Lunettes gamma polarisantes

Lunettes gamma polarisantes

Vents de particules et polarisation gamma au sein de la nébuleuse du Crabe

Le coeur de la nébuleuse du Crabe est continuellement balayé par un vent de particules relativistes émis par son moteur central, le pulsar. En se propageant ces particules laissent comme empreinte un rayonnement gamma, distinct de celui du pulsar, mais dont la cartographie précise se heurte à la relative myopie des télescopes gamma. Ce défaut de vision vient d’être contourné par une équipe du Service d'Astrophysique (SAp) du CEA-Irfu qui l’a étudié sous une facette particulière, sa polarisation. En analysant les données sous ce filtre, les chercheurs ont montré que le rayonnement gamma de la nébuleuse est fortement polarisé et remarquablement aligné selon l’axe de rotation du pulsar. Un tel niveau d’organisation n’est possible que dans les régions proches du pulsar, là où jets de particules et anneaux de matière sont présents. Cette mesure de polarisation a nécessité plus d’un million de secondes d’observation au télescope INTEGRAL/IBIS utilisé ici dans un mode inédit. Ces résultats comme ceux obtenus récemment par l’instrument SPI ouvrent une nouvelle piste pour étudier la géométrie et les mécanismes d’accélérations de particules en jeu autour des pulsars et des trous noirs. Ils font l’objet d’une publication dans la revue The Astrophysical Journal Letters du 20 novembre 2008.

Alignement de photons au cœur de la nébuleuse du Crabe

La polarisation de la lumière est un outil de diagnostic qui permet de révéler les processus physiques responsables du flux lumineux ainsi que la nature du milieu dans lequel il se propage. L’équipe de chercheurs a donc utilisé cette propriété pour cerner les régions de la nébuleuse du Crabe responsable de l’émission gamma. Hormis l’émission intrinsèque du pulsar, indiscutablement décelée sous la forme d’un signal périodique, les scientifiques ont mis en évidence qu’une fraction importante du rayonnement gamma résiduel, constant dans le temps, montrait une remarquable organisation. La composante électrique du rayonnement est orientée dans une direction, extrêmement proche, à quelques degrés près, de celle de l’axe de rotation du pulsar. Seules les régions situées au plus près du pulsar central, là où règne un fort degré d’organisation du notamment à la structure du champ magnétique de l’étoile à neutrons, peuvent expliquer une telle propriété de la lumière. De manière remarquable, cette direction est la même que celle détectée dans le domaine visible suggérant une origine commune. Plus surprenant, l’orientation observée dans les rayons X diffère sensiblement. Défaut d’observation ou réelle cause physique, cette différence est l’objet de nombreuses questions.

La nébuleuse du Crabe ou Messier 1 (à gauche) est le vestige d’une explosion d’étoile qui a eu lieu en 1054. Au centre de ce dense réseau de filaments se trouve un pulsar très actif entouré d’une structure complexe (image de droite, le pulsar est entouré d’un cercle). La polarisation de la lumière gamma détectée par INTEGRAL (trait jaune sur l’image) montre un remarquable alignement avec l’axe de rotation de l’étoile à neutrons (pointillé blanc). Cet alignement implique que les particules chargées responsables de l’émission interagissent dans les régions très proches du pulsar. Jets de particules qui s’en échappent ou bien anneaux et paquets de matière détectés en rayons X et en lumière visible (structures brillantes près du pulsar) font partie des pistes explorées par les scientifiques. (Crédits images: ESO/HST/Chandra).

Coup double

Afin de mesurer la polarisation de la lumière gamma, les scientifiques ont utilisé les propriétés de la diffusion Compton, un processus physique découvert en 1923 par Sir A. Compton. Lorsqu’un photon gamma heurte dans un milieu un électron, il cède une fraction de son énergie puis est dévié. Ce processus s’apparente au choc entre deux boules de billards. Mais dans le cas d’une lumière polarisée, la déviation n’est pas quelconque. C’est ce principe que l’équipe de chercheurs a mis à profit en utilisant le télescope IBIS à bord du satellite INTEGRAL. Ce télescope possède plusieurs atouts pour étudier la polarisation: une grande surface de collection, 2 plans de détections équipés de petits pixels (bonne localisation de l'interaction des 2 photons gamma) et un masque codé (résolution angulaire et limitation du bruit de fond).

