Les neutrons retardés jouent un rôle primordial pour le pilotage des réacteurs. Ils sont aussi utilisés dans certaines techniques d’interrogation de colis de déchet ou de détection de matières nucléaires. Une équipe du CEA a récemment déterminé les rendements des neutrons retardés produits par la fission du thorium induite par des neutrons de 2 à 16 MeV, une partie de cet intervalle n’ayant jamais été explorée à ce jour.
Origine des neutrons retardés
Lors de la fission des actinides, la majorité des fragments produits sont radioactifs. Ces fragments riches en neutrons rejoignent la vallée de stabilité par décroissance ß-. Lorsque le noyau fils est produit avec une énergie d’excitation supérieure à l’énergie de liaison d’un neutron, il y a émission d’un neutron. Puisque ces neutrons sont émis après la décroissance ß- , ils sont appelés retardés et le fragment d’origine est appelé précurseur de neutrons retardés (Fig. 1).
Il existe plus de 200 noyaux précurseurs. Ils sont généralement représentés en 6 groupes, chaque groupe étant caractérisé par un temps de vie (Ti) et une abondance relative (ai). La distribution temporelle du nombre de neutrons émis en fonction du temps est donnée par :
où νd est le rendement de neutrons retardés défini par le nombre de neutrons par fission, ai l’abondance relative du groupe i (1), et nf le taux de fission.
Rôle des neutrons retardés dans le pilotage des réacteurs.
Les rendements de neutrons retardés des actinides sont importants pour la physique des réacteurs. Bien que de faible proportion (1%) par rapport aux neutrons prompts, les neutrons retardés augmentent le temps moyen d’émission de neutrons et permettent ainsi de contrôler la réaction en chaîne.
Certaines études de réacteurs REP chargés en Th-U ou Th-Pu ou des réacteurs innovants au Thorium sont en cours. La proportion des fissions issues du Thorium est faible, mais le rendement des neutrons retardés du Thorium est 10 fois plus grand que ceux du Plutonium et de l’Uranium. Il est donc nécessaire d’avoir une bonne connaissance des rendements mis en jeu. De plus, les incertitudes et les corrélations sur les données des rendements sont nécessaires au calcul de l’incertitude sur la réactivité globale d’un réacteur.
Les physiciens du CEA ont mesuré les neutrons retardés du Thorium et extrait les valeurs de νd pour des neutrons incidents de 2 à 16 MeV permettant ainsi de balayer la zone de transition entre les fissions de première (Th(n,f)) et deuxième chance (Th(n,nf)). Une attention particulière a été portée sur le calcul des incertitudes et des corrélations. Les résultats retenus jusqu’à maintenant par les évaluateurs (Fig. 2, symboles bleus) ne permettaient pas de valider ou d’invalider les prédictions puisque la zone de transition attendue (~4-5 MeV) n’était pas couverte.
Mesures
La mesure du CEA a été réalisée au PTB (Physikalisch-Technische Bundesanstalt) de Braunschweig grâce à un financement Efnudat (contrat européen). Ce laboratoire de métrologie possède deux accélérateurs : un Van de Graaff et un cyclotron. Ceux-ci permettent de produire, grâce à différentes réactions (3H(p,n)3He, 2H(d,n)3He et 3H(d,n)4He), des faisceaux de neutrons intenses et quasi-monocinétiques sur la gamme en énergie d’intérêt. Le détecteur de neutrons retardés est constitué de 12 compteurs 3He placés dans un cylindre de polyéthylène recouvert de Cadmium. La cible de Thorium de 182 g est placée à l’intérieur du cylindre (Fig.3). La technique de mesure consiste à alterner des périodes d’irradiation et des périodes de comptage et nécessite une connaissance précise des intensités et énergies des neutrons incidents.
Fig. 3 Dispositif expérimental. A gauche le détecteur dans le hall expérimental. A droite une vue rapprochée du détecteur constitué de 12 compteurs Hélium 3 insérés dans un cylindre de CH2.
Résultats
Les résultats obtenus pour les rendements de neutrons retardés du Thorium ont été publiés récemment [1]. Ils sont représentés sur la Figure 2 avec des symboles rouges. Ils montrent la dépendance habituelle qui consiste en 2 plateaux reliés par une dépendance linéaire. La précision des mesures du CEA est meilleure ou comparable à ce qui a été publié par les autres équipes. Elle permet de discriminer entre les bibliothèques américaines (ENDF) et japonaise (JENDL). Les résultats expérimentaux seront inclus dans la base de données EXFOR en remplacement des résultats préliminaires.
En plus d’être un élément essentiel pour le pilotage des réacteurs, ce type de données est utilisé pour la conception de dispositifs d’interrogation de colis de déchets ou de détection de matières nucléaires. Dans ce cadre des mesures de rendements de neutrons retardés issus de la photofission des actinides ont aussi été réalisées lors du programme PhotoNuc de l’Irfu. Les résultats, ont été transmis aux collaborateurs de la DAM et de la DRT qui développent des plates-formes de caractérisation de colis et des portiques de détection de matières nucléaires dans les ports.
Les rendements de neutrons retardés permettent aussi d’améliorer notre connaissance du processus de fission. Ces rendements résultent d’une succession de processus allant du partage de l’énergie d’excitation au rôle des effets pairs-impairs. Ils sont donc des observables intégrées permettant de valider les modèles.
[1] référence : Annals of Nuclear Energy 76 (2015) 514–520
Contact : Diane Doré ; X. Ledoux (CEA-DIF)
• Structure de la matière nucléaire › Dynamique des réactions nucléaires L'énergie nucléaire
• Le Département de Physique Nucléaire (DPhN)
• Laboratoire d'études et d'applications des réactions nucléaires (LEARN)