Les proto-étoiles infrarouges et submillimétriques
L’étude observationnelle des phases les plus précoces de la formation des étoiles et de l’évolution proto-stellaire est actuellement en plein essor grâce à l’apparition de nouveaux instruments très performants dans le domaine des longueurs d’onde radio et infrarouge. Ainsi, l’équipe « Etoiles Jeunes » du SAp utilise activement les radiotélescopes millimétriques de l’ IRAM, l’interféromètre radiocentimétrique VLA du NRAO et, depuis son lancement, l’observatoire spatial infrarouge ISO équipé notamment de la caméra ISOCAM développée au SAp.
A la fin des années 1980, une classification empirique des objets stellaires jeunes de faible masse (c’est à dire inférieure à 2 masses solaires) a été proposée. Elle se fonde sur l’excès de rayonnement infrarouge (IR) de 2 à 100 microns des objets jeunes par rapport à un rayonnement purement photosphérique de corps noir. L’excès IR étant relié, de manière qualitative au moins, à la quantité de poussières circumstellaires et à leur distribution spatiale, cette classification s’interprète comme une séquence évolutive. Ainsi, les objets dits de « classe I », sont profondément enfouis dans les nuages moléculaires et ont un très fort excès IR provenant d’enveloppes proto-stellaires relativement chaudes (température d’environ 50 à 100 K) ; ils correspondent à des proto-étoiles infrarouges. Les objets de « classe II », dont l’excès IR est moins fort, sont des étoiles plus évoluées de type T-Tauri, entourées de disques circumstellaires (sans doute proto-planétaires). Enfin, les sources de « classe III », sans excès IR , sont des étoiles qui ont déjà perdu leurs disques et sont sur le chemin de la séquence principale où les réactions de fusion de l’hydrogène, jusque là absentes, se déclenchent.
P. André et T. Montmerle ont été les premiers à faire des mesures quantitatives des masses circumstellaires présentes autour de chaque classe d’objets jeunes. En cartographiant l’émission continue thermique de la poussière à 1.3 mm avec le radiotélescope de 30 mètres de l’lRAM, ils ont confirmé la validité de la séquence évolutive IR et établi que la masse circumstellaire décroît en moyenne d’un facteur 5 à 10 d’une classe à la suivante [1]. Ces travaux ont aussi montré que l’intensité de l’émission continue millimétrique pouvait servir d’indicateur d’âge pour les objets jeunes enfouis encore invisibles optiquement [2]. De façon assez surprenante, l’émission millimétrique mesurée en provenance des sources IR de classe I s’est avérée relativement faible, indiquant des masses circumstellaires de l’ordre de 0.1 à 0.3 masse solaire au plus. Ces masses sont plus petites que la masse d’une étoile TTauri typique (de 0.3 à 2 masse solaire). Les proto-étoiles IR ont donc déjà accumulé en leur centre la plus grande fraction de leur masse finale et ne sont plus associées qu’à des résidus d’enveloppe.
Simultanément, des observations conduites à l’IRAM et au JCMT ( James Clerk Nlaxwell Telescope, à Hawaii ) ont permis à P.André et à ses collègues D. Ward-Thompson (Royal Observatory, Edimbourg) et M. Barsony (université de Californie) de découvrir une nouvelle classe d’objets trés froids (T < 20 K) et très jeunes, appelée « classe 0 ». Ces nouveaux objets jeunes sont trés brillants aux longueurs d’onde submillimétriques mais invisibles en IR. Le prototype de la classe 0 est la source radio VLA 1623 dans le nuage de Rho Ophiuchi qui est au centre d’un flot moléculaire s’échappant dans deux directions opposées [3]. Contrairement aux sources IR de classe I, les objets de classe 0, ou proto-étoiles submillimétriques, n’ont encore accrété qu’une partie infime (moins de 0.1 M<3) de la masse qu’elles auront sur la séquence principale. Les proto-étoiles de classe 0, dont une vingtaine seulement ont pu être identifiées à l’heure actuelle, correspondent à l’étape proto-stellaire la plus précoce observée à ce jour. Leur âge moyen est estimé à environ 10 000 ans depuis le début de la phase d’accrétion. Des preuves directes d’effondrement gravitationnel ont récemment été trouvées sur certains de ces objets [4].
