Le mécanisme à la base de la formation des taches solaires vient d’être mis en évidence par une équipe internationale incluant des chercheurs du Service d’Astrophysique-Laboratoire AIM du CEA-Irfu. A l’aide de simulations magnétohydrodynamiques 3D du Soleil, les astrophysiciens ont démontré que le cisaillement du champ magnétique générait bien des enroulements magnétiques flottants capables d’émerger à la surface du Soleil produisant le phénomène de taches. Néanmoins, cette simulation a été réalisé sur un Soleil « jeune » tournant 3 fois plus vite que le Soleil actuel. Ces résultats sont publiés dans les revues Solar Physics et Astrophysical Journal.
Le Soleil et les étoiles de types solaires possèdent un intense magnétisme qui se manifeste de façon très variée et sur des dimensions et des temps très différentes allant de la présence de points brillants à la surface du Soleil (100 km, variation de moins de 10 minutes) aux taches solaires (moins de 30,000 km, variations de quelques jours à semaines), jusqu'aux grandes boucles dans la couronne solaire (~ 200,000 km et variations de plusieurs mois). Enfin, le Soleil montre aussi un cycle quasi régulier d'activité magnétique de 11 ans (+/- 3 ans) durant lequel le nombre de taches varie régulièrement.
Comprendre l'origine et la diversité de cette activité magnétique est un réel défi tant il est difficile d'appréhender les mouvements très turbulents du plasma solaire magnétisé (gaz ionisé qui se comporte comme un fluide conducteur) et son auto-organisation à grandes échelles. Le scénario le plus probable est que le magnétisme solaire prend son origine dans un processus physique appelé « dynamo fluide ». Une dynamo c'est la capacité qu’a un fluide conducteur comme le plasma à engendrer un champ magnétique par mouvement de charges électriques – tout comme la dynamo sur une bicyclette entrainée par le mouvement de la roue –et de le maintenir contre la dissipation thermique (dit effet Joule). Afin de confirmer que le processus de la « dynamo » est bien à l'origine du magnétisme des étoiles comme le Soleil, divers travaux théoriques et de simulations numériques ont été développés depuis la fin des années 60.
Le Service d’Astrophysique-Laboratoire AIM du CEA-Irfu, participe à cet effort depuis maintenant plus de 15 ans et a développé des modèles globaux du magnétisme solaire et stellaire parmi les plus réalistes à ce jour en s’appuyant sur un code de simulation numérique moderne et massivement parallèle ASH (Anelastic Spherical Harmonics) fonctionnant sur de très grands calculateurs regroupant plus de 10,000 processeurs.
Ces simulations permettent de comprendre le processus dynamo lui même mais aussi les mécanismes élémentaires contribuant au fonctionnement de la dynamo solaire comme par exemple l'émergence de flux magnétique à la surface des étoiles et donc à l'origine des taches solaires. De réels progrès ont été fait très récemment dans notre compréhension du processus de formation de ces taches.
A gauche : calcul d'un ruban magnétique intense créé dans l'enveloppe convective d'une étoile montrant la structure complexe du champ magnétique. La polarité du champ est indiquée : positif en rouge, négatif en bleu. A droite : zoom sur une zone de champ magnétique particulièrement intense, qui devient instable et forme des boucles flottantes en forme de "Ω" vraisemblablement à l'origine des régions actives produisant les taches solaires. Crédit N. Nelson
Depuis longtemps il est connu qu’en raison de la rotation non uniforme des étoiles de type solaire – la vitesse de rotation est plus rapide a l’équateur qu’aux pôles–, le cisaillement à grande échelle du champ magnétique connectant les deux pôles (champ poloidal) engendre des couches magnétiques intenses horizontales. Celles-ci sont stockées à la base des enveloppes convectives et juste en dessous dans une zone de fort cisaillement appelée « tachocline ».
Quand le champ dans ces couches devient trop intense (de l'ordre de plusieurs dizaines de milliers de Gauss), elles tendent à devenir fortement flottantes et s'élever en altitude. Pour les plus intenses d'entre elles, elles émergent alors sous la forme de taches à la surface des étoiles. La raison principale d'apparition de ces taches sombres est que le magnétisme intense contenu dans ces structures (ou tubes de flux) flottantes, inhibe la convection et bloque une partie du transport de chaleur associé. Ces taches apparaissent alors plus froides et donc plus sombres.
Cependant jusqu'à présent dans les calculs dynamos turbulents, ces couches magnétiques ne devenaient pas suffisamment intenses pour émerger. Le magnétisme ainsi généré, même si il était cyclique (avec des périodes allant de 500 jours à 30 ans selon les modèles), ne possédait pas la capacité de laisser émerger des structures à la surface en continu comme observé.
A.S. Brun, au sein d'une collaboration avec des astrophysiciens américains des universités du Colorado et du Wisconsin dans le cadre du programme « MoU Stellar Dynamos », a pu réalisé un calcul dynamo global générant pour la première fois des structures magnétiques flottantes de manière auto-cohérente et ainsi étudié le processus de génération et d'émergence de taches ab initio [1, 2]. De plus, ce modèle magnétohydrodynamique en 3 dimensions a pu étudier le caractère cyclique de l’effet « dynamo » et ainsi le changement de polarité et le renversement du champ magnétique de l'étoile "numérique".