A gauche le principe de la diffusion Compton : un photon incident (en jaune, son champ électrique associé en rouge) interagit dans le premier détecteur, est diffusé après avoir cédé une fraction de son énergie à un électron (é) du milieu, puis est ensuite absorbé dans un second dispositif de détection. Dans le cas d’un faisceau incident polarisé, cette diffusion n’est pas quelconque et se fait préférentiellement dans une direction perpendiculaire (flèche pointillée verte) au champ électrique incident En cumulant un nombre d’évènements suffisants, ce double télescope, appelée aussi télescope Compton, permet de repérer une direction privilégiée dans le processus de diffusion (distribution de l’angle êta) et par la même de remonter à la polarisation du rayonnement gamma incident. A droite une vue d’artiste (crédit ESA) du télescope Integral/Ibis, formé par deux plans superposés séparés de 10 cm, la caméra Isgri et le détecteur PiCSiT. Extraire le signal est un processus délicat qui requiert un grand nombre d’évènements. Pas moins de 1.2 millions de secondes d’observation étalées sur les cinq premières années du satellite Integral ont été nécessaires aux chercheurs pour aboutir aux résultats décrits.

La polarimétrie gamma, un outil de diagnostic nouveau

Bien que difficile à détecter aujourd’hui avec les instruments dont disposent les astrophysiciens, la polarisation de la lumière gamma s’avère être un outil efficace pour décrire à la fois les mécanismes physiques et la géométrie des systèmes dans lesquels les photons sont produits. Cantonné jusqu’à présent à des objets brillants et proches telle que la nébuleuse du Crabe, elle ouvre une nouvelle fenêtre originale et complémentaire à des outils comme la spectroscopie, l’imagerie ou bien encore l’analyse temporelle. Preuve de l’intérêt qu’elle suscite elle est d’ailleurs l’objet de nombreux projets, exposés lors d’une conférence tenue récemment à Rome.


Contact : Philippe Laurent, Christian Gouiffès

Publication :

« Polarization of the Crab pulsar and nebula as observed by the Integral/IBIS telescope« 
M. Forot(1), P. Laurent(2), I. A. Grenier(1), C. Gouiffès(1), F. Lebrun(2)
(1) CEA/IRFU/Service d’Astrophysique et AIM (CEA/CNRS/Université Paris Diderot)
(2) CEA/IRFU/Service d’Astrophysique et APC, Paris

Parue dans la revue The Astrophysical Journal Letters du 20 novembre 2008
Pour une version électronique (format PDF, 200Ko)

Pour en savoir plus  : – le site INTEGRAL du Service d'Astrophysique


Note:

La polarisation de la lumière est une propriété des ondes électromagnétiques. Dans le cadre de cette théorie, une onde lumineuse se caractérise par trois grandeurs, un champ électrique, un champ magnétique et une direction de propagation. Les champs électriques et magnétiques sont tous deux perpendiculaires à la direction de propagation. La figure que décrit dans l’espace le champ électrique définit l’état de la polarisation de la lumière. Si elle décrit une droite ou une ellipse, on parle respectivement de polarisation rectiligne ou elliptique. Une lumière polarisée correspond donc à une direction privilégiée du champ électrique. La lumière naturelle n’est pas polarisée car somme d’ondes aléatoires qui mélangent pour l'observateur toutes les directions. Certains milieux filtrent la lumière, en ne laissant passer que celle dont le champ électrique est orienté selon une certaine direction. Les lunettes de soleil polarisantes permettent par exemple d’atténuer les réflexions sur un plan d’eau.


Rédaction: Christian Gouiffès