Parce qu’elles se trouvent au tout début de l’évolution proto-stellaire, les objets de classe 0 possèdent encore sans doute la mémoire de leur genèse et peuvent nous apprendre beaucoup sur le processus de formation des étoiles. Elles suscitent de nombreuses questions sur la physique des proto-étoiles et constituent des cibles de choix pour des études observationnelles détaillées [5,6]. Ces dernières années, P. André, ses étudiants (S. Bontemps et F. Motte) et ses collaborateurs (D. Ward-Thompson, S. Terebey, P. Saraceno R. Neri) ont entrepris de telles recherches selon plusieurs axes complémentaires, notamment celui des propriétés d’éjection/accrétion et celui de la structure en densité.
Evolution de l’éjection/accrétion de matière des proto-étoiles
Les proto-étoiles de classe 0 sont systématiquement associées à des jets de matière très collimatés [7,8]. La puissance mécanique contenue dans ces jets est trés élevée, parfois comparable à la luminosité rayonnée par l’objet stellaire central. Les objets IR de classe I sont également sources de flots de matière, mais ceux-ci sont bien moins collimatés et moins puissants.Dans le but de quantifier l’évolution des flots moléculaires durant la phase proto-stellaire, P. André et S. Terebey avaient utilisé (en 1990 et 1991) le radiotélescope de 12 mètres du NRAO et le radiotélescope de 10 mètres du CSO pour cartographier de manière homogène, dans la raie de CO(2-1), l’environnement proche d’un échantillon de 45 objets stellaires jeunes enfouis (36 objets de classe I et 9 de classe 0) dans des régions comme Ophiuchus, le Taureau, le Serpent, Persée, ou Orion. Les mêmes objets avaient aussi été observés dans le continu millimétrique par P. André et S. Cabrit afin d’estimer les masses circumstellaires correspondantes. S. Bontemps a analysé et interprété ces nombreuses observations lors de sa thèse, effectuée au SAp de fin 1992 à début 1996 sous la direction de P. André. Le premier résultat important qui émerge de ce travail est la confirmation que la totalité des proto-étoiles (classe 0 et classe I) ont une activité d’éjection de matière. Cela suggère fortement que les phénomènes d’accrétion et d’éjection sont indissociables. En particulier, la phase d’éjection de matière commence apparemment beaucoup plus tôt que l’on ne le pensait auparavant, c’est à dire dès le début de l’effondrement gravitationnel. Tout ceci est en accord avec plusieurs modèles théoriques récents selon lesquels c’est l’éjection de matière et de moment cinétique qui permet l’accrétion et la formation progressive d’une étoile. On pense en effet que les jets sont généralement alignés avec l’axe de rotation des proto-étoiles et permettent à celles-ci de se débarrasser de l’excès d’énergie et de moment cinétique consécutif à leur formation. La plupart des modèles prédisent d’ailleurs une directe proportionnalité entre le taux d’éjection et le taux d’accrétion.
S. Bontemps a trouvé une corrélation trés nette entre la puissance de l’éjection de matière et la masse de l’enveloppe circumstellaire, qui peut servir d’indicateur d’évolution pour les proto-étoiles Ce résultat montre que le taux d’éjection de matière des proto-étoiles décroît de manière quasi monotone pendant la phase d’accrétion proto-stellaire [9]. Si accrétion et éjection sont bien proportionnelles, une conséquence importante est que le taux d’accrétion lui-même doit décroître au cours du temps, contrairement au scénario théorique standard (SHU, ADAMS, & LIZANO ARA&A, 25, 23, 1987) qui suppose un taux d’accrétion constant dans le temps. Cela a des implications importantes sur notre compréhension de la fonction de luminosité des amas stellaires jeunes, qui sont en cours de test grâce à la caméra ISOCAM (relevés conduits par l’équipe suédoise de Nordh et al. [10], au sein de laquelle S. Bontemps effectue actuellement un séjour post-doctoral). Le travail de S. Bontemps sur l’éjection de matière démontre de manière quasi définitive que les proto-étoiles submillimétriques (classe 0) sont significativement plus jeunes que les proto-étoiles infrarouges (classe I).
Structure des condensations proto-stellaires
Au cours de l’évolution proto-stellaire, la matière circumstellaire, d’abord répartie sur plus de 10000 UA, dimension typique des coeurs denses dans les nuages moléculaires, finit par se condenser dans des structures (e.g. disques) de taille comparable à celle du système solaire (de 10 à 100 UA). La théorie standard de formation des étoiles de faible masse (SHU, ADAMS, & LIZANO ARA&A, 2S, 23, 1987) fait des prédictions précises sur la façon dont devrait être distribué le gaz et la poussière autour des étoiles les plus jeunes selon leur état d’évohltion (i.e. distribution dans un disque ou une enveloppe avec des tailles et des gradients de densité caractéristiques). Observationnellement, ce n’est que depuis peu, grâce à la mise en service progressive de caméras de bolomètres sur de grands radiotélescopes (sub)millimétriques comme le 30 mètres de l’IRAM ou le JCMT, qu’il est devenu possible de contraindre la structure spatiale (i.e. Ie gradient de densité) des condensations proto-stellaires, et ce aussi bien avant qu’après la formation d’une proto-étoile centrale. L’enjeu est important : pour la première fois, les conditions initiales de l’effondrement gravitationnel deviennent accessibles. Les premiers résultats obtenus par P. André et ses collègues dans ce domaine sont basés sur des images obtenues à l’IRAM avec la caméra de 19 bolomètres du Max Planck Institut (Bonn) entre mars 1993 et mars 1996. Plusieurs tendances générales semblent émerger. D’abord, le gradient radial de densité des condensations pré-stellaires (i.e. avant effondrement) n’est jamais compatible avec une loi de puissance unique variant en 1/r^2. Au contraire, le profil de densité typique apparaît beaucoup plus plat qu’au centre et n’est compatible avec une loi en 1/r2 qu’au delà de quelques milliers d’unités astronomiques [11,12,13]. Cela suggère que les conditions initiales de l’effondrement gravitationnel différent notablement du modèle simple autosimilaire de la sphère singulière isotherme qui est postulé dans la théorie standard de formation des étoiles. Les conséquences sur la physique même de l’effondrement, et en particulier sur le taux d’accrétion, sont importantes et ont été étudiées avec R. Henriksen (université de Kingston et invité au SAp). Il semble que les profils non singuliers des condensations pré-stellaires soient la cause de la forte décroissance du taux d’accrétion pendant la phase proto-stellaire.
D’autre part, des différences notables apparaissent entre régions de formation d’étoiles isolées comme le nuage du Taureau et les régions formant des étoiles en amas comme le nuage de Rho Ophiuchi. Dans le nuage du Taureau les condensations proto-stellaires s’étendent généralement sur plus de 0.1 pc, sans bords trés marqués. Dans le nuage de Rho Ophiuchi, la taille caractéristique de fragmentation des coeurs proto-stellaires est nettement plus petite que 0.1 pc [13] et des bords nets s’observent dans certains cas au moins. Il se peut que ces différences de structure traduisent le fait que les condensations protostellaires se forment par des processus différents dans les nuages du Taureau et de Rho Ophiuchi (diffusion ambipolaire dans un cas, compression par choc dans l’autre).
Ce travail sur la structure des condensations pré-stellaires et proto-stellaires a fait l’objet de la thèse de F. MOTTE et s’est effectué en collaboration avec D. Ward-Thompson (Royal Observatory, Edimbourg) et R. Neri (IRAM, Grenoble). Des données complémentaires sont en cours d’obtention dans l’infrarouge avec ISOCAM et ISOPHOT, dans le submillirnétrique avec SCUBA (la caméra de bolomètres du JCMT mise en service durant la seconde moitié de 1996). Comme le montrent les premiers résultats d’ISOCAM dans le nuage de Rho Ophiuchi [14], il est possibie d’étudier la structure des condensations proto-stellaires en absorption entre 5 et 15 microns. Une étude en émission n’est pas possible avec ISOCAM car les condensations proto-stellaires sont souvent trop froides pour émettre à ces longueurs d’onde. Alors que les observatiolis de l’émission millimétrique sondent surtout l’intérieur des coeurs denses, les mesures d’absorption sont plus sensibles aux parties externes.
[1] André P., Montmerle T., APJ 420, 837, 1994
[2] André P., in The Cold Universe, eds. T. Montmerle, C. Lada, F. Mirabel and J. Trân Thanh Vân, éditions Frontières, 179,1994
[3] André p. et al., ApJ 406, 122, 1993
[4] Ward-Thompson D. et aL, MNRAS 281, L53, 1996
[5] André p., Astrophys. sp. sci. 224, 29, 1995
[6] André p., A.S.P Conf. Series 93, 273, 1996
[7] Bontemps S. et al., A&A 297, 98, 1995
[8] Bontemps S. et al., A&A 314, 477, 1996
[9] Bontemps S. et al., A&A 311, 858, 1996
[10] Nordh L. et al., A&A 315, L185 1996
[11] Ward-Thompson D. et al., MNRAS 268, 276, 1994
[12] André P. et al., A&A 314, 625, 1996
[13] Motte F. et al., A&A sous presse, 1998
[14] Abergel A. et al., A&A 315, L329, 1996