Densité de matière noire d'une galaxie du type de la Voie Lactée obtenue à partir de la simulation cosmologique à N-corps Aquarius. L’échelle de couleur est proportionnelle au logarithme du carre de la densité de matière noire le long de la ligne de visée. (Crédit: projet Aquarius).
La matière noire constitue environ 85% de la matière dans l’Univers et sa nature n’est toujours pas dévoilée. L’observatoire H.E.S.S. situé en Namibie scrute la région centrale de notre Galaxie à la recherche de rayons gamma mono-énergétiques issus de la collision d’hypothétiques WIMPs, particules élémentaires privilégiées candidates à la matière noire. La recherche menée avec 10 ans d’observations du centre de notre galaxie avec la phase 1 de H.E.S.S. s’avère infructueuse mais permet de poser les plus fortes contraintes à ce jour sur le taux d’annihilation de WIMPs dans la gamme de masse du TeV. Ces résultats viennent d’être publiés dans Physical Review Letter: Phys. Rev. Lett. 120, 201101 (2018).
Un faisceau de mesures venant de l’Univers primordial (formation des grandes structures) et de l’Univers proche (dynamique des galaxies) indique l’existence de matière noire non-baryonique comme composante majoritaire à la densité totale de matière dans l’Univers. Son identité reste néanmoins un mystère. De nombreuses particules élémentaires candidates à la matière noire apparaissent dans les théories au-delà du Modèle Standard de la physique des particules. Parmi elles, une famille de modèles particulièrement motivés prévoit la matière noire comme étant constituée de particules massives interagissant faiblement avec la matière, les WIMPs : des couplages typiques de l’interaction faible confèrent à des particules massives (~1 GeV-100 TeV) une densité relique compatible avec la densité de matière noire froide mesurée dans l’Univers. Les recherches conduites sur accélérateur comme le LHC ou de manière directe avec les expériences déployées en laboratoire souterrain comme Xenon, LUX et Edelweiss repoussent leur masse jusqu’à plusieurs centaines de GeV. Les observations menées depuis le sol avec les réseaux de télescopes Tcherenkov comme H.E.S.S. fournissent une opportunité unique pour détecter des WIMPs dans la gamme en masse du TeV.
Figure 1 : Carte d’excès gamma des 300 parsecs centraux de la Voie Lactée vue par H.E.S.S. Les régions d’intérêt utilisées pour rechercher un signal mono-énergétique sont représentées par les anneaux de largeur 0.1°. Les régions du ciel dans lesquelles sont détectées les sources astrophysiques de très hautes énergies comme HESS J1745-290, G0.9+01, HESS J1745-303, et l’émission diffuse le long du plan Galactique, sont exclues des zones de recherche (boîte et disque grisés). De possibles signaux mono-énergétiques sont superposés : ils correspondent à des fonctions gaussiennes centrées à une énergie égale à la masse du WIMP, avec une largeur de 10%.
Lorsque deux WIMPs s’annihilent, des particules de matière ordinaire sont créées. Parmi elles se trouvent des rayons gamma de haute énergie (> 100 GeV) si les masses des WIMPs en jeu dans le processus d’annihilation le permettent. En particulier, la réaction d’annihilation ayant lieu quasiment au repos (de l’ordre du millième de la vitesse de la lumière) , une émission de gammas mono-énergétique est attendue à la masse du WIMP (DM+DM->2 gammas ), une signature facilement discernable des spectres continus caractéristiques des émissions astrophysiques standard.
Les recherches en rayons gamma de haute énergie se concentrent vers les régions denses du ciel où de fortes concentrations en matière noire sont attendues. La région centrale de la Voie lactée est une cible de premier choix pour la recherche d’un signal gamma mono-énergétique due à l’importante densité de matière noire attendue. Par ailleurs, sa proximité rend l’observation d’un possible signal ténu plus facile que celle en direction des galaxies naines satellites de la Voie Lactée. Cependant, la région du centre Galactique est peuplée de nombreuses sources de rayons gamma de haute énergie. Parmi elles se trouvent le trou noir supermassif Sagittarius A*, des vestiges de supernova ou encore des nébuleuses à vent de pulsars, ainsi qu’une émission diffuse le long du plan Galactique. Ces régions, dominées par des émissions astrophysiques standard, sont exclues de l’analyse (Figure 1).
L’observatoire H.E.S.S. en Namibie à 1800 m d’altitude est composé de télescopes imageurs à effet Tcherenkov atmosphérique (Figure 2). Ces télescopes permettent de détecter des rayons gamma de haute énergie en captant les photons Tcherenkov produits dans la gerbe de particules initiée par l’interaction d’un rayon gamma à son entrée dans l’atmosphère terrestre. La phase 1 a été complétée en 2004 et se compose de quatre télescopes de 12 m de diamètre. La phase 2 de H.E.S.S. consiste en l’ajout d’un télescope de 28 m de diamètre installé au centre du réseau existant. Situé dans l’hémisphère sud, l’observatoire H.E.S.S. est idéalement placé pour sonder la région centrale de la Galaxie.
