Les galaxies sont-elles timides ?

Les galaxies sont-elles timides ?

Le rôle de la poussière révélé par la caméra ISOCAM

Il vient de se produire un bouleversement considérable dans notre compréhension de l’histoire de l’univers, plus particulièrement de la formation des galaxies. Tout a commencé en 1995 avec le lancement d’une caméra infrarouge du nom d’ISOCAM à bord du satellite ISO, l’Observatoire Spatial Infrarouge lancé par l’agence spatiale européenne, l’ESA.

L’un des principaux objectifs de la caméra ISOCAM était la détection de la lumière rayonnée par la poussière interstellaire dans l’environnement des étoiles alors que celles-ci sont à peine nées. En fait, si la poussière interstellaire se trouve particulièrement concentrée dans les régions où naissent les étoiles, c’est justement parce qu’elle joue un rôle clé dans la naissance d’une étoile, qui naît de l’agglomération de ces grains de poussière interstellaire.

Il aura fallu plusieurs années d’observations du ciel à des profondeurs mille fois supérieures aux images du satellite infrarouge précédent, le satellite américain IRAS (InfraRed Astronomical Satellite), pour qu’une équipe du Service d’Astrophysique du CEA de Saclay détecte puis confirme un résultat surprenant : la présence sur les images dans l’infrarouge (à la longueur d’onde de 15 microns) de presque dix fois plus de galaxies qu’il n’était prévu.

Le fond diffus infrarouge

Cette découverte aurait mis encore plus de temps à convaincre la communauté des astronomes de sa véracité si elle n’avait été quasi-simultanément accompagnée par une autre découverte allant dans la même direction : la détection d’un fond diffus extragalactique dans le domaine infrarouge par une équipe française dirigée par Jean-Loup Puget de l’Institut d’Astrophysique Spatiale à Orsay à partir des images du ciel réalisées cette fois-ci par le satellite américain COBE (COsmic Background Explorer) dans l’infrarouge lointain et le sub-millimétrique, entre 0.1 et 1 millimètres. On connaissait depuis 1965 l’existence d’un fond diffus dans le domaine des ondes radio, le fameux bruit de fond qui a prouvé l’existence d’une explosion initiale, le Big Bang. Le fond diffus infrarouge, moins intense et de forme spectrale différente, ne vient pas du Big Bang. La seule explication possible est qu’il provienne de la lumière rayonnée par les galaxies depuis leur naissance jusqu’à aujourd’hui. Mais alors, cette lumière infrarouge a-t-elle été rayonnée avec la naissance des étoiles ou bien produite par des trous noirs super-massifs, dont on sait aujourd’hui qu’ils sont si nombreux que toute galaxie pourrait en contenir un ?

Le fond diffus infrarouge (longueur d’onde de 240 microns)

Un faisceau d’observations indispensables

David Elbaz et ses collaborateurs (*) ont travaillé durant trois ans pour comprendre les implications scientifiques de cette découverte. Il leur a fallu combiner des observations à d’autres longueurs d’ondes pour identifier ces galaxies, étudier leurs morphologies, calculer leurs distances et comprendre l’origine de leur forte luminosité infrarouge.

Les observations du Télescope Spatial Hubble ont d’abord permis de montrer que ces galaxies étaient situées dans de petits groupes de galaxies et qu’elles s’étaient donc probablement allumées à la suite de rencontres avec d’autres galaxies.

Les observations réalisées avec des télescopes au sol comme le CFHT (Télescope Canada-France-Hawaii), le VLT (Very Large Telescope) ou le télescope américain Keck ont ensuite permis de mesurer leurs distances qui correspondent à des époques où l’Univers avait entre 40 et 60 % de son âge actuel.

D’autre part, la mesure du rayonnement dans le domaine des X de ces galaxies, grâce au satellite XMM, a permis de montrer que la majorité de cette lumière provient bien de la formation d’étoiles massives et non pas de trous noirs super-massifs, qui ne contribuent que pour 20 % ou moins de l’énergie rayonnée par ces galaxies (un article de cette même équipe a été consacré à cette étude par Dario Fadda et collaborateurs (Astronomy & Astrophysics 2002, vol. 383, page 838).

Une image de la caméra ISOCAM montrant l’émission infrarouge de multiples galaxies.

