Le spectromètre à muons de l’expérience Atlas est une contribution importante de l’Irfu depuis l’époque de sa conception, et ses équipes sont aujourd’hui toujours en charge de son alignement. Le spectromètre joue un rôle déterminant dans la reconstruction des muons de haute énergie, dont la détection est cruciale pour la recherche de phénomènes au-delà du modèle standard. Le spectromètre est composé d’environ 1200 chambres à muons qui forment un édifice gigantesque de 44 m de long pour 24 m de diamètre. Malgré ces proportions imposantes, les positions relatives des chambres doivent être connues avec une précision de l’ordre de 50 μm pour atteindre les performances optimales du spectromètre. À cette fin, un réseau de lignes optiques permet de suivre en permanence les positions des chambres les unes par rapport aux autres, ainsi que leurs déformations. Une procédure élaborée permettant de reconstruire les 56000 paramètres déterminant l’alignement (pour la partie centrale) a été développée par une équipe de l’Irfu afin d’obtenir la précision requise pour la reconstruction de muons de haute énergie. Cette méthode, adoptée par la collaboration ATLAS, est exposée pour la première fois dans une note Atlas.
Principe de reconstruction des muons dans ATLAS
La reconstruction et l'identification des muons dans ATLAS sont réalisées avec le spectromètre à muons, le dernier de ses sous-détecteurs dans l'ordre de passage des particules depuis le point d'interaction. De dimensions imposantes (44 m de longueur et 24 m de diamètre), il est constitué d'un système de bobines supraconductrices produisant un champ toroïdal inhomogène de 0.5 tesla en moyenne, dans lequel sont baignées des chambres à muons, organisées généralement en trois couches de détection (voir la figure ci-contre). Les trajectoires des muons sont ainsi détectées en trois points, et une flèche effective peut être reconstruite, comme étant la déviation du point de mesure du milieu par rapport à une ligne reliant les deux points de mesure extrêmes. En connaissant le champ magnétique du système toroïdal, il est possible de relier cette flèche effective à la quantité de mouvement du muon. L’objectif pour le spectromètre est de la mesurer avec une précision d'environ 10 % pour des muons de haute énergie (d’une quantité de mouvement transverse de 1 TeV). Cet objectif soutient les ambitions exploratoires des expériences du LHC : le spectromètre à muons est utilisé par exemple pour rechercher de nouvelles particules de haute masse se désintégrant en muons.
L’Irfu et le spectromètre, une longue histoire de muons
Les contributions de l’Irfu au spectromètre à muons et à son champ magnétique sont majeures: de sa conception dans les années 1990, au projet New Small Wheel aujourd’hui qui vise à remplacer une partie des chambres à muons pour préparer la phase haute luminosité du LHC. Le système optique de la partie centrale du spectromètre à muons est une autre contribution historique majeure de l’Irfu. Assurer son bon fonctionnement et déterminer son alignement sont également aujourd'hui des responsabilités importantes de l’institut.
De l’alignement du spectromètre
Étant données l'intensité du champ magnétique et les dimensions du spectromètre, la flèche effective d'un muon de 1 TeV est d'environ 500 µm. Cette flèche doit être mesurée avec une précision de 10 %, soit environ 50 µm, c'est-à-dire que la combinaison de la résolution spatiale des détecteurs et de la précision de leur alignement doit être de l'ordre de 50 µm. Outre le fait que les chambres à muons doivent donc mesurer avec une très bonne résolution, elles doivent en plus être très bien alignées l'une par rapport à l'autre. Cependant à l’échelle de précision recherchée, les chambres à muons bougent et se déforment au cours du temps, significativement et fréquemment : principalement à cause de variations thermiques, mais aussi lorsqu’on doit intervenir dans le détecteur, ou à cause des variations de forces magnétiques lorsque le champ est allumé ou éteint. Le spectromètre est donc muni d’un réseau de lignes optiques, qui mesurent en permanence les positions des chambres à muons les unes par rapport aux autres, ainsi que leurs déformations. Une ligne optique est composée de trois éléments montés avec précision sur les chambres à muons : un élément cible rétroéclairé, une lentille, et un capteur CMOS. L’image de la cible, focalisée par la lentille sur le capteur, renseigne sur la déviation par rapport à une ligne droite des points centraux de ces trois éléments, et donne ainsi une information sur l’alignement des chambres à muons sur lesquelles ces éléments sont montés. En tout, la partie centrale du spectromètre est munie de 5800 lignes optiques, et les bouchons de 6600 lignes optiques. Chaque chambre à muons est par ailleurs munie de capteurs de températures, de manière à connaître leur expansion thermique propre. Une vue du système d'alignement pour la partie centrale du détecteur est montrée sur la figure ci-contre.
La procédure d'alignement
Lors de la construction des chambres à muons et du système optique dans les années 2000, une large campagne de calibrations et de mesures a été menée, de manière à connaître avec une grande précision la géométrie interne des chambres, et les positions des centres des éléments optiques par rapport aux chambres. Cette information est utilisée dans une modélisation du système optique, qui prédit la réponse des capteurs optiques en fonction des positions et déformations des chambres à muons. En comparant cette modélisation aux valeurs effectivement mesurées par les capteurs optiques, par un algorithme de minimisation, il est possible de reconstruire les positions et déformations des chambres à muons. Cette procédure s'appelle l'alignement absolu.
