Simulation 3D avec le code ASH de la convection et de la dynamo d’une étoile de type solaire: en jaune/marron: vitesse radiale convective (montée/descente) et en blanc lignes de champ magnétique avec extrapolation potentielle.
crédit : CEA/A. Strugarek, Q. Noraz, A.S. Brun
Le Soleil est une étoile magnétique, dont l’activité intense a un impact direct sur notre société moderne et technologique. Actuellement modulée par un cycle de 11 ans, en a-t-il toujours été ainsi, et cet état cyclique du magnétisme solaire perdurera-t-il au cours de son évolution?
Il se trouve que le freinage des étoiles s'arrêterait au lieu de continuer à ralentir comme on s'y attendrait. Qu’est ce qui change dans une étoile pour expliquer l’arrêt de cette décélération ?
Afin de répondre à cette question clé concernant notre étoile, une équipe internationale, dont des chercheurs du DAp-AIM, a mené à bien trois études, basées sur des observations et des simulations numériques HPC magnéto-hydrodynamiques multidimensionnelles sur les supercalculateurs GENCI du TGCC et de l’Idris, sur l’origine du magnétisme et de la rotation du Soleil et des étoiles de type solaire (via le mécanisme physique dit de dynamo fluide) dans une approche « Soleil au cours du temps ». Ces études, après plus de 5 années de développement de codes et des millions d’heures de calculs, ont mis en évidence le rôle essentiel d’un paramètre, appelé le nombre de Rossby, pour caractériser non seulement les propriétés de rotation interne des étoiles mais surtout la nature de leur magnétisme sur les temps séculaires.
Le Soleil est passé par plusieurs phases au cours de son évolution. Sur la Figure 1 nous pouvons suivre l’évolution de sa rotation.
Ce scenario de l’histoire rotationnelle de notre étoile est confirmé par l’observation d’amas d’étoiles de différents âges, que nous représentons sur la Figure 1 par les petits disques de couleurs avec barres d’erreurs.
il a été proposé par Skumanich en 1972, puis Barnes en 2003, que le ralentissement des étoiles de type solaire, suit une loi du type Ω(t)~t-0.5, c’est à dire qu’elles convergent toutes vers une même rotation à partir de l’âge des Hyades (soit environ 650 à 800 millions d’années). Cette relation directe entre âge et taux de rotation des étoiles de type solaire a été dénommée gyrochronologie.
Figure 1 : Évolution rotationnelle d’une étoile de 1 masse solaire sur les temps séculaires (Ahuir et al. 2021). Trois rotations initiales : rotateurs lents en orange, médians en bleu clair et rapides en bleu foncé. Les lignes sont les résultats de la simulation (solides :rotation de l’enveloppe convective, pointillées de leur intérieur radiatif). Les petits cercles pleins sont les observations d’amas d’étoiles.
Plusieurs phases rotationnelles sont identifiables : constante par ancrage à un disque de matière, en accélération par effet de contraction de l’étoile, puis décélération par freinage par vent magnétisé stellaire.
La phase où toutes les courbes (quelle que soit leur vitesse initiale) convergent est la période évolutive où la gyrochronologie est à priori possible, sauf si celle-ci s’arrête pour les étoiles âgées ayant un nombre de Rossby plus grand que 1 comme proposée récemment par certains auteurs (Van Saders et al. 2016)
Allant de pair avec ce changement du taux de rotation de l’étoile au cours des temps séculaires, il y a aussi un changement de niveau d’activité magnétique et de la taille relative de l’enveloppe convective de l’étoile. Les étoiles jeunes tournent rapidement et sont très actives magnétiquement, les plus veilles, sont lentes et moins actives.
Cependant, récemment la gyrochronologie a possiblement été remise en cause par les données du satellite Kepler. Le freinage des étoiles de type-solaire s’arrêterait (point rouge fig1) vers l’âge du Soleil (environ 4.5 Gans), ce qui signifie que le vent ne serait plus aussi efficace pour extraire le moment cinétique des étoiles passé cet âge.
Il faut donc mieux caractériser la boucle complexe de rétroaction entre dynamo -> magnétisme -> vent -> freinage -> rotation -> dynamo pour comprendre l’évolution séculaire du magnétisme des étoiles de type solaire et la possible existence d’un changement de régime magnéto-rotationnel.
Il s’avère que ces changements de régimes peuvent être délimités via une quantité appelée nombre de Rossby, du nom du célèbre physicien suédois, qui permet de caractériser comment la rotation d’une étoile influence sa dynamique interne.
Grâce à des simulations numériques multidimensionnelles 3D MHD menées avec le code ASH sur les supercalculateurs GENCI du TGCC et de l’Idris, une équipe de chercheurs de l’Irfu avec des collègues internationaux a développé des simulations de la dynamo des étoiles de type solaire avec ce but précis (résultats publiés dans Brun et al. 2022).
En changeant la masse et la rotation et donc le nombre de Rossby des étoiles simulées (au nombre de 15), ils ont pu explorer différents états de rotation interne de l’étoile et par conséquent de son magnétisme. Les 15 cas d’étoiles simulées se répartissent suivant trois états de rotation caractéristiques (figure 2):
Figure 3: Diagrammes papillon (représentation temps-latitude des contours du champ magnétique longitudinal) pour 3 cas dynamos: avec cycle magnétique court, cycle long (type solaire) et sans cycle.
Ce changement de profil de rotation résulte d'un comportement différent de la dynamo dans les simulations, présentant un cycle magnétique et d’autres non.
La figure 3, montre la synthèse de l’état magnétique des étoiles selon leur nombre de Rossby.
On peut remarquer 3 grandes classes :
Il semblerait donc que pour les rotateurs lents, un état de rotation antisolaire amène bien à une transition de régime dynamo de cyclique vers stationnaire.
