Les premiers stades de la formation stellaire en amas
révélée par une confrontation entre observations millimétriques et simulations numériques

La formation des étoiles en amas

Il est maintenant établi que la grande majorité des étoiles de notre Galaxie ne se forme pas de manière isolée mais en groupes ou en amas. C'est ce qu'ont montré ces quinze dernières années de nombreuses études de régions galactiques de formation d'étoiles menées avec des caméras dans l'infrarouge entre 2 μm et 15 μm. Cependant, les observations dans l’infrarouge ne donnent la plupart du temps accès qu’à des étoiles jeunes déjà formées ayant déjà acquis l’essentiel de leurs masses. Pour comprendre le processus de formation stellaire en amas, il faut étudier des stades d’évolution plus précoces, c’est à dire des proto-amas peuplés de coeurs denses pré-stellaires et de proto-étoiles très jeunes en train d’accréter leurs masses finales. Ces objets sont trop froids et trop enfouis pour émettre un rayonnement intense aux longueurs d'onde visibles et infrarouges et ne sont bien observables que depuis quelques années dans les domaines millimétrique et submillimétrique.

 

Les proto-amas d’étoiles naissent de la fragmentation des régions les plus denses des nuages moléculaires (cf. Fig. 1). L’origine de la masse des étoiles qui composent ces amas en formation reste toujours matière à débat : est-elle déterminée dès le processus même de fragmentation du nuage parent en cœurs denses pré-stellaires, ou bien seulement plus tard dans le processus de formation stellaire, par exemple à l’issue d’interactions entre proto-étoiles d’un même amas ? Répondre à cette question permettrait aussi de comprendre l’origine de la répartition statistique des masses des étoiles à leur naissance à l’échelle d’une galaxie, i.e. l’IMF (pour « Initial Mass function »), qui semble être identique quelle que soit la galaxie étudiée. Du point de vue des ingrédients physiques responsables de la production de l’IMF, les rôles respectifs de la turbulence interstellaire, du champ magnétique, de la gravité et de l’effet de rétroaction des proto-étoiles ne sont toujours pas bien compris. Il est aussi probable que selon les environnements dans lesquels les étoiles se forment, l’importance relative de chacun de ces ingrédients varie. Tenter d’apporter des éléments de réponses à ces différentes questions a été la motivation de ce travail.

 
Les premiers stades de la formation stellaire en amas

Fig. 1 : Mosaïque de l'émission continuum des poussières à 1.2mm du nuage moléculaire NGC 2264 (Mon OB1) obtenue avec la caméra de bolomètres MAMBO sur le télescope de 30m de l'IRAM (Peretto et al . 2006). Une trentaine de condensations pré-stellaires ou proto-étoiles de « Classe 0 », de masses comprises entre ~ 3 et ~ 50 masses solaires (Mo) sont identifiées dans cette région. Elles sont groupées en 2 proto-amas autour des sources infrarouges IRS1 (NGC 2264-C) et IRS2 (NGC 2264-D).

 

NGC 2264-C: Observations et modélisation

NGC 2264-C est un proto-amas d’étoiles situé dans le complexe moléculaire NGC 2264 (Mon OB1 – cf. Fig. 1), à une distance d ~ 800 pc de notre Soleil. Nous avons observé NGC 2264-C en différentes raies moléculaires millimétriques, ainsi qu'en continuum millimétrique de poussières, avec le télescope de 30m de l'IRAM et l'interféromètre du plateau de Bure (PdBI). Ces observations ont permis d'établir la distribution en masse du proto-amas grâce à l'émission optiquement mince du continuum de poussières et de contraindre sa dynamique grâce à l’information fournie par les spectres de raies sur le champ de vitesse projeté, et ce sur des échelles spatiales allant de 3000 UA (i.e. 0.015 pc) à 200 000 UA (1 pc).

 
Les premiers stades de la formation stellaire en amas

Fig. 2 : Carte de spectres dans la raie moléculaire HCO+(3-2) obtenue en direction du proto-amas NGC 2264-C à l�IRAM 30m avec la caméra hétérodyne HERA, superposée à l�image de l'émission continuum à 1.2mm. La modélisation de ce type de spectres donne accès à la cinématique de la région. Ici, ils indiquent que NGC 2264-C est animé de mouvements d�effondrement à grande échelle le long de son grand axe (Peretto et al 2006).