Jusqu’ici, souvent pour reproduire l'émergence de ces structures, celles-ci étaient mises "à la main" dans les simulation de convection sans même la prise en compte d'un champ dynamo de fond. Les derniers travaux publiés par les chercheurs du Service d’Astrophysique-Laboratoire AIM dans le groupe « Dynamique des Etoiles et de leur Environnement » (LDEE) viennent de changer la donne.
Simulation de l'évolution au cours du temps (de 5 à 55 jours) de la structure du champ magnétique interne d'une étoile comme le Soleil. La coupe, selon le plan milieu de l'étoile, montre la forme des lignes de champ magnétiques (lignes noires) dans l'enveloppe convective (zone intérieure centrale) et la couronne (zone plus extérieure). La couleur traduit la polarité du champ : positif en orange, négatif en bleu.
On remarque, qu'à une latitude de 30 degrés nord, le champ de la couronne se reconfigure complètement, passant d'une configuration complexe dite multipolaire à une configuration plus simple (dipolaire) qui va se traduire par l'apparition d'une tache solaire à la surface. Crédits Pinto-Brun/ SAp CEA
Ces calculs ont été effectués pour un jeune Soleil tournant trois fois plus vite que notre Soleil actuel. Il semblerait que la présence d'une forte rotation et d'une rotation différentielle intense favorise la génération de couches magnétiques enroulées (ou magnetic wreaths) horizontales intenses. En améliorant le traitement des diffusivités par une méthode mathématique dite "sous-maille", le degré de turbulence a pu être augmenté suffisamment pour que les enroulements dépassent le seuil de flottaison malgré l'action de pompage et d’expulsion de la convection turbulente et conduise ainsi à leur émergence spontanée. Un des avantages d'avoir un processus auto-cohérent est que nous pouvons désormais étudier les corrélations entre la polarité des structures émergées et celle du champ magnétique dynamo global. Un tel modèle 3D complet du Soleil devrait permettre de comprendre notamment l'origine de lois observationnelles comme la loi de Joy sur l'orientation des taches et mieux encore la loi de Hale sur la polarité des taches entre les deux hémisphères et leur lien avec la topologie globale.
En complément, R. Pinto et A.S. Brun [3] ont également pour la première fois suivi l'émergence de structures magnétiques dans une zone convective turbulente et magnétisée représentative du Soleil. Il trouve que celles-ci peuvent en effet forcer à une reconfiguration globale de la topologie magnétique du Soleil, comme récemment observé par le satellite solaire SDO, selon leur amplitude et leur orientation vis à vis du champ poloidal de fond.
Une autre étude [4] a permis de mieux caractériser l'émergence de régions actives depuis la base de la zone convective jusqu'à la surface. Elle a mis en évidence le role central joué par la convection de surface pour reproduire la loi de Joy en aidant à la concentration du flux magnétique et en influençant le degré
de rotation des regions actives durant leur émergence.
Aujourd'hui il reste néanmoins à obtenir le même processus d'émergence dans un Soleil actuel avec ses caractéristiques présentes. Un défi pour les années à venir et les moyens de calculs massivement parallèles du TGCC (CEA-Bruyères le Chatel) et du Programme européen (PRACE).
Contact : Allan Sacha BRUN
[1] « Buoyant Magnetic Loops Generated by Global Convective Dynamo Action »
Nicholas J. Nelson · Benjamin P. Brown, A. Sacha Brun · Mark S. Miesch · Juri Toomre, publié dans Solar Physics 282/2, DOI 10.1007/s11207-012-0221-4 (pour une version numérique PDF: http://arxiv.org/pdf/1212.5612v1)
[2] Magnetic Wreaths and Cycles in Convective Dynamos
Nelson, Nicholas J.; Brown, Benjamin P.; Brun, Allan Sacha; Miesch, Mark S.; Toomre, Juri, publié dans Astrophysical Journal , vol. 762, p. 73 (pour une version numérique PDF : http://arxiv.org/pdf/1211.3129v1)
[3] « Flux Emergence in a Magnetized Convection Zone »
Pinto, R. F.; Brun, A. S., publié Astrophysical Journal , vol. 772, p. 55 (pour une version numérique PDF: http://arxiv.org/pdf/1305.2159v1)
[4] « Global dynamics of subsurface solar active regions »
Jouve, L.; Brun, A. S.; Aulanier, G., publié Astrophysical Journal , vol. 762, p. 4 (pour une version numérique PDF: http://arxiv.org/pdf/1211.7251v1)
Voir aussi : - "Le Soleil et les tokamaks" (06 juin 2013)
Rédaction : A.S. Brun, J.M. Bonnet-Bidaud
• Structure et évolution de l'Univers › Planètes, formation et dynamique des étoiles, milieu interstellaire
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM
• Dynamique des Etoiles, des Exoplanètes et de leur Environnement