L’explosion d’étoiles génère une onde de choc qui se propage à plus de 5000 km/s des siècles durant, et il est admis que c’est la source principale de l’accélération de particules énergétiques, les rayons cosmiques. Etudier l’émission haute énergie des vestiges de supernova est donc un moyen d’accéder à des informations de premier plan sur la nature des particules accélérées, leur énergie et leur composition. Une équipe française menée par un chercheur du Département d’Astrophysique/Laboratoire AIM du CEA-Irfu de Paris-Saclay vient de confirmer la détection d’un rayonnement au-delà de 100 MeV provenant du reste de supernova historique Kepler. Pas moins de douze années de données obtenues par le télescope LAT à bord du satellite de la NASA Fermi ont été nécessaires pour confirmer l’existence d’une accélération de particules efficace dans ce vestige qui compte parmi les plus jeunes dans notre Galaxie. Les chercheurs en déduisent également que l’émission gamma observée résulte vraisemblablement d’interaction entre des ions accélérés et le gaz derrière l’onde de choc et proposent plusieurs scénarii selon l’intensité du champ magnétique. Ces travaux sont acceptés pour publication dans la revue Astronomy and Astrophysics.
Les étoiles peuvent finir leur vie dans une gigantesque explosion accompagnée d’une forte augmentation de luminosité qui, vue depuis la Terre, donne l’impression d’observer une nouvelle étoile apparaître dans le ciel comme ce fut le cas en octobre 1604. Quatre siècles plus tard, une équipe de chercheurs a pu détecter l’émission de rayons gammas de haute énergie provenant de ce même point du ciel. Ce vestige de supernova historique, bien connu des astronomes, a été observé à la plupart des longueurs d’ondes en radio, infra rouge, optique et rayons X (voir Figure ci-dessous). Chaque longueur d’onde dévoile une facette de cette source, complémentaire des autres. Mais jusqu’ici une couleur manquait pour compléter le puzzle, les rayons gamma.
En utilisant douze années de données du satellite Fermi-LAT, l’équipe a montré l’existence d’une accélération de particules efficace au sein de ce vestige de supernova et caractérisé le type de particules accélérées dans l’onde de choc. En effet, comme 99% des rayons cosmiques sont des ions et 1% des électrons, il est crucial de vérifier que les vestiges de supernovae peuvent effectivement accélérer ces deux catégories de particules. Les ions accélérés peuvent émettre des rayons gamma lorsqu’ils entrent en collision avec le gaz environnant. Dans ce contexte, le vestige de Kepler est une source de premier choix car il est admis qu’une partie du choc est en interaction avec du milieu dit circumstellaire (lignes pointillées dans la figure ci-dessous) provenant du progéniteur précédant l’explosion.
A gauche (A, B, C, D) une vue multi-longueur d’ondes du vestige de supernova de Kepler (SN 1604) en radio (4.85 GHz avec le VLA), en infrarouge (télescope Spitzer à 24 μm), en optique (télescope Hubble autour des raies Hα, [NII], [OIII]) et en rayons X (télescope Chandra entre 0.7 et 1 keV). Le trait pointillé illustre les régions d’interaction du choc avec le milieu circumstellaire (© image adaptée de Vink, 2017). A droite : Résultats de l’analyse des données du Fermi-LAT. L'image montre une carte (avec une résolution intrinsèque de l’instrument LAT sans aucune comparaison avec la finesse obtenue en rayons X ou visible) du signal de l’émission gamma superposée avec les contours infrarouges du vestige de supernova en vert. Les cercles représentent la position la plus probable de la source gamma avec deux indices de confiance différents.
C’est en combinant cette information et les spectres mesurés en radio, en rayons X et en rayons gamma de très haute énergie (Tera-électron volt) que les chercheurs ont conclu que l’émission gamma est vraisemblablement dominée par l’émission des ions accélérés interagissant avec ce milieu circumstellaire. Une confirmation que les vestiges de supernova jeunes, comme Kepler, peuvent en effet accélérer une partie du rayonnement cosmique galactique, en particulier des ions, en transférant 5 à 10% de l’énergie cinétique de l’explosion aux particules par le mécanisme d’accélération à l’onde de choc.
Bien que la majorité des paramètres de la modélisation proposée fasse consensus, l’amplitude du champ magnétique dans lequel évoluent les particules accélérées reste encore mal connue.
Dans le scénario où la valeur du champ magnétique est supérieure à 100 μGauss (Figure ci-contre en haut), les rayons gamma de très haute énergie (TeV) proviendraient aussi d’ions accélérés qui interagissent avec le milieu circumstellaire comme pour les rayons gamma du GeV (détectés par Femi-LAT). En revanche, si le champ magnétique est inférieur à 100 μGauss (figure ci-contre en bas), deux processus d’émission différents (Compton inverse et Π°) pourraient coexister et la région d’émission des rayons gamma du TeV pourrait être différente. L’émission synchrotron et Compton inverse provient des électrons et l’émission Π° des ions accélérés. |
La prédiction des deux modèles pourra bientôt être testée avec le futur réseau de télescope au sol en rayons gamma de très haute énergie, le Cherenkov Telescope Array (CTA) qui possède une bien meilleure sensibilité et capacité de localisation que ses prédécesseurs (expériences H.E.S.S., MAGIC, VERITAS).
Cette supernova a une place particulière dans l’histoire de l’astronomie car elle fait partie des rares supernovae à avoir été observée à l'œil nu depuis la Terre et pour laquelle des écrits nous sont parvenus. En effet, par une nuit d’octobre 1604, un nouveau point dans le ciel, une “Stella Nova”, brillante comme Jupiter, est apparue dans le ciel. Visible même de jour pendant plusieurs semaines et la nuit pendant plus d’une année, cet événement céleste a été retranscrit par des astronomes européens, chinois, coréen, et arabes. Une des meilleures descriptions de ce phénomène a été faite par l’astronome allemand Johannes Kepler dans son manuscrit “De Stella nova in pede Serpentarii” (De la nouvelle étoile dans la constellation Ophiuchus). Le nom de Kepler est désormais attaché à cette supernova ainsi qu’à son vestige. Il est à noter que cette supernova est la dernière supernova galactique à avoir été visible à l'œil nu. Bien que nous estimions qu’il doit y avoir environ deux supernovae par siècle dans notre Galaxie, nous n’avons pas eu cette chance depuis 400 ans. Prenez le temps de lever les yeux vers le ciel cette nuit, ce soir sera peut-être la bonne.
Contacts CEA: Fabio Acero, Jean Ballet
Publication:
“Characterization of the GeV emission from the Kepler supernova remnant” ,
Fabio Acero, Marianne Lemoine-Goumard, Jean Ballet, accepté pour publication dans la revue Astronomy and Astrophysics
https://arxiv.org/abs/2201.05567
Rédaction: Fabio Acero, Jean Ballet, Christian Gouiffès
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