Les jets de matière relativiste formés lors du collapse d’une étoile massive et leur interaction avec le milieu environnant sont au cœur des modèles expliquant l’extrême luminosité des sursauts gamma. Parmi les outils permettant de mieux cerner leur nature, la polarisation de la lumière est une source d’information sur les particules accélérées et la structure du champ magnétique en jeu. En détectant en lumière visible une forme de polarisation particulière, dite circulaire, dans la phase tardive ou rémanente d’un sursaut gamma lointain, une équipe internationale incluant un chercheur du Service d’Astrophysique/Laboratoire AIM du CEA-Irfu à Saclay apporte un éclairage nouveau. En effet, ce type de polarisation n’est pas prévu dans les scénarios proposés actuellement. Selon les chercheurs, des conditions particulières dans la zone du choc entre le jet de matière et le milieu interstellaire doivent être dorénavant prises en compte. Ces travaux sont publiés dans la revue Nature d’avril 2014.
La classe des sursauts gamma (GRB) longs (durée du flash initial gamma supérieur à deux secondes) a pour origine l’effondrement d'une étoile très massive (plus de 50 fois la masse du Soleil) qui laisse derrière lui un trou noir et un jet collimaté relativiste. Si ce jet pointe dans la direction de la Terre, un intense flash gamma suivi d’une émission plus tardive, dite rémanente et résultant de l'interaction de choc du jet avec le milieu circumstellaire, sont observés. GRB 121024A est un sursaut gamma détecté par le satellite de la Nasa Swift le 24 octobre 2012. D’un décalage vers le rouge ou redshift de 2.3 (ce qui implique que la lumière captée par les instruments aujourd’hui a été émise alors que l’Univers n’avait qu’un cinquième de son âge) le place à une distance cosmologique. Rapidement alerté, l’équipe de chercheurs a pu déclencher un programme d’observations sur l’instrument FORS2 au VLT de l’ESO moins de trois heures après le flash initial gamma alors que la magnitude dans la bande rouge du sursaut était de 19.8. Cet instrument, très sensible, offre à ces utilisateurs la possibilité d’observer les objets dans un mode polarimétrique. Les mesures de polarisation apportent des informations importantes, complémentaires de la variation temporelle et de l’analyse spectrale, notamment sur les propriétés magnétiques du jet.
Sur cette figure sont reproduites la mesure polarisation de l’émission rémanente du sursaut gamma GRB 121024A obtenue par le VLT et celles résultant de la compilation d’observations de quasars. L’axe horizontal décrit la polarisation linéaire et l’axe vertical celui de la polarisation circulaire. GRB 121024A (losange jaune) est l’objet avec la polarisation circulaire la plus élevée. Etant également l’objet parmi cet échantillon ayant le plus fort décalage vers le rouge ou redshift (échelle de couleur des symboles), Il illustre le potentiel des sursauts gamma pour étudier jusqu’à des distances cosmologiques les effets de propagation dans les jets de matière.
De manière inattendue, les chercheurs ont détecté une composante de polarisation circulaire dont l'intensité est en désaccord avec les prédictions des modèles théoriques. Après avoir envisagé puis écarté plusieurs hypothèses comme la présence de poussières dans la galaxie hôte qui affecterait par diffusion le signal, les chercheurs concluent que l’observation rend compte d’une propriété intrinsèque de l’émission rémanente et non d’une source extérieure. Dans ce cadre, ils suggèrent une physique particulière au niveau du choc du jet avec le milieu interstellaire tout comme une distribution singulière des électrons par rapport au champ magnétique présent dans le jet. Les quasars, coeurs actifs de galaxies lointaines qui émettent de puissants jets de matière relativiste, ont également montré dans certains cas le même type de signature, une polarisation de la lumière. L'étude de la polarisation de la lumière des sursauts gamma s'avèrent donc une piste prometteuse pour étudier, à des distances cosmologiques, l'action et les propriétés des jets de matière relativiste.
Contact :
" Circular polarization in the optical afterglow of GRB 121024A "
K.Wiersema, S. Covino, K. Toma, A. J. van der Horst, K. Varela, M. Min, J. Greiner, R. L. C. Starling, N. R. Tanvir, R. A. M. J. Wijers, S. Campana, P. A. Curran, Y. Fan, J. P. U. Fynbo, J. Gorosabel, A. Gomboc, D. Götz, J. Hjorth, Z. P. Jin, S. Kobayashi, C. Kouveliotou, C. Mundell, P. T. O’Brien, E. Pian, A. Rowlinson, D. M. Russell, R. Salvaterra, S. di Serego Alighieri, G. Tagliaferri, S. D. Vergani, J. Elliott, C. Fariña, O. E. Hartoog, R. Karjalainen, S. Klose, F. Knust, A. J. Levan, P. Schady, V. Sudilovsky & R.Willingale
à paraitre dans la revue Nature
Voir également : - "Autopsie d'un sursaut" , Avril 2009
Note:
La polarisation de la lumière est une propriété des ondes électromagnétiques. Dans le cadre de cette théorie, une onde lumineuse se caractérise par trois grandeurs, un champ électrique, un champ magnétique et une direction de propagation. Les champs électriques et magnétiques sont tous deux perpendiculaires à la direction de propagation. La figure que décrit dans l’espace le champ électrique définit l’état de la polarisation de la lumière. Si elle décrit une droite ou une ellipse, on parle respectivement de polarisation rectiligne (linéaire) ou elliptique. Si elle décrit un cercle, c'est une polarisation circulaire. Une lumière polarisée correspond donc à une direction privilégiée du champ électrique. La lumière naturelle n’est pas polarisée car somme d’ondes aléatoires qui mélangent pour l'observateur toutes les directions. Certains milieux filtrent la lumière, en ne laissant passer que celle dont le champ électrique est orienté selon une certaine direction. Les lunettes de soleil polarisantes permettent par exemple d’atténuer les réflexions sur un plan d’eau.
Rédaction: Diego Götz et Christian Gouiffès
• Structure et évolution de l'Univers › Phénomènes cosmiques de haute énergie et astroparticules
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM