01 décembre 2006
Explosion asymétrique des supernovae
Comment explosent les étoiles massives ?

Les étoiles massives finissent leur vie par une explosion spectaculaire, appelée supernovae [1], qui donne naissance à une étoile à neutrons en même temps qu'à l'éjection des couches externes. Les observations indiquent que cette explosion est parfois si asymétrique que l'étoile à neutrons peut être propulsée dans la Galaxie à des vitesses dépassant 1000 km/s. Quelle est l'origine de cette étonnante impulsion ? Une équipe du Service d'Astrophysique du CEA/DAPNIA conduite par Thierry Foglizzo en collaboration avec des chercheurs du Max Planck Institute for Astrophysics de Garching vient de mettre en évidence le mécanisme responsable de l'asymétrie observée. Une instabilité hydrodynamique dite "advective-acoustique", localisée dans les 200 premiers kilomètres du coeur de l'étoile et active pendant la première seconde de l'explosion, permet enfin d'expliquer les vitesses surprenantes des étoiles à neutrons. Ces travaux paraîtront dans la revue The Astrophysical Journal.

 

Choc en panne et chauffage par les neutrinos

L'explosion d'une étoile massive démarre lorsque les réactions nucléaires au centre de l'étoile s'arrêtent faute de combustible. Son coeur, constitué majoritairement de noyaux de Fer, s'effondre sous son propre poids et se transforme en un amas de neutrons dans un bain de neutrinos. Les couches externes en chute libre viennent alors rebondir sur la surface de cette protoétoile à neutrons et produisent une onde de choc qui finit par stagner à environ 200km du centre de l'étoile : le choc est en panne. Une fraction des neutrinos parvient à chauffer la matière qui franchit le choc au point de permettre, après quelques dixièmes de secondes, son redémarrage vers les zones externes pour finalement déclencher l'explosion. Tel était le scénario proposé en 1985 par Bethe et Wilson.

Mais en raffinant le traitement numérique du transport des neutrinos (la manière avec laquelle ils se propagent et dissipent leur énergie), les chercheurs se sont aperçus que ce scénario est inefficace si on néglige les mouvements transverses induits par les instabilités hydrodynamiques. Ces simulations numériques ont notamment révélé la présence d'une étrange instabilité du choc en panne, qui le déplace par rapport à l'étoile à neutrons dans un mouvement latéral d'oscillations amplifiées, avec une période d'environ 30 millisecondes. Quel est son mécanisme ?

Une nouvelle instabilité hydrodynamique

L'originalité des travaux décrits ici a consisté à aborder le problème de façon perturbative et simplifiée, afin de le rendre plus accessible à notre compréhension. En mesurant le couplage entre ondes sonores et flux tourbillonnaires, les chercheurs ont mis en évidence un cycle instable dans lequel des tourbillons tombant sur l'étoile à neutrons génèrent des ondes sonores. Celles-ci déforment le choc et génèrent de nouveaux tourbillons plus intenses que les premiers (voir figure ci-dessous).

 
Explosion asymétrique des supernovae

Derniers instants avant l'explosion.  Le Fer du coeur de l'étoile est ralenti et chauffé à travers le choc (trait bleu foncé), puis dissocié en nucléons (p+,n,e-). Les neutrinos νe produits par capture des électrons e- par un proton p+ refroidissent efficacement les régions internes (bleu clair) au dessus de la neutrinosphère [2] (bleu foncé). Une partie de ces neutrinos est interceptée par le gaz près du choc et chauffe les régions externes. Le cycle advectif-acoustique [3] se développe entre le choc et l'étoile à neutrons. Le ralentissement des tourbillons (cercles rouges) à l'approche de la surface de l'étoile à neutrons produit une onde sonore (flèche bleue) qui, en atteignant le choc, va générer de nouveaux tourbillons plus intenses que les premiers. Ce surplus d'énergie permet d'amplifier les oscillations asymétriques du choc. (Cliquer pour agrandir, Crédit CEA).

L'instabilité découverte est ainsi une nouvelle version de l'instabilité advective-acoustique introduite en astrophysique dans le cadre des trous noirs supersoniques. Elle se développe en même temps que l'instabilité convective induite par le chauffage des neutrinos. La différence morphologique entre ces deux instabilités est illustrée par les deux figures ci-dessous.

 
Explosion asymétrique des supernovae

Pendant la première seconde qui suit le rebond du choc, le flot d'accrétion entre l'étoile à neutrons et le choc en panne est soumis à deux instabilités hydrodynamiques distinctes illustrées par ces extraits de simulations numériques, 166 millisecondes après le rebond du choc. Figure de gauche: le chauffage par les neutrinos est responsable de mouvements convectifs circonscrits dans la région de chauffage. Figure de droite: l'instabilité advective-acoustique est responsable de perturbations asymétriques (le long de l'axe horizontal) s'étendant sur des distances plus importantes. Les couleurs (du bleu au rouge) traduisent les variations de température induites par les neutrinos. 107cm=100km. Cliquer pour agrandir, Crédit CEA/MPA.

Des conséquences observationnelles et théoriques

L'instabilité découverte est la source fondamentale de l'asymétrie de l'explosion, qui se traduit une seconde plus tard par l'accélération de l'étoile à neutrons à des vitesses pouvant dépasser 1000km/s. L'identification de ce mécanisme permettra d'étudier d'autres conséquences observables: si l'étoile est en rotation, doit on s'attendre à un alignement entre l'axe de rotation et l'impulsion de l'étoile à neutrons? Pourra-t-on détecter les ondes gravitationnelles associées à cette explosion asymétrique si une telle supernova explose dans notre Galaxie ?
Sur le plan théorique, cette instabilité est susceptible d'influencer le seuil  d'explosion de la supernova. Peut-elle faciliter l'explosion ?
La complémentarité des approches analytique et numérique, privilégiée par cette équipe, semble indispensable pour répondre à ces nouvelles questions.

 

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Contact :  

Publication :

"Instability of a stalled accretion shock: evidence for the advective-acoustic cycle"T. Foglizzo, P. Galletti, L. Scheck, H.-Th. Janka : à paraître dans la revue The Astrophysical Journal, 10 janvier 2007,  télécharger l'article fichier pdf (1.3Mo)
 

Publication complémentaire:
« Neutrino-driven convection versus advection in core collapse supernovae », Foglizzo T., Scheck L., H.-Th. Janka, à paraître dans « The Astrophysical Journal », 1er décembre 2006, Télécharger l'article fichier pdf (930Ko)

Voir aussi : - Des fusées aux trous noirs (22 février 2005)
- De l’instabilité advective-acoustique aux explosions asymétriques des Supernovae de type II
  (25  octobre 2005)
 

Notes
[1] Supernovae gravitationnelles et supernovae thermonucléaires : il existe deux catégories d'explosion d'étoiles. Les explosions d'étoiles massives (masse comprise entre 9 et 25 fois la masse du Soleil) dont le coeur de Fer est trop lourd pour supporter sa propre gravitation s'appellent "supernovae gravitationnelles". Le scénario présenté ici s'applique à ce type de supernovae. La deuxième classe concerne un système binaire dont un des membres est une naine blanche. L'accrétion de matière à la surface de la naine blanche provoque une explosion, donnant naissance à une "supernova thermonucléaire".
[2] La neutrinosphère définit la région à l'extérieur de laquelle la densité est suffisamment faible pour que les neutrinos se propagent librement. L'intérieur de la neutrinosphère est opaque vis à vis des neutrinos. Par analogie, elle est équivalente à la photosphère pour le Soleil, les neutrinos étant remplacés dans ce cas par la lumière visible.
[3] Cycle advectif-acoustique : l’advection désigne le transport à la vitesse du fluide, par opposition à la propagation acoustique qui a lieu à la vitesse du son. Un cycle advectif-acoustique implique à la fois des perturbations advectées, telles que les tourbillons, et des perturbations acoustiques.

Rédaction: Thierry Foglizzo / Christian Gouiffès

 
#1176 - Màj : 01/12/2006

 

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