Afin de confirmer cet état de dynamo stationnaire dans le cas d‘une rotation antisolaire, l’équipe des chercheurs de l’Irfu a entrepris une étude spécifique des dynamos antisolaires dans Noraz et al. (2022a), à partir d’un modèle à 2 dimensions réduits mais plus rapides afin d’étendre l’espace des paramètres couverts (la simulation 3D étant très coûteuse en temps de calcul, cela rendrait l'étude systématique de l'espace des paramètres bien trop longue).
Les conclusions de cette étude confirment celles faites avec les simulations 3D.
Nous montrons (figure 4) que dans le cas antisolaire, la boucle dynamo renforce, dans la majorité des cas, le champ aux pôles plutôt que ne l’annule pour en changer la polarité comme dans le cas du Soleil. Nous rappelons que le signe du champ magnétique global (dipolaire) du Soleil se renverse tous les 11 ans en moyenne. Il semble donc que les rotateurs lents aient une forte probabilité d’avoir un magnétisme non cyclique.
Cela veut-il dire pour autant que la géométrie magnétique à grande échelle de la simulation a changé, par exemple passant de la domination d’un dipôle grande échelle, à une structure de champ magnétique petites échelles, dite multipolaire ? Si tel était le cas, l’efficacité du freinage par le vent en serait fortement réduite, car ce champ magnétique agit comme un bras de levier pour freiner l’étoile au cours de sa vie. Plus le champ magnétique est à grande échelle et plus il est intense, plus il offre un grand bras de levier tel des ailes de moulin offrant une large surface et freinant ainsi efficacement l'étoile.
Figure 5. Amplitude du champ magnétique grande échelle dans les 15 simulations (petits ronds noirs avec barre d'erreur) de dynamo convective stellaire.
Quand l’équipe de chercheurs étudie la géométrie magnétique globale des dynamos antisolaires et la compare aux rotateurs rapides, elle ne remarque pas de changement flagrant de l’amplitude du dipôle (ou des autres composantes grandes échelles du champ magnétique). En effet nous représentons Figure 5 l’amplitude du dipôle dans les 15 simulations en fonction du nombre de Rossby et la comparons aux observations (ligne noire pointillée). On remarque bien que pour les Ro < 1 l’accord entre simulations et observations est très bon.
Comme pour les rotateurs rapides jusqu’à l’âge du Soleil les simulations reproduisent bien les observations de champs magnétiques faites par spectro-polarimétrie en fonction du nombre de Rossby, cela conforte les auteurs que les simulations sont robustes et réalistes.
A contrario, quand on considère les cas à Ro > 1, on remarque que l’amplitude de ceux-ci ne suit pas la même tendance, ni même une baisse encore plus abrupte de l’amplitude du dipôle. Bien au contraire on voit une possible remontée du champ magnétique dipolaire. Le dipôle magnétique des rotateurs lents associé à leur dynamo stationnaire (pas de cycle) n’est donc pas négligeable, au contraire il est même dominant.
Dès lors il semble peu probable que cela soit la disparition du dipôle magnétique qui mette en pause le ralentissement des étoiles suggéré par l’étude Kepler citée plus haut (Van Saders et al. 2016). Il est par contre intéressant de noter sur la Figure 5 que l’existence possible d’un minimum local vers l’âge du Soleil du champ grande échelle permet de se poser la question de savoir si des étoiles pourraient y rester « coincées » expliquant ainsi leur inefficacité à ralentir selon la loi de Skumanich. Mais une fois ce minima passé les étoiles retrouvent a priori un freinage plus intense. La durée de cette phase de « stalling » va dépendre de la forme du minima, soit pour faire simple en forme de U ou de V.
A la recherche des étoiles en rotation anti-solaire dans les catalogues d'observation
Dans ce contexte nous avons entrepris l’identification dans les données du satellite Kepler de candidates étoiles dont le profil de rotation pourrait être antisolaire afin de déjà confirmer l’existence de ce profil (Noraz et al. 2022b). Parmi 200 000 étoiles des catalogues consultés (Kepler...), seulement 55 000 d'entres elles avaient une estimation de leur rotation. De ce sous-échantillon, les chercheurs ont calculé leur nombre de Rossby et seules 22 d'entres elles sont avec des R>>1!
La Figure 6 représente les étoiles de l’échantillon Kepler ayant un grand nombre de Rossby observationnel, susceptible de posséder une rotation antisolaire. Pour confirmer les prédictions du modèle 3D des observations sismologiques avec PLATO sont envisagées.
Ce scenario magnéto-rotationnel des étoiles va guider en partie la mission spatiale de l’ESA PLATO (mission 2026) pour lequel l’Irfu fourni des logiciels et des sous-systèmes pour les caméras rapides car maitriser l’origine du magnétisme et ses variabilités, améliore la détection d’exoplanètes par méthode de transit. En effet, l’étude sur le magnétisme des étoiles non seulement permet de reconstruire leur histoire magnéto-rotationnelle mais peut également aider à mieux caractériser les nombreuses exoplanètes présentes dans notre environnement proche qui orbitent très souvent autour d’étoiles actives qui perturbent les mesures de transit.
Contacts Irfu : Allan-Sacha BRUN, NORAZ Quentin, Antoine STRUGAREK
Références :
https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/2016Natur.529..181V/abstract
https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/2022A%26A...667A..50N/abstract
https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/2022ApJ...926...21B/abstract
https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/2022A%26A...658A.144N/abstract
https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/2021A%26A...650A.126A/abstract
https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/2017Sci...357..185S/abstract
• Structure et évolution de l'Univers › Planètes, formation et dynamique des étoiles, milieu interstellaire
• Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM
• Dynamique des Etoiles, des Exoplanètes et de leur Environnement