 

Comme la plupart des proto-amas d'étoiles, NGC 2264-C consiste en un nuage de gaz dense d'un diamètre d'environ 1pc (M ~ 1600 masses solaires ) dans lequel plusieurs coeurs denses se sont fragmentés (i.e. 13 coeurs proto-stellaires ayant des masses allant de 2 à 42 masses solaires ; voir Fig. 3a). Du point de vue de la distribution de matière, l'une des particularités de NGC 2264-C est que ses cœurs principaux sont remarquablement alignés le long de l'axe principal du proto-amas. Le coeur le plus massif recensé, C-MM3, se situe au centre de gravité projeté de NGC 2264-C, suggérant que la gravité joue un rôle prépondérant pour structurer le proto-amas.
Du point de vue du champ de vitesse, NGC 2264-C est particulièrement intéressant. Les spectres observés dans des transitions optiquement épaisses au télescope de 30m, tels que HCO+(3-2), montrent dans la majorité du proto-amas des profils auto-absorbés à deux pics, avec un pic décalé vers le bleu plus intense que le pic rouge. Ce type de profil est généralement interprété comme une signature de mouvements d'effondrement de matière dans l’objet observé. Associés à ces signatures d’effondrement dans les transitions optiquement épaisses, les observations de transitions de faible profondeur optique, telle N2H+(1-0), montrent une discontinuité de vitesse de ~ 2 km.s-1 centrée sur C-MM3 (cf . Fig. 3b), divisant le proto-amas en deux, le coté Ouest étant caractérisé par une vitesse projetée le long de la ligne de visée de ~ 8.5 km.s-1 et le coté Est par une vitesse projetée de ~ 6.5 km.s-1. Les observations interférométriques obtenues au PdBI résolvent cette discontinuité centrale et mettent en évidence l'existence d'un nouveau coeur proto-stellaire jusqu'à lors non résolu, caractérisé par une vitesse projetée de plus de 1 km.s-1 de celle associée à C-MM3. Un autre aspect des observations de transitions à faible profondeur optique obtenues au télescope de 30m est que celles-ci révèlent une remarquable symétrie des spectres par rapport à l’objet central C-MM3 le long de l’axe principal du proto-amas.

Réussir à expliquer les différentes signatures observationnelles de NGC 2264-C dans le cadre d’un seul et même scénario cohérent est un objectif clé lorsqu’on cherche à identifier les mécanismes physiques dominants responsables de la formation d'étoiles dans ce proto-amas. Nous avons donc construit un modèle relativement simple en assimilant NGC 2264-C à un nuage de gaz ellipsoïdal, allongé le long de l'axe principal défini par l'alignement des sources C-MM1, C-MM2, C-MM3, C-MM4, C-MM5. Le centre projeté de ce nuage est donné par la position de C-MM3. Dans ce modèle, le nuage s'effondre sur lui-même de manière axiale, et non de manière sphérique. Si de plus ce nuage ellipsoïdal est incliné d’un angle de ~ 45 degrés par rapport à la ligne de visée, alors les signatures cinématiques attendues pour un tel proto-amas deviennent proches de celles observées pour NGC 2264-C. C’est ce que nous avons pu montrer grâce à des calculs de transfert radiatif avec un code numérique de type Monte-Carlo.

Afin de tester la validité physique de ce modèle, nous avons ensuite entrepris d'utiliser des simulations hydrodynamiques SPH (pour « Smooth Particle Hydrodynamics »). Nos simulations modélisent l’évolution d’un nuage de gaz de 1000 Mo, fortement instable initialement, au cours de son effondrement gravitationnel (cf. Film 1). Le nuage initial est de forme ellipsoïdale avec un rapport d'aspect de 2. Le profil de densité est quasiment uniforme dans la partie centrale (r < 0.7pc) et décroît fortement dans la partie externe. Nous avons également ajouté des fluctuations de vitesse turbulentes dont l'énergie cinétique varie de 0% à 50% de l'énergie gravitationnelle selon les cas. Ces simulations ont été comparées en détail aux observations pour différents jeux de conditions initiales et différents pas de temps. Cela nous a permis d’identifier un jeu de paramètres pour lesquels les simulations, une fois convoluées à la résolution des observations, procure un très bon accord avec les observations. La comparaison des images observées (Fig. 3a et 3b) et simulées (Fig. 3c et 3d) illustre ce point.

