03 août 2016
Nouveaux résultats de T2K : un indice de violation de la symétrie matière-antimatière ?

La collaboration T2K a présenté de nouveaux résultats sur les oscillations des neutrinos à la 27ème Conférence sur la Physique du Neutrino (Neutrino 2016) à Londres. Les nouvelles données indiquent des probabilités d'oscillation différentes pour les neutrinos et les antineutrinos, une différence qui pourrait être liée à la violation de la symétrie de charge-parité. Les neutrinos pourraient ainsi détenir une des clés pour expliquer la différence entre matière et antimatière, une des questions les plus profondes sur l'évolution de l'Univers.

 

Le neutrino est une particule élémentaire neutre se déclinant en trois types (νe, νμ, ντ). Il donne par interaction faible avec un nucléon dans la matière un électron (e), un muon (μ) ou un tau (τ). Depuis une quinzaine d’années, plusieurs expériences ont prouvé que les neutrinos sont massifs et subissent un phénomène quantique d’oscillation d’un type à l’autre. Le japonais Takaaki Kajita et le canadien Arthur Mc Donald ont été récompensés récemment pour cette découverte par le prix Nobel 2015 et la collaboration T2K, ainsi que d'autres expériences, a été récompensée en 2016 par le Breakthrough Prize for Fundamental Physics. Cette découverte a ouvert la voie à un vaste programme de recherches en plein essor actuellement, dans lequel la France et l’Irfu sont particulièrement impliqués. Un des objectifs de ce programme est de vérifier s'il y a violation de la symétrie de charge-parité (CP) pour les neutrinos. Cette symétrie relie la matière à l'antimatière et sa violation a été mise en évidence pour les quarks en 1964.

 

T2K est une expérience dédiée à la mesure des oscillations des neutrinos et antineutrinos muoniques d’un faisceau produit au laboratoire J-PARC au Japon et dirigé vers Super-Kamiokande, à 295 km de distance, où des neutrinos de saveur muonique (νμ) ou électronique (νe,) sont détectés. A 280m de l'origine du faisceau de neutrinos, un détecteur proche construit entre autre par les équipes de l'Irfu et de l'IN2P3 permet de mesurer avec précision les caractéristiques du faisceau avant toute oscillation. Ces oscillations peuvent être décrites en fonction de trois angles de mélange (θ12, θ13, θ23), et d'une phase de violation de CP (δCP). La violation de la symétrie CP se manifeste par une différence dans les probabilités d'oscillation des neutrinos et des antineutrinos.

 
Nouveaux résultats de T2K : un indice de violation de la symétrie matière-antimatière ?

Distribution des événements de type neutrinos (haut) et antineutrino (bas) au détecteur lointain de T2K (Super-Kamiokande), pour les neutrinos de saveurs muonique (gauche) et électronique (droite). Les points noirs représentent les données, les courbes noires illustrent la distribution attendue sans oscillation et les courbes mauves le résultat de l'ajustement avec oscillation. Ces graphiques illustrent de façon très claire la présence des oscillations ainsi que l'apparition ????e. La probabilité d'interaction dans la matière étant différente pour les neutrinos et les antineutrinos, il n'est pas possible de comparer directement le nombre d'événements des neutrinos avec celui des antineutrinos.

T2K a effectué une analyse complète (figure ci-contre), en ajustant simultanément les paramètres d'oscillation avec les données prises avec le faisceau de neutrinos muoniques et les données prises avec le faisceau d'antineutrinos muoniques. Dans le cas du faisceau de neutrinos muoniques, T2K a détecté 32 événements d'apparition de neutrinos électroniques. Dans le cas du faisceau d'antineutrinos muoniques,  T2K a détecté 4 événements d'apparition d'antineutrinos électroniques. Alors qu'on en attend 23 et 7 respectivement en absence de violation de CP. A partir de ces résultats, il est possible d'extraire à la fois l'angle de mélange caractérisant l'oscillation νμe et la phase de violation de CP. Les nouvelles données de T2K montrent une préférence pour une valeur de l'angle de mélange θ23  proche de π/4 (ce qui se traduit par une disparition maximale des neutrinos muoniques) et pour une valeur de la phase de violation de CP (δCP) proche de la valeur maximale -π/2. L'intervalle de confiance pour δCP (-3.02 ; -0.49) exclut à 90 % la conservation de CP (valeurs de δCP=0 and δCP= π), (figure ci-dessous).

 

 

Logarithme de vraisemblance (-2lnL) en fonction du paramètre δCP  de violation de la phase CP. Les courbes noires montrent le résultat avec l'hypothèse de la hiérarchie normale, c'est-à-dire m3>m2>m1, les courbes rouges avec la hiérarchie inverse (m2>m1>m3). Les lignes verticales noires (rouges) montrent la région permise à 90 % de niveau de confiance pour la hiérarchie normale (inverse). Cette figure montre le résultat de T2K avec des neutrinos et des antineutrinos, combiné avec les résultats sur l'angle de mélange θ13 donnés par les expériences auprès des réacteurs. Les valeurs correspondant à la conservation de la symétrie CP (δCP =0 and δCP= π) se trouvent en dehors de la région à 90 %.

 

Ce nouveau résultat correspond à 20 % de la statistique totale prévue pour T2K, qui prendra des données jusqu'en 2021. La collaboration T2K propose une extension de la prise des données qui pourrait mener à une observation de la violation de la symétrie CP avec une sensibilité de 3 sigmas (probabilité de 99.7%) à l'horizon 2025.

 

L’étude de la violation de la symétrie CP dans les neutrinos pourrait apporter des éléments de réponse à une des questions les plus profondes de la science, à savoir pourquoi l'Univers est aujourd'hui constitué de matière alors que le Big Bang avait produit des quantités égales de matière et d'antimatière ? Même si l'actuel résultat de T2K n'est pas encore concluant, l'étude des neutrinos continuera de produire de nouvelles découvertes qui vont changer notre compréhension de l'Univers.

 

Contact : Marco Zito

Pour en savoir plus : les faits marquants de T2K

 

 
#3807 - Màj : 08/08/2016

 

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