leur naissance (17 décembre 2009)
- Cascade de naissances dans les nuages sombres (30 septembre 2009)
Rédaction : P. Tremblin, V. Minier, J.M. Bonnet-Bidaud
• Structure et évolution de l'Univers › Planètes, formation et dynamique des étoiles, milieu interstellaire
• Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM
• Dynamique des Etoiles, des Exoplanètes et de leur Environnement • Modélisation des Plasmas Astrophysiques
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