 
Les premiers stades de la formation stellaire en amas

Figure 3: (a) : Image continuum de poussières à 1.2mm de NGC 22264-C obtenue avec le télescope de 30m de l�IRAM. Les coeurs principaux sont désignés par l�appellation CMM. (b) : Diagramme position-vitesse en N2H+(1-0) le long d�un axe passant par CMM2, CMM3, et CMM4. Ce diagramme a été obtenu avec le télescope de 30m de l�IRAM. (c): Image de la colonne densité synthétique obtenue à partir d�un des pas de temps de nos simulations hydrodynamiques., et convoluée à la résolution du télescope de 30m de l�IRAM. Les fragments sont notés SIM. (d) : diagramme position-vitesse obtenu le long d�un axe passant par SIM2, SIM3, SIM4. La résolution spatiale de cette image est identique à celle de nos observations 30m. (D�après Peretto et al. 2007)

 

Une vision dynamique de la formation des étoiles en amas

Le très bon accord trouvé entre les simulations hydrodynamiques et les observations suggère fortement que NGC 2264-C est effectivement en effondrement le long de son axe principal et que les coeurs qui le composent sont entraînés vers le centre du proto-amas par ce mouvement d’effondrement à grande échelle. Les simulations hydrodynamiques nous ont aussi permis de poser des contraintes assez sévères sur l'état d’évolution de NGC 2264-C ainsi que sur les conditions initiales de son effondrement. La signature dynamique observée au centre de NGC 2264-C ayant une durée de vie très limitée, nous avons pu établir que le proto-amas est âgé de moins de 100 000 ans depuis le début de l’effondrement. De plus, nous avons pu conclure que la gravité est le principal agent structurant dans cette région, la turbulence ne jouant qu'un rôle mineur. En d’autres termes, il semble que le processus de fragmentation à l’origine des cœurs denses proto-stellaires observés dans ce proto-amas soit de nature purement gravitationnelle, reliée à la célèbre instabilité identifiée par Jeans en 1928 et qui porte son nom.
Pour que cette fragmentation gravitationnelle se déclenche, il faut partir d’un nuage très fortement instable au départ. L’influence d’une compression extérieure est très certainement nécessaire pour produire ces « conditions initiales » et caractérise très probablement les premiers stades de la formation d'étoiles en amas. La formation stellaire déclenchée à toutes les échelles dans l’Univers est une thématique qui intéresse tout particulièrement les astronomes aujourd’hui, comme le démontre un récent Symposium (IAU 237) organisé par l’UAI lors de sa dernière assemblée générale à Prague en Août 2006.

 
Film

Film 1 : Simulation hydrodynamique SPH d’un nuage de gaz de 1000 masses solaires, gravitationnellement instable initialement. Des fluctuations turbulentes de vitesse, représentant initialement 5% de l’énergie gravitationnelle, permettent de briser la symétrie du nuage. On peut voir dans ce film le nuage qui s’effondre sur lui même sous l’effet de sa propre gravité, tout en se fragmentant en plusieurs cœurs pré-/proto-stellaires (en rouge dans le film). Ces cœurs sont entraînés par l’effondrement global du nuage, pour finalement interagir au centre du proto-amas. (D’après Peretto et al. 2007)  film format mpeg, 345 Ko (crédit CEA/ENS)

 

Contacts :   ,

Publications :

"Probing the formation of intermediate- to high-mass stars in protoclusters II. Comparison between millimeter interferometric observations of NGC 2264-C and SPH simulations of a collapsing clump"  N.  Peretto, P. Hennebelle and P. And, 2007, article à paraître dans la revue Astronomy and Astrophysics  (télécharger ce document, fichier pdf - 900Ko)
"Probing the formation of intermediate- to high-mass stars in protoclusters: A detailed millimeter study of the NGC 2264 clumps"  N. Peretto, P. And, 2007 and A. Belloche, article à paraître dans la revue Astronomy and Astrophysics (télécharger ce document, fichier pdf - 990Ko)


pour en savoir plus:

L'enfance des étoiles (25 septembre 1998)

 

 
#1430 - Màj : 12/01/2009

 

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