Dans le cadre du projet de jouvence du spectromètre CLAS du Hall B de Jefferson Lab (USA) en vue de la montée en énergie à 12 GeV, l’Irfu a développé pendant plus de 10 ans un ensemble de trajectographie de nouvelle génération, employant notamment des détecteurs Micromegas minces et flexibles qui sont désormais en fonctionnement auprès du nouveau spectromètre CLAS12 afin de procéder à une cartographie tridimensionnelle du nucléon. Ce projet de trajectographe, issu d’une collaboration étroite entre le DEDIP, le DIS et le DPhN, est une réussite exceptionnelle et a d’ailleurs été largement valorisé pour des instruments développés dans notre institut et au-delà.
La sonde électromagnétique est un outil privilégié, du fait de sa ponctualité, pour mesurer et mieux comprendre la structure du nucléon. Le proton est devenu au cours du temps un laboratoire en soi lorsqu’on s’intéresse à la dynamique de ses composants internes, les quarks et les gluons. En parallèle aux progrès technologiques, cette mise en abyme a vu l'émergence de nouveaux concepts théoriques pour comprendre la structure du nucléon à des niveaux de plus en plus profonds. Ainsi, les distributions de partons généralisées permettent une approche tridimensionnelle de la structure du nucléon, et plus généralement de l'appréhension du confinement des quarks dans les hadrons. La détermination de ces distributions passe par la mesure de réactions exclusives telles que la diffusion Compton profondément virtuelle (e p → e p γ) ou DVCS. Ces mesures sont parmi les motivations principales de la montée en énergie à 12 GeV de l'accélérateur CEBAF au Jefferson Lab (USA), et les équipes de l’Irfu sont porte-paroles de ces expériences. En plus de la construction du nouveau Hall D dédié à un programme de spectroscopie gluonique, les équipements des trois autres halls expérimentaux A, B et C ont été améliorés pour tirer parti des nouvelles caractéristiques du faisceau et accéder à une augmentation sans précédent de la résolution au niveau des quarks.
Dans le Hall B, le spectromètre à grande acceptance CLAS est entièrement refondu pour devenir CLAS12, un nouveau spectromètre adapté à la mesure de réactions exclusives à grand moment transféré, notamment le DVCS, les faibles sections efficaces étant compensées par une luminosité sans précédent. Ce nouveau spectromètre comprend deux sous-ensembles : un détecteur central et un détecteur vers l’avant. Le détecteur central, entourant la cible et placé à l’intérieur d’un champ magnétique solénoïdal de 5 teslas, permet de détecter les particules à grand angle (35° à 125°) et de faible énergie. Le détecteur central comprend successivement à partir de la cible un trajectographe central, un compteur de temps de vol et un compteur à neutrons. Le détecteur vers l’avant permet la détection des particules entre 5 et 35°, et est composé de chambres à dérives dans un champ toroïdal, des compteurs Tcherenkov, un compteur à temps de vol et enfin des calorimètres électromagnétiques.
La contribution de l’Irfu au spectromètre CLAS12 s’est focalisée sur le trajectographe central, inclus dans le détecteur central. Une première partie comporte un ensemble cylindrique de 3 doubles couches de Micromegas qui complètent des détecteurs Silicium développés par Jefferson Lab et situés juste autour de la cible : c’est le Micromegas Vertex Tracker ou MVT. Une deuxième partie, à la frontière entre les détecteurs centraux et vers l’avant, comporte 3 doubles couches de détecteurs Micromegas circulaires plans perpendiculaires à la direction du faisceau pour la reconstruction des traces des particules émises entre 5 et 35° : c’est le Forward Micromegas Tracker ou FMT.
Figure 4: Trajectographe Micromegas à Jefferson Lab fin 2017, avec l'équipe Irfu lors de l'installation.
Le MVT, du fait de l’utilisation de détecteurs souples et donc de sa géométrie cylindrique est le fruit de plus de 10 ans de R&D à l’Irfu, menée grâce à l’atelier MPGD (Micro-Pattern Gas Detector) du DEDIP où les premiers détecteurs Micromegas courbes ont été fabriqués. La transparence aux particules des Micromegas courbes et minces est une contrainte de ce projet, leur longueur de radiation est de l’ordre de 0.4 %.
L’ensemble MVT et FMT forme une surface de 4m² de détection avec 24000 pistes, lues par une électronique dédiée également développée à l’Irfu, l’ASIC DREAM et sa carte frontale, qui permettent l’enregistrement des données de détecteurs à la capacité élevée, et ceci sans temps mort. Enfin, l’ensemble mécanique de soutien interne se devait d’être le plus transparent possible aux particules et a été conçu majoritairement en fibres de carbone montées sur un tube de support où sont installés les six boitiers comprenant les 48 cartes frontales de l’électronique de lecture. La contrainte d’éloignement entre les détecteurs et l’électronique de lecture à conduit à une R&D pour l’utilisation de câbles à faible capacité. Les détecteurs sont lus à travers des câbles micro coaxiaux, de 1.5 m à 2.2 m de longueur, avec une capacité linéique de 40 pF/m.
L’utilisation de détecteurs gazeux à dérive d’électrons dans un champ magnétique de 5 teslas a été validé par des simulations et une série d’essais en aimant, qui ont permis de limiter la dégradation de résolution spatiale due à l’angle de Lorentz en augmentant le potentiel de dérive.
Pour pouvoir caractériser la trentaine de détecteurs de CLAS12 avec des particules au minimum d’ionisation (MIP), un banc de test cosmique a été développé avec un système de multiplexage permettant d’utiliser un minimum de voies d’électronique pour une résolution de l’ordre de 100 µm. Les améliorations de ce banc de test cosmique ont d’ailleurs ouvert la voie à des expériences dédiées à la tomographie muonique.
L’installation s’est effectuée en deux phases, avec en décembre 2016 les deux premières couches de détection, puis le reste de l’ensemble MVT et FMT en juin 2017 avec toutes les couches de détections, les 24000 voies d’électronique et leur refroidissement à air pulsé, la mécanique finale et un système de distribution de gaz contrôlé par un automate. L’intégration avec le reste du détecteur central et l’insertion dans l’aimant ont été réalisés avec succès au Jefferson Lab dans la foulée, et ce malgré des zones d’interface millimétriques. Les niveaux de bruit des détecteurs sont restés aussi faibles que prévu et les prises de données en faisceaux ont débuté en décembre 2017 pour un commissioning jusqu’en février 2018. Dès fin 2017, nos équipes ont pu observer les premières traces en faisceau dans nos détecteurs Micromegas. Les prises de données pour l’expérience de diffusion Compton profondément virtuelle ont ensuite démarré dès mars 2018. Une deuxième phase de prises de données est prévue pour fin août 2018. Entre temps, une maintenance a été effectuée à Jefferson Lab par les équipes de l’Irfu pour s’assurer que le redémarrage se fait dans les meilleures conditions possibles.
Contacts: Franck Sabatié, Stéphan Aune
• Structure de la matière nucléaire › Structure en quarks et gluons des hadrons
• Le Département d'Électronique des Détecteurs et d'Informatique pour la Physique (DEDIP) • Le Département de Physique Nucléaire (DPhN)
• Laboratoire d'étude mécanique et d'intégration des détecteurs (LEMID) • Laboratoire d'intégration des systèmes électroniquesde traitement et d'acquisition (LISETA) • Système temps réel, électronique d'acquisition et microélectronique (STREAM) • Laboratoire structure du nucléon (LSN)
• CLAS12