Préparation du lancement du ballon (CNES) lors du lancement du projet COCOTE à Aire-sur-l’Adour le 2 juillet 2016. La photo, prise de nuit, apparaît en fausses couleurs.
Un nouveau prototype innovant de détecteur à Silicium pixellisé à très bas bruit a été testé dans des conditions extrêmes lors d’un vol en ballon stratosphérique en partenariat avec le Centre national d’études spatiales (Cnes). Ce détecteur est au coeur d’une R&D conjointe entre le CEA/Irfu SPP et SAp, les laboratoires MPP et HLL de Munich, et le KIT de Karlsruhe, en vue de futures missions spatiales et de la recherche de nouveaux types de neutrinos, dits stériles, qui pourraient constituer la matière noire.
La traque du neutrino stérile...
Si l’existence de la matière noire, cette matière insensible à l’interaction électromagnétique que l’on n’infère que par ses effets gravitationnels, est bien établie expérimentalement, en revanche, on ne sait rien de sa nature. Elle serait constituée d’une nouvelle particule élémentaire, au delà du modèle standard de la physique des particules. De nombreux candidats sont à l’étude. Parmi eux les wimps (souvent dénommés « mauviettes »), des particules interagissant faiblement, sont activement recherchés mais sans succès. La communauté scientifique s’interroge donc sur la pertinence d’autres candidats tels que les axions ou les neutrinos stériles.
Ces neutrinos d’un genre particulier apparaissent dans plusieurs extensions du modèle standard. Contrairement à nos neutrinos familiers, les neutrinos stériles n’interagissent pas par interaction faible. Si on prend en compte les contraintes imposées par la cosmologie et les observations astrophysiques ce neutrino stérile, pour pouvoir accéder au statut de candidat à la matière noire, devrait avoir une masse de l’ordre du keV. Un livret blanc, coédité par l’Irfu, a d’ailleurs été publié récemment. Il fait désormais référence pour préparer le futur de la traque de la matière noire sous forme de neutrino stérile au keV.
En Allemagne un projet est à l’étude pour détecter les neutrinos stériles au keV. Il s’agit du projet TRISTAN, une possible extension de l’expérience KATRIN dédiée à la mesure de la masse des neutrinos déjà identifiés. Le projet TRISTAN a pour vocation de mesurer l’intégralité du spectre de désintégration bêta du Tritium. L’existence d’un neutrino stérile se traduirait par une minuscule déformation du spectre, de l’ordre d’une partie par million. Un nouveau détecteur à Silicium comprenant 100 000 pixels est donc à l’étude, en collaboration avec le Max-Planck-Institut für Physik (Munich), le laboratoire des semi-conducteurs HLL (Munich), et le Karlsruhe Institute for Technology (Karlsruhe). Un prototype de 7 pixels est actuellement caractérisé à l’Irfu par les groupes de Thierry Lasserre (SPP) et d’Olivier Limousin (SAp). Le groupe du SAp, en étroit partenariat avec le service d'Électronique des Détecteurs et d'Informatique (Irfu/Sedi), possède en effet une expertise unique dans l’électronique de lecture de ces nouveaux capteurs.
... et la détection des photons cosmiques au MeV...
Par ailleurs le groupe du SAp s’intéresse de très prêt à la détection de photons cosmiques d’énergie de l’ordre du MeV. Situé entre les observations X-dur d'INTEGRAL et celles en rayons gamma de haute énergie de Fermi et HESS/CTA, ce domaine est encore largement inexploré. Un groupe d'astrophysiciens de l'Irfu, du CSNSM, de l'IPNO et de l'APC a néanmoins décidé d'initier un programme de R&D, financé par le CNES, en vue de construire un prototype de télescope au MeV avec une bonne sensibilité. Ce télescope, basée sur la physique de la diffusion Compton, dominante dans ce domaine de longueur d'onde, repose sur l'analyse précise de tous les points d'interaction du photon gamma dans l'appareil.
Le processus d'optimisation du système de détection a conduit à la construction d’un prototype basé sur des couches diffusives superposées en Silicium (appelé le tracker), développées par l'Irfu, l'IPNO et l'APC, au dessus d'un calorimètre en bromure de Cérium (un nouveau scintillateur rapide et très lumineux) réalisé par le CSNSM. Ce prototype, précurseur de la mission eASTROGAM proposée pour l’appel M5 de l'ESA, produira sa première lumière à la fin 2016. C’est ici que l’on rejoint le projet TRISTAN car c’est la même électronique de lecture qui est à l’œuvre pour extraire les signaux des capteurs.
