Boitier de l’UGTS (Unité de Gestion et de Traitements Scientifiques) d’ECLAIRs. Illustration : © CNES/TRONQUART Nicolas, 2018
Le CEA a livré au CNES la version de vol du logiciel de l’instrument ECLAIRs pour le satellite SVOM. Cela conclut une phase de développement instrumental important conduit par le CEA pendant 6 ans pour produire l’un des logiciels les plus complexes jamais embarqués sur un instrument scientifique spatial français. Cette version du logiciel équipera le calculateur de bord d’ECLAIRs lors de son départ vers la Chine en début d’année 2023. Il servira dès les tests d’intégration du satellite à Shanghai en prévision du lancement en fin d’année 2023. Ce logiciel analysera en temps-réel les données de l’instrument en vol pour détecter des sursaut gamma et les localiser à mieux de 12 arcmin sur le ciel, afin de réorienter automatiquement le satellite pour effectuer des observations de suivi et d’alerter la communauté scientifique.
L’objectif principal du satellite franco-chinois SVOM (pour Space-based Variable Objects Monitor) est l’étude des sursauts gamma, qui sont des événements astrophysiques fascinants par leur apparition imprévisible sur le ciel et la formidable quantité d’énergie qu’ils libèrent sous forme de bouffées de rayons gamma, produits par l’explosion de certaines étoiles très massives ou la coalescence d’étoiles à neutrons. Ces événements sont révélés en rayons gamma, par la détection d’une source ponctuelle durant une fraction de seconde à quelques dizaines de secondes, rarement quelques minutes. L’observation de la source à de plus grandes longueurs d’onde (en rayons X, dans le visible et même en ondes radio) permet d’observer une rémanence de l’événement durant plusieurs heures et d’estimer ses caractéristiques, en particulier sa distance. Dans la plupart des cas il s’est produit dans l’univers très lointain et donc jeune.
A bord de SVOM, pour détecter les sursauts gamma, le télescope français ECLAIRs observera en permanence un sixième du ciel (2 stéradians) dans domaine des rayons gamma mous (de 4 à 150 keV) avec son télescope équipé d’un masque codé monté au-dessus d’un plan détecteur composé de 6400 pixels en tellurure de cadmium. Les photons détectés seront traités au sein de l’UGTS (Unité de Gestion et de Traitements scientifiques), le calculateur de bord de l’instrument, par le logiciel de vol développé au CEA.
Ce logiciel analysera en temps-réel les données pour détecter un sursaut gamma et le localiser à mieux de 12 arcmin sur le ciel, c’est-à-dire sur une zone du ciel plus petite que le disque apparent de la Lune. Il commandera alors le repointage automatique du satellite sur cette position, de sorte à rapidement observer la rémanence du sursaut avec les instruments à petit champ de vue embarqués : le télescope MXT français (en rayons X, dont le plan focal a été réalisé au CEA) et le télescope VT chinois (dans le visible). Le logiciel produira également une séquence de messages d’alerte émise par le satellite vers le réseau d’antennes réceptrices VHF français, déployé tout autour du globe. Ces alertes seront reçues et traitées au centre scientifique français (FSC) sous responsabilité du CEA, pour alerter la communauté mondiale d’observatoires du ciel transitoire de l’apparition d’un événement intéressant.
La version 7.0.2 du logiciel de vol livrée en août 2022 est l’aboutissement d’une dizaine de livraisons successives au CNES durant les deux dernières années, comportant des fonctionnalités à chaque fois augmentées. Ces versions étaient testées à l’aide d’un banc de test conçu au CEA autour d’un modèle du calculateur UGTS, puis validées au CEA par un système de conduite automatique de tests. Elles ont ensuite été utilisées successivement au CNES lors de campagnes de test et d’étalonnage de l’instrument en enceinte à vide, en employant des sources radioactives et un générateur à rayons X. Ce logiciel contient toutes les fonctions essentielles à la gestion de l’instrument, du contrôle commande du détecteur à l’acquisition des données photon par photon pour leur envoi en différé au sol, jusqu’à la détection en temps-réel des sursauts gamma par le logiciel scientifique.
Le logiciel est couplé à un circuit numérique programmable de type FPGA intégré dans l'UGTS, dont le firmware a également été réalisé au CEA et déjà livré en 2021. Ce circuit décharge le processeur, en effectuant l'acquisition en temps-réel des photons de la caméra, leur mise en paquet et envoi vers la mémoire du satellite, ainsi que leur pré-traitement pour le logiciel scientifique.
Première image d’une source radioactive, obtenue avec le modèle de vol d’ECLAIRs couplé au logiciel scientifique de l’UGTS. A partir de l’image du plan détecteur (sur 80 × 80 pixels) sur lequel la source projette le motif du masque d’ECLAIRs, l’algorithme de déconvolution reconstruit l’image du champ de vue de l’instrument (200 × 200 pixels) et permet la localisation de la source. © CNES+CEA/SCHANNE Stéphane, 2021
Le logiciel scientifique emploie deux algorithmes de traitement séparés, fonctionnant en parallèle, l’un dédié à la détection de sursauts courts de moins de 20 s de durée, l’autre pour des sursauts au-delà de 20 s, jusqu’à des durées de 20 min, travaillant dans différentes bandes d’énergie et tranches temporelles, afin de refléter la diversité temporelle et spectrale des sursauts gamma. En employant une procédure mathématique appelée déconvolution, à partir du motif du masque codé et de l’image enregistrée par le plan détecteur, ces deux algorithmes reconstruisent l’image du ciel, dans laquelle une nouvelle source, non présente dans un catalogue de sources connues, est cherchée. La déconvolution s’exécute plus d’une fois toutes les 2 secondes, alors que l’on s’attend à environ un déclenchement de vrai sursaut gamma par semaine, si bien que dans ses traitements le logiciel doit minimiser le taux de fausses alertes et éviter des repointages erronés. A cet effet, de nombreux paramètres de configuration permettent de régler finement le fonctionnement du logiciel, et seront à ajuster en fonction du comportement du détecteur d’ECLAIRs et du bruit de fond en vol. Le système permet aussi une mise à jour du logiciel en vol si nécessaire.
Le logiciel de vol d’ECLAIRs est peut-être l’un des plus complexe jamais embarqués sur un instrument scientifique spatial français. Il a été développé à l’IRFU du CEA pendant 6 ans par une équipe de projet conjointe du DAp et du DEDIP totalisant 18 personnes investies sans relâche dans toutes les tâches : définition et étude système, prototypage, développement du code du processeur (en C++) et du firmware du FPGA de prétraitement (en VHDL), réalisation du banc de test, création des tests fonctionnels et conduite de la validation... A présent, il s’agit pour les équipes de préparer la phase de mise en service en vol et de définir les stratégies de réglage des paramètres, tout en développant les outils qui permettront de surveiller le bon fonctionnement d’ECLAIRs et de son logiciel en opérations.
Contacts : Stéphane Schanne, chercheur à l’Irfu/DAp, responsable scientifique du projet ECLAIRs au CEA en charge du logiciel embarqué dans l’UGTS.
Pour en savoir plus :
• Structure et évolution de l'Univers › Phénomènes cosmiques de haute énergie et astroparticules Thèmes de recherche du Service d'astrophysique › Instrumentation
• Le Département d'Électronique des Détecteurs et d'Informatique pour la Physique (DEDIP) • Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM
• Laboratoire d'ingénierie logicielle pour les applications scientifiques (LILAS) • Interface Science et Instruments Spatiaux
• SVOM