23 avril 2020
L’oxygène-28 n’aurait pas la stabilité que la théorie lui prédit
L’oxygène-28 n’aurait pas la stabilité que la théorie lui prédit

Les détecteurs NEBULA et NEULAND (premier plan) captent les neutrons issus de la décroissance de noyaux instables comme le Fluor-28 pour en étudier la structure interne. / Image : collaboration SAMURAI

Avec 8 protons et 20 neutrons, l’oxygène-28, devrait théoriquement avoir une stabilité particulière. Une équipe de physiciens du GANIL et du LPC Caen au sein de la collaboration Samurai de l’installation RIKEN au Japon montrent que ça n’est pas le cas en menant une étude indirecte sur un noyau très proche, le fluor-28.

Ce travail vient d’être publié dans la revue Physical Review Letters (Physical Review Letters 124, 152502 (2020).

 

En physique nucléaire la notion de nombre magique est très importante. En effet les noyaux dits « magiques » ont une quantité particulière de protons et de neutrons qui leur confère une stabilité plus grande. C’est le cas pour les noyaux à 8, 20 ou 50 protons ou ceux avec un nombre équivalent de neutrons. Les noyaux dits « doublements magiques », ceux qui cumulent un nombre magique de protons et un nombre magique de neutrons, figurent parmi les plus stables de la nature. C’est le cas de l’oxygène-16 (8 protons et 8 neutrons) ou du calcium-40 (20 protons et 20 neutrons), qui sont plus abondants que les autres dans l’univers. Cette propriété remarquable en fait des objets d’étude privilégiés pour mettre à l’épreuve la modélisation des forces qui structurent le noyau atomique.

 

Un noyau quasi impossible à étudier

L’oxygène-28 est le dernier noyau doublement magique à ne pas avoir été étudié en détail. Avec ses 8 protons et ses 20 neutrons il devrait en théorie bénéficier d’une stabilité particulière, pourtant trente ans de traque n’ont permis d’en produire que très peu.

Son analyse expérimentale s’avère un véritable défi. En effet, l’oxygène-28 n’existe que sous forme non liée et qui plus est dans les très rares cas où des collisions le produisent, il se désintègre en oxygène-24 quasi instantanément. Les physiciens ne disposent que de 10-22 secondes pour réagir ! Et quand bien même les physiciens capteraient l’événement à temps, il faudrait encore détecter les 4 neutrons que le noyau émet instantanément pour pouvoir comparer ses propriétés aux prédictions des modèles théoriques.

 

 

Le fluor-28 pour contourner la difficulté

Pour contourner cette difficulté, une méthode alternative a récemment été mise en œuvre auprès du laboratoire RIKEN à l’aide des détecteurs neutrons NeuLAND et Nebula et du spectromètre SAMURAI.

La démarche expériementale a consisté à étudier un noyau également non lié, le fluor-28, composé de 9 protons et de 19 neutrons : moins difficile à produire que l’oxygène-28 et se désintégrant par l’émission d’un seul neutron. Le pari des chercheurs est que, si l’oxygène-28 est bien doublement magique, ses propriétés devraient se retrouver à quelques nuances près dans le noyau de fluor-28.

 
L’oxygène-28 n’aurait pas la stabilité que la théorie lui prédit

figure schématique de l’ensemble de l 'expérience à RIKEN pour étudier le fluor-28, moins difficile à produire que l’oxygène-28 et se désintégrant par l’émission d’un seul neutron.

Aperçu de la carte des noyaux entre les nombres magiques Z=(8, 20) et N=20, mettant en exergue l’exoticité du noyau non lié de 28F (représenté sur un fond blanc comme le 28O), très éloigné de la vallée de stabilité, occupée par le 40Ca par exemple (fond bleu sombre). La structure du 28F a pu être caractérisée en observant le neutron émis dans sa désexcitation, après qu’il ait été produit en arrachant un proton au 29Ne (a) ou un neutron au 29F (b), eux-mêmes noyaux radioactifs (fond bleu clair) produits et sélectionnés lors de collisions nucléaires préalables. A gauche, la probabilité d’occupation des orbitales neutrons montre que le 28O se comporte très différemment du 40Ca, qui est doublement magique et dont les neutrons n’occupent que très peu les orbitales de valence.

 

 

 

La double-magicité a disparu

Une signature de la magicité est le remplissage complet par les nucléons des orbitales de plus basse énergie disponibles. Or l’étude a montré que les neutrons du fluor-28 occupaient une large fraction de l’orbitale de valence et que ne subsistait que de faibles vestiges de magicité. Dès lors, cette étude montre pour la première fois que la double magicité, si robuste pour les noyaux stables, disparait vraisemblablement dans l’oxygène-28 du fait de son caractère non lié et des forces nucléaires en présence dans ce noyau à très grand nombre de neutrons. Elle plaide pour la prise en compte et la recherche de nouveaux effets susceptibles d’influencer fortement la dynamique des nucléons au sein des noyaux.

 

Contacts :

  • Olivier Sorlin, GANIL –
  • Miguel Marqués, LPC Caen –

 

Pour en savoir plus, lire l'actualité sur le site du Ganil

 


La collaboration SAMURAI a été mise en place pour étudier les noyaux situés à la limite ou au-delà de la limite de liaison nucléaire. Son succès repose sur quatre piliers:

  1. la production très intense de faisceaux par le RIBF (environ 1000 fois supérieure à toute autre installation),
  2. l'utilisation d'une cible d'hydrogène liquide MINOS (conçue par des équipes de l'Irfu CEA)  de grande épaisseur et servant à identifier le vertex où a lieu la réaction secondaire,
  3. le spectromètre à grande acceptance SAMURAI, et
  4. la détection de neutrons avec grande efficacité et granularité ( les détecteurs NEULAND venant de collaboration avec l'Allemagne).

Référence : A. Revel et al., Physical Review Letters 124, 152502 (2020)


 

 
#4775 - Màj : 08/06/2020

 

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