Étant données la complexité et la diversité du système optique, cette procédure d’alignement absolu ne permet pas à elle seule d’atteindre les performances voulues sur l’ensemble du détecteur. Elle doit être combinée avec des informations provenant de muons enregistrés dans des données sans champ magnétique, de manière à reconstruire une géométrie de référence : un alignement précis du spectromètre à un temps donné (celui de la prise de données sans champ magnétique). Le système optique est ensuite utilisé pour mesurer l'évolution de l’alignement au cours du temps depuis l’époque de la géométrie de référence. Il s’agit de l'alignement relatif.
La géométrie de référence
Différentes prises de données de calibration, avec des muons cosmiques ou des collisions du LHC, dédiées à l'alignement du spectromètre sont enregistrées régulièrement par ATLAS, avec le système de champ toroïdal éteint. En effet, dans cette configuration de champ magnétique nul, les trajectoires des muons sont déviées uniquement par leur interaction avec la matière du spectromètre (la diffusion multiple) : la flèche effective réelle des muons est en moyenne nulle, mais sa dispersion est significative et dépend de l'énergie des muons et de la quantité de matière traversée. Ainsi, si une flèche moyenne non nulle est mesurée, cela signale un défaut d'alignement. Une géométrie de référence est reconstruite en utilisant cette information, combinée avec la procédure d'alignement absolu du système optique.
À l'occasion de la reconstruction finale de l’ensemble des données prises par ATLAS au Run2, un nouvel alignement a été produit pour le spectromètre, pour la période 2017-2018 : de nouvelles chambres avaient été installées à différents endroits, et plusieurs chambres à muons avaient été démontées puis remontées. Ces opérations avaient rendu la géométrie de référence imprécise, et une nouvelle reconstruction de l'alignement était nécessaire.
Le point central pour la reconstruction d’un nouvel alignement est la détermination de la géométrie de référence. Cette détermination utilise des muons, d’origine cosmique ou issus de collisions, provenant de deux périodes de prises de données sans champ toroïdal. Des données enregistrées avec champ toroïdal sont aussi nécessaires, pour reconstruire correctement l’alignement par rapport aux autres sous-détecteurs d’ATLAS. Une procédure de reconstruction originale est donc mise en place, qui combine toute la diversité des informations des traces de muon et des capteurs optiques, et où, pour la partie centrale du détecteur, trois alignements sont déterminés simultanément : l’alignement réalisé avec les données cosmiques, celui réalisé avec des données sans champ magnétique, et celui réalisé avec les données avec champ magnétique. Ces trois alignements sont combinés pour obtenir la géométrie de référence. En tout 56000 paramètres sont reconstruits, pour la partie centrale du détecteur !
Cette figure présente, pour chaque tour du spectromètre à muon, la flèche effective des muons enregistrés lors d'un run de collisions d'ATLAS ou le système de champ toroïdal est éteint. Le spectromètre est subdivisé en 16 secteurs, suivant l'angle azimutal ?. Chaque bande jaune a une largeur de ±100µm, et la flèche moyenne de toutes les tours d'un secteur y sont représentées (une flèche nulle est attendue). Les différentes couleurs représentent différentes régions du détecteur (en noir la partie centrale).
Les performances de l'alignement
La figure ci-contre présente la flèche effective des muons enregistrés par ATLAS lors de collisions sans champ magnétique dans le système toroïdal, pour toutes les tours du spectromètre à muons, c’est-à-dire tous les triplets de chambres traversées par des muons: les différents secteurs du spectromètres sont exposés sur l’axe vertical, et pour chaque secteur une bande jaune de taille ± 100 µm est dessinée, et pour chaque tour, la mesure de biais de flèche est ajoutée sur la bande jaune. Bien que dans certains secteurs, des déviations significatives peuvent être observées, une grande majorité des tours présente des flèches proches de zéro. Ces performances mesurées sans champ magnétique sont aussi confirmées par une autre étude menée sur des données prises avec champ magnétique.
En comparant les déviations de flèche effective pour chaque tour du spectromètre à l'erreur statistique de la mesure, des performances moyennes sont estimées pour différentes régions du spectromètre à muons. Par exemple, une performance de 30 µm est atteinte dans les grands secteurs centraux du détecteur, région du spectromètre où l'objectif de performance de l'alignement est le plus strict. Plus généralement, les performances observées de l’alignement sont compatibles avec les objectifs de reconstruction des muons à haute énergie.
Conclusion
Le spectromètre à muon, avec ses dimensions imposantes et son architecture variée, est donc aligné avec une précision globale de l’ordre de 50 µm sur la reconstruction de la flèche effective. Les performances finales de l’alignement sont bien au niveau espéré, et sont utilisées pour reconstruire des muons pour l’expérience ATLAS, avec une très grande qualité.
Contact : Pierre-François Giraud
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• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département de Physique des Particules (DPhP)
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