En utilisant des images obtenues avec le télescope spatial Hubble, une équipe internationale de chercheurs menée par Yu-Yen Chang du Service d’Astrophysique-Laboratoire AIM du CEA–IRFU a démontré que certaines galaxies hébergeant un noyau actif avaient une forme beaucoup plus compacte que celle des galaxies dont le trou noir central est inactif. Cette découverte apporte un éclairage nouveau sur les processus physiques qui alimentent la croissance des trous noirs super-massifs au cœur des galaxies lointaines (d'environ 8 milliards d'années). Elle suggère que les énormes quantités de gaz nécessaires à leur croissance pourraient être acheminées vers la région centrale suite à de violentes instabilités gravitationnelles présentes au sein meme du disque des galaxies. Ces instabilités déclencheraient une phase de contraction dynamique, expliquant ainsi la morphologie ultra-compacte des galaxies observées ici. Ces travaux sont publiés dans la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.
Les observations menées ces dernières décennies ont apporté des contraintes très fortes sur les conditions extrêmes qui règnent parfois au centre des galaxies. En particulier, les astronomes pensent que chacune d’entre elles héberge en son cœur un trou noir géant, dont la masse peut atteindre plusieurs milliards de fois celle du Soleil pour les galaxies les plus massives de l’Univers. Ces trous noirs sont dits « super-massifs », par opposition aux trous noirs d’origine stellaire qui ne pèsent que quelques dizaines de masses solaires tout au plus. S’ils ne peuvent être directement observés, c’est l’effet provoqué sur leur environnement proche qui trahit leur existence. Par exemple, le disque d’accrétion formé autour de ces trous noirs par absorption de la matière proche émet un rayonnement qui se distingue de l'émission caractéristique des régions de formation d'étoiles, et qui permet donc de sonder l’activité nucléaire des galaxies au cours de l’histoire cosmique (on parle alors de « noyau actif de galaxie »). Cependant, l’origine même de ces trous noirs géants reste un mystère, et les mécanismes physiques acheminant vers la région centrale suffisamment de matière pour les alimenter et les faire grossir jusqu'à de telles masses ne sont toujours pas élucidés.
En utilisant des images profondes obtenues par le télescope spatial Hubble, une équipe d’astrophysiciens conduite par le SAp a permis d’apporter un éclairage nouveau sur cette problématique. Les chercheurs se sont concentrés sur une population de galaxies à noyaux actifs sélectionnées dans le champ cosmologique COSMOS à une époque de l’histoire cosmique correspondant au pic de la formation des structures (décalage spectral vers le rouge z~1, soit une remontée dans le temps d’environ 8 milliards d’années). Le champ COSMOS couvre une région de 2 degrés carrés sur le ciel et dispose d’une multitude d’observations multi-longueurs d'onde en imagerie et spectroscopie, avec notamment des données profondes à haute résolution angulaire obtenues par le télescope spatial Hubble. Grâce à ces observations, les chercheurs ont comparé les caractéristiques morphologiques de leur échantillon à celles d’une population de galaxies « normales » (c’est-à-dire sans signature d’activité nucléaire), choisies à des distances cosmologiques, des masses stellaires et des taux de formation d’étoiles semblables. Contrairement à la plupart des études menées précédemment, ils se sont focalisés sur des noyaux actifs enfouis et cachés sous d’énormes quantités de poussière. Ces sources sont identifiables par leur émission dans l’Infrarouge et les rayons X, mais elles sont quasiment invisibles aux longueurs d’onde optiques. Ceci permet donc d’étudier la morphologie de leur galaxie-hôte dans le domaine visible, sans être affecté par le rayonnement du noyau qui si accessible à cette longueur d’onde perturberait fortement l’analyse. Cette approche et ces méthodes rendent ce travail original. Les chercheurs ont ainsi pu mesurer la taille des sources de leur échantillon, en ajustant pour chaque objet un modèle physique de galaxie tenant compte de la distribution spatiale de lumière contrainte dans les images obtenues par le télescope Hubble. Ils ont trouvé que les galaxies hébergeant ces noyaux actifs étaient statistiquement de plus petite taille et de forme plus compacte que les galaxies de leur échantillon de référence.
