27 avril 2024
Observer les fluctuations du proton au LHC

Abstract: Le proton est un objet complexe rempli de particules élémentaires, les quarks et les gluons, interagissant entre elles via l'interaction forte. De nombreuses observables sont sensibles aux densités moyennes des quarks et des gluons, mais peu le sont aux fluctuations de ces densités. La conjecture théorique de la saturation des gluons prédit la disparition de la fluctuation des gluons à très haute énergie. Des chercheurs de l'Irfu de la collaboration ALICE au LHC ont réalisé une première mesure sensible aux fluctuations de la densité de gluons dans le proton. Cette mesure ouvre la voie à de futures mesures à plus haute énergie.

 

Le proton à haute énergie : la saturation et les fluctuations

Le proton est une particule avec une structure interne riche. Il contient des quarks et des gluons qui interagissent entre eux via l'interaction forte. La figure 1 montre une vue d'artiste du contenu du proton. La structure du proton peut être étudiée avec des collisions électron–proton. À très haute énergie de collision, des études menées au collisionneur électron-hadron HERA à Hambourg (1992-2007) ont révélé qu'à ces énergies, la structure des protons est dominée par les gluons et leur densité croit fortement en allant vers des énergies de collisions de plus en plus hautes.  Des approches théoriques prédisent que cette croissance est limitée par l'interaction forte entre les gluons : la fusion de gluons mène à une saturation de la densité de gluon. Néanmoins, cette saturation n'a pas encore été observée d´une manière inambiguë ni à HERA ni au LHC. La recherche de la saturation est un des piliers importants du programme de physique du futur collisionneur électron-ion (EIC) aux États Unis.

Le proton, objet quantique, est composé d'un grand nombre de configurations de particules élémentaires. A chaque observation, le proton est vu dans une configuration particulière. Ce changement de configuration implique une fluctuation de la densité de gluons observée.

À très haute énergie, bien dans le régime de la saturation, les fluctuations de la densité de gluons devraient être supprimées : c'est la limite dite du disque noir du proton. Le proton est alors complètement rempli avec des gluons et sa densité de gluons ne peut plus fluctuer en fonction du temps.  En conséquence, des observables sensibles aux fluctuations de la densité de gluons dans le proton seraient intéressantes pour établir ce régime de saturation des gluons.

 

 
Observer les fluctuations du proton au LHC

Figure 1. Vue artistique du proton. © D. Dominguez/CERN

Observer les fluctuations du proton au LHC


Figure 2. Photoproduction diffractive J/? avec dissociation du proton. Les deux variables ciné-matiques l'énergie W?p du système photon-proton et le transfert de quadri-impulsion entre le proton et le système dissociatif X sont représentées.

Une première observation des fluctuations du proton au LHC

Le LHC peut offrir des énergies de collision bien plus élevées que celles à HERA ou au futur EIC. Par contre, trouver un environnement et un processus sensible à ces fluctuations n'est pas trivial dans un collisionneur hadronique comme le LHC. 

Une possibilité au LHC est l´étude de la photoproduction du J/ψ : un photon incident interagit avec un proton et produit un J/ψ, une particule formée d'un quark charme et son antiquark. Cette particule est facilement détectable par sa désintegration en deux muons. Ce processus est appelé exclusif, lorsque le proton reste intact, ou dissociatif si le proton est cassé. Le premier est sensible à la moyenne de la densité de gluons dans le proton alors que le second est sensible à la variance de celle-ci !  

Au LHC, des collisions entre protons et noyaux de plomb se prêtent bien à l'observation de ce processus. En effet, le noyau de plomb, chargé positivement (nombre de charges Z=82) et accéléré à des énergies ultrarelativistes agit comme une source intense de photons. 

Ce processus est montré schématiquement à la figure 2. Un photon résultant du champ électromagnétique du noyau de plomb interagit avec le proton en produisant une particule J/ψ et un système X avec une masse supérieure à celle du proton. 

La production exclusive a déjà été mesurée par les collaborations LHCb et ALICE  dans des collisions proton-proton et proton-plomb au LHC. Une équipe de la collaboration ALICE menée par les physiciens du DPhN à l'Irfu a récemment réussi à mesurer pour la première fois la section efficace de photoproduction dissociative du J/ψ, une mesure plus difficile à réaliser car elle nécessite une meilleure compréhension des bruits de fond. La mesure a été réalisée avec les données des collisions proton-plomb de 2016 à une énergie dans le centre de masse par paire nucléon-nucléon de 8.16 TeV en reconstruisant les J/ψ via leur décroissance en deux muons grâce au spectromètre à muons d'ALICE.

 

La figure 3 montre en magenta les résultats d'ALICE pour la section efficace diffractive avec dissociation du J/y en fonction de l'énergie Wγp. Les résultats expérimentaux sont comparés aux calculs théoriques d'un modèle incluant des effets de saturation. Ce modèle [2] illustre l´impact de la saturation à des énergies supérieures à celles explorées dans cette étude : au-delà d’une certaine énergie, la section efficace diminue lorsque Wγaugmente.

Pour cette première, ALICE a choisi une région cinématique déjà explorée préalablement avec les données de HERA dans des collisions electron-proton.  La précision des mesures au LHC est similaire à celle des données de HERA (en bleu sur la figure) et démontre le potentiel des futures mesures au LHC à plus haute énergíe. 

Cette étude pionnière ouvre la voie aux collaborations ALICE et LHCb à l'exploration des énergies Wγp plus élevées. Les géométries vers l'avant de LHCb et du spectromètre à muons d'ALICE permettront d'accéder à des énergies bien au delà du TeV en exploitant des collisions proton-plomb.

 
Observer les fluctuations du proton au LHC

Figure 3. Mesure de la section efficace de la photoproduction diffractive de J/? avec dissociation du proton par ALICE [1] en comparaison avec les données de la collaboration H1 à HERA et avec le modèle de physique de saturation appelé CCT [2].

[1] S. Acharya et al. [ALICE], « Exclusive and dissociative J/ψ photoproduction, and exclusive dimuon production, in p-Pb collisions at sqrt(sNN)=8.16 TeV » Phys. Rev. D 108, no.11 (2023) 112004. [arXiv:2304.12403 [nucl-ex]].

[2] J. Cepila, J. G.Contreras and J.D.Tapia Takaki, « Energy dependence of dissociative J/y photoproduction as a signature of gluon saturation at the LHC » Phys. Lett. B 766 (2017) 186-191. [arXiv:1608.07559 [hep-ph]].

 
#5250 - Màj : 27/04/2024

 

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