Comme chaque année, les conférences de Moriond ont rassemblé les physiciens de physique fondamentale pour partager au bord des pistes les dernières découvertes et mesures en matière d’interactions faibles et théories unifiées (Moriond EW), interaction forte et interactions à haute énergie (Moriond QCD) , et gravitation (Moriond gravitation). De très jolis résultats ont été présentés, dont certains portés par les équipes de l’Irfu.
La lumière continue à faire parler d’elle, le boson de Higgs n’est pas en reste
Comme raconté dans ce précédent fait marquant la diffusion photon-photon a été observée pour la première fois par la collaboration Atlas en 2017 dans les collisions très périphériques d’ions plomb. Ce processus rare, très difficile à mettre en œuvre expérimentalement, permet de tester les propriétés du vide mais aussi constitue un canal intéressant pour tester le modèle standard (MS) (en cherchant les couplages de photons anomaux) et chercher des contributions d’éventuelles nouvelles particules au-delà de celles prédites par le MS. Atlas observe 13 événements dans 0,5 nb-1 de données Pb-Pb à sqrt(s) = 5.02 TeV, ce qui correspond à une significance de 4.4 σ. CMS montre des résultats similaires. Depuis, Atlas a amélioré sa chaîne d’analyse et de sélection des données et ajouté 1.7 nb-1 enregistrés en novembre 2018 à son échantillon de données, le multipliant ainsi par 3,5. Cette augmentation de statistique, conjointement aux améliorations d’analyse, permet d’obtenir une observation de la diffusion photon-photon avec une significance observée de 8.2 σ.
Du côté du boson de Higgs, les expériences continuent à traquer son mariage avec l’autre poids lourd du MS à savoir le quark top, comme raconté dans ce fait marquant. La collaboration Atlas vient de présenter la mesure de la section efficace du processus de production d’un boson de Higgs conjointement avec une paire de quark top-antitop dans le cas où le boson de Higgs se désintègrent en deux photons, et ce avec toutes les données enregistrées au run-2 (2015-2018) soit une luminosité intégrée de 139 fb-1. Le processus recherché est observé avec une significance de 4.9 σ et la section efficace correspondante est mesurée à 1.59+0.43-0.39 fb à comparer avec la prédiction du modèle standard de 1.15+0.09-0.12 fb, donc en accord.
La collaboration CMS a quant à elle développé des techniques d’analyse avancées pour mesurer la section efficace de désintégration du boson de Higgs en deux photons en prenant en compte le plus finement possible les différents modes de production du boson de Higgs. En analysant 77.4 fb−1 de données enregistrées en 2016 et 2017, cela conduit à des mesures de sections efficaces de production de boson de Higgs via une fusion de gluons ou une fusion de bosons vecteurs très précises de 1.15+0.15−0.15 ou 0.8+0.4−0.3 fois la prediction du MS, respectivement, donc encore une fois en accord avec les predictions.
CMS a également présenté son dernier résultat sur le rapport de branchement du boson de Higgs se désintégrant en "invisible" (c'est-à-dire des neutrinos si seul le MS est en jeu) obtenu en analysant des données combinées des runs à 7, 8 et 13 TeV (pour une luminosité intégrée de 38.2 fb-1). La limite obtenue de 0,19 sur le rapport de branchement est la plus stricte actuellement.
La nouvelle physique n’a pas l’air de vouloir pointer son nez…
La collaboration Atlas a donné des nouvelles de ses recherches de nouvelles résonnances à haute masse se désintégrant en deux leptons (électrons ou muons), comme un boson Z parfaitement standard mais plus massif et donc non prédit par le MS. L’analyse des 139 fb-1 de données du run-2 a permis de repousser les limites inférieures sur la masse de telles hypothétiques particules à presque 5 TeV dans de nombreux modèles. Les chercheurs de l’Irfu ne sont pas impliqués dans ce résultat qui repousse la frontière avec la nouvelle physique.
Des nouvelles de GBAR
Depuis ses premiers pas au Cern relaté dans ce fait marquant, l’expérience GBAR (Gravitational Behaviour of AntiHydrogen at Rest), dont le but est d’étudier la chute d’atome d’anti-hydrogène (un antiproton et un positron) dans le champ de gravité terrestre, a pris ses marques, comme le prouve la comparaison « avant-après » ci-dessous (Mars 2017 àgauche, été 2018 à droite).
Le linac fonctionne et permet de produire des positrons qui ont été piégés correctement (108 positrons piégés pendant 100 secondes, le but étant 3 1010 positrons piégés pendant 110 secondes). Par ailleurs, ELENA (the Extra Low Energy Antiproton ring) a fourni des antiprotons décélérés qu’il s’agira ensuite de piéger pour les associer aux positrons. Dans les mois qui viennent, la collaboration va profiter de l’arrêt des accélérateurs du Cern pour s’entraîner sur de l’hydrogène. La mesure de la chute libre de l’antimatière au pourcent est prévue pour le redémarrage au printemps 2021. A plus long terme, la collaboration vise une précision de 10-5.
Le charme sur le devant de la scène
Même si les équipes de l’Irfu ne sont pas impliquées, on peut citer quelques beaux résultats en physique des saveurs lourdes.
La vraie star des conférences de Moriond cette année a été l’annonce de l’observation pour la première fois de la violation de la symétrie CP avec les mésons D0, charmés, par l’expérience LHCb. Cette violation de CP (observée, pour la toute première fois, dans les particules étranges en 1964 par l’équipe dans laquelle travaillait René Turlay, puis en 2001 dans les particules contenant un quark beau par les collaborations Belle et BaBar, à laquelle le DPhP contribuait de façon importante) est prédite par le MS pour les particules charmées avec une intensité de 10-4 à 10-3 (elle est très difficile à calculer). La collaboration LHCb a analysé la totalité des 6 fb-1 des données du run 2 et a combiné le résultat avec celui venant des données du run 1 pour exclure l’hypothèse de l’absence de la violation de CP à plus de 5,4 σ. L’observation est compatible quoique marginalement avec le MS.
Par ailleurs, Belle 2 qui vient de démarrer a annoncé l’observation de ses premières particules ; et attendait Moriond pour des nouvelles des anomalies de saveur constatées précédemment avec des significances de l’ordre de trois σ et susceptibles, si confirmées, de faire vaciller le MS sur ses fondations. Belle aussi bien que LHCb n’ont rien présenté de concluant, le modèle standard tient bon !
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