La campagne d’observations conduite entre 2004 et 2014 incluant les quatre télescopes de la phase 1 de H.E.S.S. a permis de rassembler un lot de données de grande valeur dans la région du Centre Galactique, avec plus de 250 heures d’exposition sur le Centre Galactique. Grâce à la statistique accumulée avec les quatre premiers télescopes de H.E.S.S., l’analyse des données exploite pleinement le comportement spectral et spatial du signal de matière noire par rapport à celui du bruit de fond. Avec ce lot de données, H.E.S.S. atteint une sensibilité en flux dans la plage en énergie du TeV sans équivalent en direction du centre de notre Galaxie. Cependant, H.E.S.S. n’a pas mis en évidence de signaux de rayons gamma mono-énergétiques dans cette région et a posé des contraintes fortes sur la section efficace d’annihilation de WIMPs pour des masses allant de 300 GeV à 70 TeV. Les limites obtenues sont jusqu’à un facteur 6 plus contraignantes que celles publiées en 2013. Elles permettent d’exclure des sections efficaces
Figure 2 : Un des télescopes à effet Tcherenkov atmosphérique de l’observatoire H.E.S.S. pointant vers le centre de la Voie Lactée. L’observatoire H.E.S.S. est situé à 1800 m d’altitude en Namibie. L’instrument est composé de quatre télescopes de 12 m de diamètre et d’un télescope de 28 m de diamètre au centre du réseau.
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Figure 3 : Contraintes sur la section efficace d’annihilation en deux photons à partir des observations menées par H.E.S.S. dans les 300 parsecs centraux de notre galaxie pendant 10 ans. Les contraintes sont représentées en termes de limites supérieures à 95% de niveau de confiance sur en fonction de la masse de la particule de matière noire, les valeurs exclues se trouvent au-dessus des points. La limite observée est tracée en points rouges. La limite attendue (trait noir) avec ses intervalles de confiance à 68% (bande verte) et 95% (bande jaune) sont tracées. Les points bleus correspondent aux limites obtenues avec 4 ans d’observations publiées en 2013. La zone grisée montre des sections efficaces d’annihilation attendue pour des particules de matière noire reliques thermiques. |
La figure 4 montre une comparaison des contraintes sur la section efficace d’annihilation en deux photons à l’aide des observations du réseau de télescopes Tcherenkov H.E.S.S. (cette publication), du télescope Tcherenkov au sol MAGIC vers la galaxie naine Segue 1, et des observations par le satellite spatial Fermi vers le cœur de notre Galaxie (les valeurs exclues se trouvent au-dessus des points). Les limites obtenues avec H.E.S.S. surpassent celles provenant des observations du satellite Fermi pour des masses au-delà de 300 GeV. Les contraintes H.E.S.S. sont les plus fortes obtenues jusqu’à présent pour des particules de matière noire dans la gamme en masse du TeV. Ce résultat démontre l’apport capital du réseau de télescopes Tcherenkov H.E.S.S. pour la recherche de rayons gamma mono-énergétiques de WIMPs de masse de l’ordre du TeV - un espace de paramètres dans lequel H.E.S.S. est un acteur unique parmi les observatoires de rayons gamma de haute énergie.
Figure 4 : Comparaison des contraintes sur la section efficace d’annihilation en deux photons par H.E.S.S. pour deux types de profils de distribution radiale de matière noire (Einasto et NFW) avec celles provenant des observations du halo de la Voie Lactée par le satellite Fermi ainsi que celles obtenues par les observations de MAGIC vers la galaxie naine Segue I. La zone grisée indique l’échelle naturelle de la section efficace d’annihilation de WIMPs en deux photons
Les observations gamma avec H.E.S.S. ont atteint la sensibilité requise pour explorer des sections efficaces d’annihilation pertinentes pour des particules de matière noire, reliques thermiques de l’univers primordial. Le potentiel de H.E.S.S. est unique pour poursuivre les recherches de matière noire dans la région du centre Galactique. Les observations conduites avec la phase 2 de H.E.S.S. exploitant les performances du 5ème télescope de 28 m de diamètre permettront d’améliorer sa sensibilité dans la gamme en masse en-dessous du TeV grâce à une réduction du seuil en énergie.
Depuis 2014 H.E.S.S. conduit un balayage du kiloparsec central de notre galaxie pour augmenter le potentiel des recherches de signaux de matière noire et réduire l’impact de l’incertitude sur la distribution de matière noire dans les régions les plus centrales. Les recherches à venir pourraient apporter des contraintes fortes sur les modèles de matière noire au TeV avant l’avènement de l’observatoire CTA (Cherenkov Telescope Array) à l’horizon 2024. Grâce à un gain en sensibilité d’un facteur 10 dans la plage en énergie du TeV, les observations du centre Galactique avec le réseau de télescopes CTA au site sud pourraient fournir le test ultime pour une large classe de modèles de WIMPs à l‘échelle du TeV.
Contacts: Emmanuel Moulin, Lucia Rinchiuso
Voir à ce sujet:
Les précédents faits marquants de H.E.S.S. depuis 2004
• Structure et évolution de l'Univers › Univers sombre
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Électronique des Détecteurs et d'Informatique pour la Physique (DEDIP) • Le Département de Physique des Particules (DPhP)
• Laboratoire des systèmes de détection (LASYD) • Système temps réel, électronique d'acquisition et microélectronique (STREAM) • Astroparticules
• H.E.S.S.