Figure 1: photo de l’intérieur du spectromètre de l’expérience KATRIN. Crédit : KATRIN collaboration.
L'objectif principal de l'expérience KATRIN est la mesure de la masse des trois neutrinos du modèle standard de la physique des particules. Mais l'analyse du spectre de décroissance bêta du tritium permet également de rechercher la trace d'un hypothétique quatrième neutrino, appelé neutrino stérile. La collaboration vient de soumettre pour publication la première analyse (voir article) à partir de quatre semaines de données acquises en 2019. Pas de trace de ce quatrième neutrino, mais ce n'est qu'un début car la sensibilité va rapidement s'améliorer. Le spectromètre KATRIN démontre un fort potentiel pour étudier cette possible nouvelle facette du neutrino.
L'expérience internationale KATRIN, composée de 20 instituts provenant de 7 pays et située à l'Institut de Technologie de Karlsruhe (KIT) en Allemagne, est destinée à mesurer la masse des neutrinos avec une précision sans précédent. Elle est ainsi parfois considérée comme la "balance" la plus précise au monde (voir figure 1).
Le principe de fonctionnement de l'expérience est montré en figure 2. Pour 60 milliards d'électrons par seconde émis par la source, le spectromètre trie ceux dont l’énergie est proche de l’énergie maximum du spectre bêta, et seuls 2 millions d’électrons sont gardés pour l’analyse.
Après avoir relevé de nombreux défis technologiques entre 2001 et 2018, l’expérience de 70 m de long a commencé à prendre des données en 2019. L'analyse approfondie d’une première campagne scientifique correspondant à 4 semaines de prise de données a contraint la masse des neutrinos à moins de 1,1 eV (voir article correspondant). Il s’agit désormais de la meilleure mesure directe de la masse du neutrino (voir FM Irfu KATRIN 2019).
Le paradigme actuel fait état de trois neutrinos, électronique, muonique, et tauique. Cependant, cette image bien établie pourrait souffrir de résultats anormaux issus de certaines expériences examinant les oscillations de neutrino à courte distance (voir FM Irfu RAA de 2011 et FM Irfu Stéréo de 2019). S'il ne s'agit pas d'artefacts expérimentaux, ces résultats peuvent être alors interprétés comme l'existence d’une ou de plusieurs famille(s) de neutrinos supplémentaire(s), principalement stériles, et se mélangeant aux trois saveurs actives connues tout en restant insensibles à l’interaction faible.
Il est également possible de contraindre la masse (m4) et le mélange (|Ue4|2) d'un hypothétique neutrino stérile avec les données de l’expérience KATRIN. En effet, un nouvel état de masse du quatrième neutrino se manifesterait par une déformation du spectre en énergie des électrons de désintégration bêta. La signature serait une cassure en forme de coude se détachant sur le spectre lisse attendu des électrons du tritium, comme on peut le voir dans une simulation présentée en figure 3 b.
Dans l'article qui vient tout juste d’être soumis pour publication, la collaboration KATRIN présente une première recherche de la signature d'un neutrino stérile. Le jeu de données analysé est identique à celui utilisé pour la mesure de la masse du neutrino en 2019. Cette recherche comprend ainsi 1,5 million d’électrons provenant de la désintégration bêta du tritium, et 0,4 million d’électrons utilisés pour caractériser le bruit de fond. Dans cette analyse, le rapport signal/bruit peut atteindre 70, bien au-delà de ce qui est habituellement atteint dans les expériences d’oscillations auprès des réacteurs (de l'ordre de 1). Cette première étude de KATRIN est sensible aux valeurs de masse m4 (≈√Δm241 car m1 « 1 eV) allant d’environ 2 à 40 eV, et aucun signal de neutrinos stériles significatif n'est observé (voir figure 3 b). Ainsi, de nouvelles limites d'exclusion sont obtenues (voir figure 4). Ce résultat améliore les limites fixées par les précédentes expériences de cinématique directe menées à Mayence (Allemagne) et à Troitsk (Russie) à la fin des années 90.
Cette recherche menée par KATRIN est complémentaire aux expériences sur réacteur et améliore leurs contraintes dans le régime des grandes masses (>10 eV). Par ailleurs, une fraction importante de l’espace des paramètres possibles indiqué par les anomalies (réacteur et Gallium, voir FM Irfu RAA) est exclue, essentiellement pour les grandes masses de quatrième neutrino. Ce résultat montre le potentiel de KATRIN à sonder l'hypothèse des neutrinos stériles avec les mêmes données recueillies qui ont servi à contraindre la masse des neutrinos actifs.
Au département de physique des particules de l’Irfu, Thierry Lasserre a coordonné l’analyse pour l’ensemble de la collaboration KATRIN, en établissant une stratégie innovante de traitement des données. En collaboration avec le Max Planck Institut für Physik (Munich), il a également mis au point une nouvelle chaîne d'analyse complète utilisant l'approche des matrices de covariance pour étudier et propager les erreurs systématiques et leurs corrélations. Cette analyse vient d’être soumise pour publication dans une revue à comité de lecture et par ailleurs postée sur le serveur de publications en libre accès arXiv.
Ces premiers résultats n’ont utilisé qu’une faible fraction (quelques pourcents) de la statistique qui sera disponible au terme de l’expérience, en 2024. En parallèle, de nombreux efforts sont en cours pour réduire les incertitudes systématiques et le bruit de fond, ce dernier étant un facteur limitant pour sonder les zones les plus pertinentes des anomalies (quatrième neutrino de faible masse). Une estimation de la sensibilité finale de KATRIN (1000 jours) est représentée par la ligne pointillée de la figure 4. Une grande partie de la région d'intérêt des anomalies de réacteurs et de gallium sera ainsi testée pour faire la lumière sur l'existence de mélanges stériles de neutrinos.
Contact: Thierry Lasserre
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