Une expérience réalisée par une équipe de physiciens nucléaires au GANIL révèle que le noyau de Plomb-207 prend une forme de poire qui oscille selon un mode bien particulier, appelé phonon octupolaire. En retirant un neutron au Plomb 208 (41 paires de protons et 63 paires de neutrons), le Plomb-207 se retrouve avec un neutron « célibataire » sur l’une des orbites internes du noyau. Les nucléons du noyau de Plomb-207 vont alors onduler à la manière d’une ola de supporters, avec plus ou moins d’enthousiasme selon l’orbite occupée. Ce résultat a fait l’objet d’une publication dans la revue Physical Letter B. en Juillet 2019.
A l’instar de tous les systèmes subatomiques, le noyau de l’atome, lorsqu’il a un trop plein d’énergie, peut présenter des comportements collectifs où tous ses constituants, les protons et les neutrons, oscillent ensemble, uniformément, à une fréquence donnée. En mécanique quantique, ce mode excité du noyau est appelé phonon. Dès lors, les différentes vibrations du noyau peuvent se décrire comme une superposition de ces phonons. Dans le noyau de l’atome, l’énergie nécessaire pour monter un nucléon - proton ou neutron - vers un état excité est du même ordre de grandeur que celle d’un phonon. Cette similarité en énergie a pour conséquence une influence mutuelle forte entre ces deux modes d’excitation.
Le 208Pb, avec 82 protons et 126 neutrons, est le dernier et le plus lourd des noyaux doublement magiques [1]. Son premier mode d’excitation est justement un phonon de symétrie dite octupolaire, c’est-à-dire en forme de poire. En retirant un neutron au 208Pb, le nucléon célibataire du 207Pb peut se coupler au phonon octupolaire du 208Pb pour former les premiers états excités de ce dernier. Si le neutron célibataire occupe une orbite de bas spin (notée p, l=1), le couplage conduit à une atténuation du phonon octupolaire. Cet effet a été largement étudié expérimentalement dans le passé. A l’inverse, si le neutron célibataire occupe une orbite de grand spin (notée i, l=6) alors le phonon est amplifié. Ce dernier mode d’excitation n’avait jamais été mis en évidence jusqu’à maintenant.
Afin de mieux comprendre ce phénomène, on peut dresser une analogie avec un mouvement de foule tel que l’on peut le voir dans un stade. Imaginons un stade non pas circulaire mais en forme de poire. Le phonon octupolaire du 208Pb serait alors une « ola » parcourant le stade rempli de supporters. Ce mouvement réalisé par des milliers de personnes peut se décrire comme une onde unique faisant le tour du stade à une vitesse quasiment constante. La somme des individualités crée ainsi un mouvement collectif où on ne distingue plus les individualités. Imaginons enfin que nous puissions mesurer l’enthousiasme de cette foule par une valeur numérique et qu’elle serait notre point de référence. Le 207Pb serait alors ce même stade, mais avec un spectateur en moins. Si ce « trou » dans les tribunes se situe dans une rangée p, alors l’enthousiasme de la « ola » retombe légèrement, toutefois sans s’arrêter. Maintenant, si un spectateur de la rangée i se déplace vers la rangé p et comble cette dernière mais crée un trou dans la rangée i, alors l’enthousiasme de la « ola » est supérieur à celle du stade plein.
Dans une expérience menée au GANIL auprès des spectromètres AGATA et VAMOS, une collaboration menée par des chercheurs du CSNSM (Orsay), du GANIL (Caen) et de l’Université de Canberra (Australie) a mis en évidence ce mode de couplage à grand spin du phonon octupolaire. En mesurant le temps de vie de l’ordre de la pico-seconde (10-12 sec.) d’un état excité particulier dans le noyau de 207Pb, ils ont pu montrer que la probabilité de transition de cet état (l’enthousiasme de la « ola ») était compatible avec une description en phonon couplé à un état de grand spin. Bien que le 207Pb soit un noyau stable, il a fallu plusieurs décennies pour établir la meilleure réaction pour créer cet état excité et la mise en service de deux spectromètres de haute sensibilité pour réaliser la mesure. En effet, c’est par une collision d’ions lourds (208Pb sur 100Mo) que le 207Pb est produit et identifié en masse (A) dans le spectromètre VAMOS. Aucun autre spectromètre au monde n’est aujourd’hui capable d’identifier de telles masses pour la vitesse relativement faible (~10% de la vitesse de la lumière) avec laquelle le 207Pb est produit. Enfin, il a fallu la sensibilité exceptionnelle du spectromètre AGATA pour mesurer le léger décalage en énergie correspondant à la décroissance de l’état étudié et en déduire son temps de vie.
Les résultats de cette étude ont été publiés dans Phys. Letter B. en Juillet 2019 [2]
Références :
[1] https://www.ganil-spiral2.eu/fr/le-ganil/la-recherche/la-physique-nucleaire/
[2] D. Ralet et al, Physics Letters B Volume 797, 10 October 2019, 134797 “Evidence of octupole-phonons at high spin in 207Pb” - https://doi.org/10.1016/j.physletb.2019.134797
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