30 septembre 2009
Cascade de naissances dans les nuages sombres
La naissance des étoiles massives est provoquée par des forces extérieures

Quel mécanisme déclenche la création d’une étoile ? Comment passe-t-on d‘un nuage de gaz raréfié à une étoile dix fois plus massive que le Soleil ? Des observations réalisées par des astrophysiciens du  Service d'Astrophysique du CEA-Irfu  et Laboratoire AIM-Saclay, en collaboration avec des chercheurs européens, australiens et chiliens, viennent de montrer que l’environnement est primordial. En étudiant des régions de formation d’étoiles massives, grâce notamment à la caméra bolométrique p-ArTéMIS  au foyer de l’antenne submilimétrique APEX située à 5100 m d’altitude au Chili, les chercheurs ont découvert que les étoiles se formaient en cascade, la formation de premières étoiles déclenchant par compression des générations successives. Ces résultats viennent d’être publiés dans la revue européenne Astronomy & Astrophysics.

 

Les pouponnières d'étoiles

Les étoiles naissent en groupe dans d’immenses nuages de gaz pouvant atteindre une centaine d’années-lumière de diamètre et contenant de l’alcool, de l’ammoniaque, de la vapeur d’eau, du monoxyde de carbone et surtout de l’hydrogène. Un nuage peut se décomposer en fragments sous l’influence de grands mouvements turbulents. Les fragments se condensent ensuite sous l’effet de leur propre gravité. La pression interne du gaz, d’origine thermique, turbulente et magnétique, ralentit toutefois cette contraction, et maintient tout d’abord un certain équilibre. À un certain point, l’équilibre se rompt et chaque fragment de nuage s’effondre rapidement sur lui-même sous l’action de son propre poids pour former un embryon d’étoile ou proto-étoile au centre. La proto-étoile grossit alors en attirant une grande partie de la matière du fragment de nuage qui l'entoure jusqu’à amorcer au centre les réactions nucléaires de fusion de l'hydrogène en hélium. Une étoile est née. Pour les plus massives, elles restent cachées dans leur cocon de gaz et de poussière durant une partie importante de leur vie, rendant leur observation très difficile.

 

Des forces extérieures provoquent la naissance d'étoiles massives

Pendant longtemps, les astrophysiciens ont pensé que la fragmentation d’un nuage de gaz et l’effondrement qui suit pour former des étoiles, était le résultat d’une dissipation d’énergie (turbulences ou magnétisme) à l’intérieur même du nuage. Mais, dans de nombreuses régions de notre galaxies, plusieurs générations d'étoiles sont observées à l'intérieur d'un même nuage moléculaire parental. Le cycle de naissance injecte alors beaucoup d'énergie sous forme de jets de matière et de propagation d'ondes de choc. Par exemple, dans l’explosion qui marque la mort d’une étoile, une puissante onde de choc est déclenchée qui peut provoquer l'effondrement de nuages moléculaires avoisinants. Ce processus de « formation déclenchée » des étoiles n’avait pour l’instant jamais été démontré.
C’est en utilisant des détecteurs de lumière infrarouge, submillimétrique et millimétrique placés sur les. télescopes de l'ATNF en Australie et APEX au Chili, que les chercheurs ont pu "voir" à l’œuvre ce mécanisme, à l'intérieur des zones opaques où se forment les étoiles.

 

Vision d'artiste de la formation déclecnchée des étoiles massives

Générations d'étoiles et nouvelles naissances par déclenchement

Deux régions de formation d’étoiles ont été sondées. Dans le cas de la région NGC 3576, située à environ 6000 années-lumière, dans la constellation de la Carène, le centre du nuage dense d’hydrogène moléculaire est totalement invisible en lumière ordinaire mais apparait clairement par l’émission du monoxyde de carbone (CO). La carte des régions les plus denses révèle une zone de gaz d’hydrogène ionisé, appelée région HII,  formée autour d’un amas de jeunes étoiles massives. Cette région continue de se dilater sous l’effet de sa pression ce qui créée une bulle de gaz moléculaire autour de la région HII.  En observant cette bulle à travers le monoxyde de carbone (CO), un mouvement d'expansion d'une vitesse de 7 km/s a été enregistré. Des embryons d’étoiles sont observés en périphérie de cette bulle en dilatation et le long de bras dans le nuage moléculaire. La dilatation de la région HII semble donc avoir déclenché par compression la formation de nouvelles proto-étoiles. Des fragments denses de 5 à 500 fois la masse du Soleil vont former de nouvelle étoiles de 15 à 50 fois la masse du Soleil.