... se conjuguent en Cocote !
A l’issu de la remise en service de la base de lancement de ballon stratosphérique d’Aire-sur-l’Adour, l’équipe ballon du CNES proposa au mois d’avril de tester nos systèmes de détection lors d’un vol inaugural. Relevant le défi les groupes de l’Irfu, de l’APC, ainsi que leurs collaborateurs allemands ont réalisé en trois mois un mini-prototype autonome afin de tester les nouveaux concepts de détection dans des conditions extrêmes, proches de celles requises pour les vols hors-atmosphère. Le nouveau prototype, dénommé COCOTE (pour COmpact COmpton TElescope) est un petit prototype de télescope Compton associant quatre détecteurs Silicium de 7 pixels (prototype de TRISTAN) couplé à un nouveau système de lecture électronique du SAP. Il est associé à un détecteur de bromure de Cérium réalisé et testé par le CSNSM et l’IPNO.
Réalisés en un temps record de trois mois, les systèmes de détection ont pris leur envol le 2 juillet 2015 à 5 heures du matin. Il aura fallu auparavant réaliser de nouvelles cartes d’électroniques à l’Irfu et y implanter les détecteurs du HLL de Munich, inventer un système de batteries de fortune pour alimenter les détecteurs, réaliser l’interface mécanique à l’Irfu/SIS et finalement improviser un système de refroidissement à base de pains de glace afin d'éviter de griller les détecteurs à haute altitude… In extremis le système complet ne fut opérationnel que quelques heures avant le vol…
Prototype du détecteur TRISTAN couplé au système d’électronique de lecture IdeFX-HD développé à l’Irfu/(SAp et Sedi). Le détecteur à base de bromure de cérium se trouve en dessous de TRISTAN. L’ensemble est prêt à être accroché à la nacelle du ballon afin de prendre son envol dans la haute atmosphère.
L'épopée de Cocote.
L’épopée de la COCOTE, qui pouvait être suivi en direct sur Twitter, dura environ 11 heures et culmina à 29 km d’altitude. Les systèmes de détections furent soumis à des conditions atmosphériques extrêmes sous des températures dépassant les -70°C. Ils furent heureusement récupérés en bon état le lendemain après l’atterrissage amorti par un système de parachutes. Malgré les délais de réalisation tendus et une prise de risque certaine, les détecteurs fonctionnèrent comme attendus.
L’analyse des données révèle des informations intéressantes, en particulier sur l’exploitation du silicium et bromure de cérium.
Une belle aventure humaine.
Le projet COCOTE fut avant toute une belle aventure humaine réunissant les savoirs faires scientifiques et technologiques de l’Irfu, du CNRS, et des partenaires allemands. Plusieurs étudiants en thèse et post-doc participèrent au projet, depuis la conception jusqu’au vol, en passant par l’assemblage final et l’intégration dans la nacelle du ballon sur le site de lancement. Une bien belle expérience pour ces apprentis physiciens et ingénieurs, certes courte mais assurément formatrice, et en tous les cas couronnée de succès !
Laboratoires collaborant au projet :
• Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Institut de Recherche sur les lois fondamentales de l'univers (Irfu)
• Laboratoire astroparticules et cosmologie (APC, CNRS/CEA/Université Paris Diderot/ Observatoire de Paris)
• Max-Planck Institut Für Physik, Munich
• Technical University of Munich, Institute for Advance Studies, Munich
• Halbleiter Labor, Max-Planck Society, Munich
• Karlsruhe Institute for Technology (KIT), Karlsruhe
• Centre de sciences nucléaires et de sciences de la matière (CSNSM, CNRS/Université Paris Sud)
• Institut de physique nucléaire d'Orsay (IPNO, CNRS/Université Paris Sud)
• Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP)
Contacts Irfu :
Philippe Laurent (SAP)
Olivier Limousin (SAP)
Thierry Lasserre (SPP)
• Le Département d'Ingénierie des Systèmes (DIS) • Le Département de Physique des Particules (DPhP) • Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM