20 janvier 2004
Dimensions cachées de l'Univers
Une nouvelle contrainte astrophysique.

Selon certaines théories physiques modernes, l'Univers pourrait avoir des dimensions d'espace supérieures aux trois dimensions qui nous sont communes. Une équipe de chercheurs, parmi lesquels Michel Cassé et Jacques Paul du Service d'Astrophysique (SAp) du CEA-DAPNIA, vient de démontrer que l'émission en rayons gamma de hautes énergies de la Galaxie pouvait être utilisée pour tester de façon originale cette hypothèse théorique.

Gravitation et gravitons.
La force de gravité est la force la plus faible des quatre interactions fondamentales (interaction forte, interaction faible, interaction électromagnétique, interaction gravitationnelle) et pour cette raison son unification avec les autres forces reste très difficile à réaliser. Dans la théorie des Supercordes [1], cette unification peut être rendue possible si l'espace-temps possède plus de quatre dimensions. Les dimensions supplémentaires de l'espace sont en quelque sorte "compactifiées", c'est à dire repliées sur elles-mêmes sous de très petites tailles impossibles à mettre en évidence dans le monde ordinaire. Dans cette théorie, une conséquence importante des dimensions "cachées" est l'existence du "graviton", une particule encore hypothétique qui transmet la force de gravité tout comme la particule de lumière, le photon transmet la force électromagnétique. Certains scénarios prédisent en particulier la production d'une grande quantité de gravitons lors d'une supernova, l'explosion d'une étoile massive au cours de laquelle le coeur de l'étoile est transformé en un petit astre dense, une étoile à neutrons.

Les astrophysiciens Hannestad et Raffelt [2] ont pu montré en 2003 que les gravitons qui sont produits en grand nombre lors de l'explosion peuvent survivre suffisamment longtemps en orbite autour de l'étoile à neutrons nouvellement formée. Ils se désintègrent lentement en produisant des paires électron-positon et des rayons gamma de haute énergie (de l'ordre de 100 Mega-electronvolt, soit un million de fois plus puissant que les rayons de lumière visible). Le flux attendu de rayons gamma dépend en particulier du nombre exact de dimensions supplémentaires de l'espace et de leurs tailles caractéristiques.

 
Emission gamma de la Galaxie.

C'est en utilisant les résultats du satellite CGRO-Compton de l'agence spatiale américaine NASA sur l'émission gamma du centre de la Galaxie que Michel Cassé et ses collaborateurs sont parvenus à obtenir d'intéressantes contraintes sur les dimensions cachées.
Le centre de notre galaxie est en effet constitué des plus vielles étoiles. Un grand nombre y a déjà explosé, laissant derrière elles près d'un milliard d'étoiles à neutrons dans un rayon d'environ 10 degrés autour du centre.

 
Dimensions cachées de l'Univers

Le satellite CGRO-Compton
(Crédits NASA)

Dimensions cachées de l'Univers

La carte de l'émission de rayons gamma de haute énergie de la Galaxie (crédit NASA)

Les hypothétiques gravitons pouvant survivre jusqu'à plusieurs milliards d'années autour de ces astres denses, cette région précise de la galaxie devrait donc produire un important flux de rayons gamma, preuve de la désintégration lente des gravitons. En utilisant le flux de rayons gamma mesuré par l'instrument EGRET (Télescope de l'Expérience de Rayons Gamma Energétiques) à bord du satellite Compton comme valeur maximale de l'émission des gravitons, l'équipe de chercheurs a pu en déduire la taille caractéristique maximale des dimensions cachées. Une limite similaire avait déjà été obtenue en étudiant l'émission gamma individuelle d'étoiles à neutrons isolées [2] mais le flux gamma provenant d'une collection de plus d'un milliard de ces étoiles du centre galactique fournit un bien meilleur résultat.

Cette taille varie selon le nombre de dimensions supplémentaires. Pour un espace-temps ayant seulement une dimension supplémentaire (espace à 5 dimensions), la taille maximale est de 400 millionièmes de mètres, une distance pour laquelle la force de gravité commence à pouvoir être étudiée également en laboratoire. Pour un espace-temps à 8 dimensions, la taille limite calculée est en revanche très petite, d'environ 5 10-13 m (soit environ 300 000 fois le rayon du proton). Il s'agit de la contrainte la plus coercitive obtenue jusqu'ici sur les dimensions cachées de l'Univers.

 
Contact :

Publication :
"The Gamma rays from the Galactic bulge and large extra dimensions" Michel Casse (1), Jacques Paul (1), Gianfranco Bertone (2), Guenter Sigl (2)
(1) CEA/DSM/DAPNIA, Service d'astrophysique, Saclay, (2) Institut d'Astrophysique
à paraitre dans Physical Review Letter (2004)

Pour une version électronique : hep-ph/0309173

voir aussi : "Contrainte sur les constantes physiques par la radioactivité" (20 Décembre 2002)



Notes
[1] pour une introduction en anglais sur la Théorie des Cordes: "String theory website"
[2] Hannestad et Raffelt (2003) "Supernova and neutron-star limits on large extra dimensions reexamined",Phys. Rev D76, 125008 (hep-ph/0304029)

 
#250 - Màj : 20/01/2004

 

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