Enfin, il a fallu calculer l’intensité avec laquelle ces galaxies formaient leurs étoiles puis leur contribution au fond cosmologique infrarouge. C’est ce travail qui est présenté dans l’article de David Elbaz et collaborateurs . Pour cette étape, il aura fallu composer une base de données contenant des informations multi longueurs d’ondes sur les galaxies de l’univers proche, afin de situer les galaxies ISOCAM distantes et comprendre leurs propriétés physiques. Une dernière étape a permis de vérifier que les résultats obtenus étaient cohérents, phase décisive en astrophysique. Les étoiles massives dont la lumière chauffe la poussière interstellaire et la font rayonner dans l’infrarouge ont des durées de vie extrêmement courtes à l’échelle cosmique, de l’ordre de quelques millions d’années, et terminent leur existence en explosant sous la forme de supernovae. On sait depuis près de 20 ans que lorsque ces étoiles explosent, elles accélèrent les électrons qui se trouvent dans le milieu interstellaire par effet synchrotron comme dans un accélérateur de particules mais à une échelle bien supérieure. Le rayonnement synchrotron des électrons peut se mesurer à l’aide d’observations dans le domaine radiométrique. L’équipe de chercheurs a pu vérifier que le rayonnement radio des galaxies suffisamment brillantes pour que leur rayonnement radio soit détecté correspondait à celui attendu par leurs estimations basées sur leurs observations infrarouges. En d’autres termes, la preuve de la cohérence de leur interprétation était faite.

Le fond diffus infrarouge (longueur d’onde de 240 microns) tel qu’observé par le satellite COBE (à gauche) est en réalité constitué de la contribution de très nombreuses galaxies trop « timides » pour avoir été « vues » jusqu’à maintenant mais clairement révélées sur l’image de la caméra ISOCAM (longueur d’onde de 15 microns) à droite. (clichés NASA/COBE et SAp/CEA) (cliquer pour agrandir)

La preuve d’une flambée d’étoiles

Finalement, ce travail a fini par aboutir aujourd’hui au résultat suivant : la majorité des étoiles appartenant aux galaxies qui nous entourent sont nées il y a 5 à 10 milliards d’années, c’est-à-dire entre un et deux tiers de l’âge de l’univers, lors de flambées de formation d’étoiles avec près de 50 à 100 étoiles comme le soleil naissant chaque année. Ces flambées de formation d’étoiles ont été repérées par la caméra ISOCAM et produisent la majeure partie du fond diffus infrarouge détecté par COBE. Elles avaient échappé à toutes les études précédentes pour une bonne raison : les galaxies sont timides ! En effet, lorsqu’une galaxie se trouve dans une telle phase de croissance, elle rougit. Cette lumière rouge, ou plutôt infrarouge, intense ne provient pas des étoiles naissantes mais de la poussière interstellaire qui les entoure, qui rayonne dans l’infrarouge lorsqu’elle est chauffée à des températures de l’ordre de -200 degrés Celsius (80 degrés Kelvin) par des étoiles jeunes et massives.

Cette découverte devrait permettre de mieux comprendre comment les galaxies sont nées. Une question qui reste encore non résolue aujourd’hui. La théorie la plus en vogue à l’heure actuelle prédit que les galaxies sont nées par « fusion hiérarchique », c’est-à-dire que les premières galaxies étaient principalement de petite masse et qu’au cours du temps elles ont fusionné pour donner naissance aux galaxies massives comme la Voie Lactée. Justement, près de la moitié des galaxies dont la lumière infrarouge a été détectée avec la caméra ISOCAM présentent une morphologie dite « irrégulière », caractéristique des galaxies en interaction. L’autre moitié des galaxies ont une morphologie de type spirale, similaire à celle de la Voie Lactée, mais elles appartiennent toutes à de petits groupes de galaxies qui finiront probablement par fusionner. Les flambées de formation d’étoiles seraient dues à la compression du gaz interstellaire lors de la fusion de deux galaxies ou par des effets de marée, quand les galaxies sont plus distantes. Quand une galaxie passe à proximité d’une autre galaxie, elle crée des vagues dans son gaz interstellaire, dont l’écume est constituée de nouvelles étoiles.

Ce sont donc ces rencontres intergalactiques qui ont été surprises par les astronomes. De telles rencontres donnant lieu à des flambées de formation d’étoiles visibles seulement dans le domaine infrarouge ont toujours lieu dans l’univers proche, mais elles sont rares puisqu’elles ne représentent que 2 % de l’énergie rayonnée par l’ensemble des galaxies proches. Le résultat majeur de David Elbaz et ses collaborateurs a consisté à démontrer que loin d’être marginales, ces galaxies « lumineuses dans l’infrarouge » représentent non pas une catégorie de galaxies atypiques mais bien une phase cruciale qu’ont dû connaître toutes les galaxies ou presque au cours de leur histoire.

Contact : David Elbaz

Bibliographie

« The bulk of the cosmic infrared background resolved by ISOCAM »
Elbaz D., Cesarsky C.J., Chanial P., Aussel H., Franceschini A., Fadda D., Chary R. H., 2002, Astronomy & Astrophysics 384, 848 (article in PDF format 840kb)

(*) Il s’agit d’une collaboration internationale regroupant le Service d’Astrophysique du CEA, l’Université de Californie (Santa Cruz, USA), l’Observatoire Européen Austral (ESO), l’Institut d’Astronomie de Honolulu (Hawaii, USA), le Département d’Astronomie de Padoue (Italie) et l’Institut Astrophysique des Canaries (Espagne).