Images en trichromie obtenues par le télescope spatial Hubble dans le champ cosmologique COSMOS, pour des galaxies abritant un noyau actif enfoui sous d’importantes quantités de gaz et de poussière. Les couleurs bleues tracent la présence de jeunes régions de formation stellaire, alors que les couleurs rouges traduisent le rougissement du rayonnement sous l’effet de l’extinction. Chaque image représente un champ de 50000 années-lumière de côté à la distance de la galaxie. Crédits CEA/HST.
Mesurer la taille individuelle des galaxies distantes n’est cependant pas aisé, car les techniques utilisées pour contraindre leur profil de lumière ne rendent pas toujours compte de la complexité de leur morphologie. De plus, les régions externes du disque des galaxies distantes sont difficiles à détecter, en raison de leur très faible brillance de surface. Pour vérifier la robustesse de leur résultat, les chercheurs ont alors employé la méthode dite de « l’empilement ». Cette technique consiste à obtenir l’image moyenne d’une population de sources, en empilant les images de ces objets les unes sur les autres et en calculant pour chacun des pixels de l’image finale la moyenne des mesures individuelles dans ce pixel. Le résultat qu’ils ont obtenu est manifeste : l’image moyenne des galaxies hébergeant un noyau actif apparait beaucoup plus compacte que celle des galaxies de référence, tout comme le montre également le profil de lumière radial moyen correspondant.
Images « moyennes » des galaxies hébergeant un noyau actif enfoui dans la poussière (en haut à gauche) et des galaxies sans signature d’activité nucléaire (en haut à droite), obtenues par la méthode de l’empilement. Comme le montre la comparaison de leur profil radial moyen, les galaxies à noyau actif ont une morphologie beaucoup plus compacte que les autres.
Cette morphologie plus compacte qui caractérise les galaxies hébergeant un noyau actif ne peut pas être due à la présence d’un bulbe d’étoiles âgées plus important dans ces galaxies que dans l’échantillon de référence. Les populations stellaires évoluées étant caractérisées par des couleurs plus rouges que celles des étoiles jeunes et chaudes, les galaxies à noyau actif montreraient alors un biais en couleur, ce qui n’apparaît pas dans les observations. Les chercheurs pensent donc que ces galaxies ont plutôt subi récemment un phénomène de contraction dynamique, à l’instar d’un des mécanismes proposés pour expliquer la formation des galaxies bleues compactes. D’après les simulations hydrodynamiques à haute résolution conduites ces dernières années, cette contraction pourrait faire suite aux violentes instabilités gravitationnelles qui se déclenchent naturellement au sein du disque des galaxies riches en gaz dans l’Univers lointain. Ce mécanisme pourrait ainsi favoriser l’acheminent du gaz et de la matière du milieu interstellaire vers le cœur des galaxies, alimentant par la même occasion l’activité d’accrétion de leur trou noir central.
Contacts : Yu-Yen Chang, Emeric Le Floc'h
Publication :
“Obscured active galactic nuclei triggered in compact star-forming galaxies”
Y.-Y. Chang, E. Le Floc’h, S. Juneau, E. da Cunha, M. Salvato, F. Civano, S. Marchesi, J.M. Gabor, O. Ilbert, C. Laigle, H.J. McCracken, B.-D. Hsieh, P. Capak
publié dans la revue MNRAS, Mars 2017
DOI: https://doi.org/10.1093/mnrasl/slw247
Accès à la version électronique de la publication
Voir aussi : Comment nourrir les trous noirs géants ? (11 novembre 2011)
Les clés de l'évolution des galaxies (Point Presse - 7 juin 2013)
Rédaction : Emeric Le Floc'h