 
Cascade de naissances dans les nuages sombres

A gauche: photographie en positif de NGC 3576, une région de formation d'étoiles dans la Voie Lactée. Les zones blanches sont les régions n’émettant pas de lumière « visible ». Elles ne sont pas vides mais remplies de poussière ("1.2 mm dust") et de gaz (CO) détecté grâce aux ondes « millimétriques » par les radiotélescopes (contours 13CO). A droite: reconstruction de l’intérieur du nuage : des fragments (dense clumps) sont identifiés à partir d’observation de poches d’ammoniaque et de l’émission thermique des grains de poussière. Au centre, une coquille de gaz moléculaire se dilate sous la pression de la région HII .(Crédit image : Purcell, Minier).

Un deuxème cas a été observée dans la région G327.3, un nuage sombre en infrarouge, très dense, pris en "sandwich" par la propagation d’une onde de choc liée à un vent stellaire sur sa gauche et par la dilatation de deux régions HII au nord et au sud. Le champ de vitesse à l'intérieur du nuage est mesuré à partir de raies d'émission du monoxyde de carbone. A l'est du nuage, la vitesse correspond à celle du vent stellaire d'une étoile massive. Au nord et au sud, les vitesses sont celles du gaz en expansion autour des régions HII. Au centre du nuage, le profile de vitesse est multiple. Clairement, le nuage moléculaire subit des compressions multiples. En observant la morphologie du nuage sombre grâce à l’émission des grains de poussière, de nombreux fragments sont identifiés (SMM1 à 10 sur l’image ci-dessous). Leur dimension, densité, masse, température et luminosité indiquent qu’ils pourraient donner naissance à des étoiles massives.

 
Cascade de naissances dans les nuages sombres

Formation d'étoiles massives dans la région G327.3. A droite, l'image représente l'émission des grains de poussière et du gaz à 8 µm observé par le télescope spatial Spitzer. Les contours blancs représentent l'émission des poussières froides à 450 µm qui délimite les zones les plus froide (-250°C ou 20 K) et les plus denses de gaz moléculaire. A gauche, l'image présente les différents cocons d'étoiles au sein des zones opaques. Chaque cocon pourrait donner naissance à une ou plusieurs étoiles massives. SMM1 en particulier est une forte source infrarouge indiquant qu'une étoile massive y est déjà née.

Le déclenchement de la formation stellaire par des étoiles déjà formées au voisinage reste néanmoins énigmatique. Certes, des mouvements de compression apporteraient l'énergie suffisante à l'effondrement des fragments du nuage moléculaire en objets denses capables de former des étoiles massives. Le rôle de ce mécanisme dans l'accumulation de gaz pour former le nuage parental n'est pas encore bien établi.

 

Contact: Vincent Minier

 

Publications:

Multi-generation massive star-formation in NGC 3576 , par C. Purcell, V. Minier, S.N. Longmore, Ph. André, A.J. Walsh, P. Jones, F. Herpin, T. Hill, M.R. Cunnigham, M.G. Burton, publié dans la revue Astronomy & Astrophysics, septembre 2009, vol. 504, p. 139 (fichier en pdf via astro-ph ).

Evidence of triggered star formation in G327.3-0.6. Dust-continuum mapping of an infrared dark cloud with P-ArTéMiS par V. Minier, Ph. André, P. Bergman, F. Motte, F. Wyrowski, J. Le Pennec, L. Rodriguez et al., publié dans la revue Astronomy & Astrophysics, juillet 2009, vol. 501, p. L1 (fichier en pdf via astro-ph ).

 

voir aussi :

   Débat sur la formation des étoiles  (19 octobre 2007)
   Artémis à 5100m d'altitude  (6 juillet 2007)
   Premières lumières sur le télescope KOSMA  (mars 2006)

 


Rédaction : Vincent Minier

 
#2633 - Màj : 03/10/2009

 

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