Collision enregistrée par l’expérience CMS en 2018. Il pourrait s’agir de la production de deux boson de Higgs, un d’entre eux se désintégrant en 2 jets issus de quarks b (cônes violets), l’autre se désintégrant en 2 photons (lignes vertes épaisses en bas à gauche). Les 2 jets additionnels (cônes jaune foncé) sont typiques de la production VBF (cf. texte).
crédit CMS collaboration
La découverte du boson de Higgs en 2012 par les expériences Atlas et CMS au Cern a ouvert une phase de mesures de précision des propriétés du boson de Higgs, clef de voûte du modèle standard (MS) de la physique des particules. En particulier, l’étude de la production de paires de bosons de Higgs (HH) permet de mesurer un paramètre nommé auto-couplage du boson de Higgs, le dernier paramètre du MS encore non mesuré. Cette mesure constitue un test unique du mécanisme expliquant comment les particules acquièrent une masse dans le cadre du MS. Les recherches de la production HH utilisant les données enregistrées entre 2016 et 2018 établissent des contraintes fortes sur la production HH. Grâce entre autres à l’utilisation de méthodes d’analyse avancées, l’étude de ce processus très rare pousse le MS dans ses derniers retranchements. Les résultats ont été publiés dans plusieurs articles (dont un dans la revue Nature parue en juin 2022).
Le boson de Higgs, découvert au Cern en 2012 par les expériences Atlas et CMS, constitue la pierre angulaire du modèle standard (MS) de la physique des particules. Dans le cadre du MS, les masses des différentes particules sont reliées à leur interaction avec le champs de Brout-Englert-Higgs (BEH) via un mécanisme théorique connu sous le nom “brisure de symétrie” et proposé il y a plus de 50 ans par les théoriciens Brout, Englert et Higgs. Le boson de Higgs (H) lui-même résulte de ce mécanisme et sa découverte en 2012 fut donc une forte indication de la validité de cette construction théorique. Par la suite, les différentes mesures des interactions du boson de Higgs avec les autres particules du MS commes les bosons faibles Z, W et les fermions lourds (quarks b, t, leptons tau) ont confirmé les prédictions du MS proposé par Glashow, Salam et Weinberg en 1967.
L’interaction entre particules est appelée un couplage. La figure ci-contre montre un excellent accord entre les valeurs observées et prédites par le MS pour les couplages des bosons Z, W, des fermions top (t), beau (b), tau (τ) et mu (μ) avec le boson de Higgs (H). Certains couplages au boson de Higgs, en particulier pour les fermions légers comme l’électron, sont encore, à ce jour, inaccessibles expérimentalement. L'auto-couplage du boson de Higgs (nommé λ), c’est à dire l’interaction du boson de Higgs avec lui-même, peut être mesuré grâce à la production de deux bosons de Higgs (HH) émis par un boson de Higgs.
Cependant, la production de HH au Grand Collisionneur de Hadrons (Large Hadron Collider ou LHC) prédite par le MS est très rare. En effet, sa probabilité de production (appelée "section efficace") est environ 1000 fois plus faible que celle de la production d'un seul boson de Higgs, qui est déjà 10 milliards de fois plus faible que la probabilité de collision de deux protons. Le principal mécanisme de production est celui de la fusion de gluons (cf. figure a), relié au paramètre λ. Le second mécanisme de production en terme de probabilité (cf. Figure b), 20 fois moins probable, se produit par la fusion de bosons vecteurs Z ou W (VBF), et implique également λ ainsi que le couplage λ2V entre deux H et deux bosons vecteurs, inaccessible autrement.
En conséquence, l'observation de la production de HH telle que prédite par le MS est trop rare pour être accessible avec l’échantillon actuel de données collectées au LHC. Cependant, de nombreux scénarios au-delà du MS (BSM) pourraient entraîner des variations des couplages λ et/ou λ2V par rapport à ceux prédits par le MS, augmentant alors drastiquement la section efficace, d’où l’intérêt de mesurer λ et λ2V dès à présent.
Le boson de Higgs se désintégrant quasi instantanément lors de sa production, les physiciens utilisent les produits de sa désintégration pour rechercher la présence d’une paire HH, on parle de canal de désintégration.
De nombreux canaux de désintégration HH sont explorés au LHC afin de maximiser la sensibilité à ce signal. Le choix de l'état final est un compromis entre un taux de désintégration le plus grand possible et une contamination en bruit de fond la plus faible possible. Étant donné qu'environ 58 % des bosons de Higgs se désintègrent dans une paire de quarks bb, un choix convenable consiste à rechercher les événements où l'un des deux bosons H se désintègre en bb. Ainsi le canal HH→bbbb est le canal de désintégration le plus probable.
Les deux recherches présentées ici sont les plus sensibles à la production HH : la recherche HH→bbγγ et la recherche HH→bbτ+τ-, où l'autre H se désintègre respectivement dans une paire de photons (γγ) et dans une paire de leptons tau (τ+τ-).
Les deux recherches utilisent des collisions proton-proton à une énergie de collision de 13 TeV, produites par le LHC et collectées par l'expérience CMS de 2016 à 2018. Les équipes de l’Irfu ont joué un rôle central dans ces deux recherches. L’expérience CMS a par ailleurs combiné l’ensemble des résultats HH, résultats également présentés ici.
Collision enregistrée par l’expérience CMS en 2016. Il s’agit d’un candidat d’évènement de production de deux boson de Higgs dans l’état final avec des quarks b et des leptons tau.
crédit CMS collaboration
Bien que le taux de désintégration HH→bbγγ soit très faible (de l’ordre de 0.3%), ce canal possède une grande sensibilité, grâce à la qualité de la mesure des photons fournie par le calorimètre électromagnétique (ECAL) de l'expérience CMS. Ainsi l’excellente mesure de l’énergie des photons (avec une précision de l’ordre de 1 à 2 %) permet de réduire le niveau de bruit de fond drastiquement. Le groupe CMS de l'Irfu a joué un rôle clef dans la construction et l'exploitation de ECAL, en particulier dans la calibration de ce détecteur. Le groupe a également joué un rôle moteur dans la découverte (en 2012) et la mesure ultérieure des propriétés du boson de Higgs dans le canal de désintégration γγ.
L'état final HH→bbτ+τ-, quant à lui, possède un taux de désintégration beaucoup plus élevé (environ 7,3%) mais doit faire face à un bruit de fond (évènements ayant une topologie dans le détecteur très similaire à bbτ+τ-) plus important, la reconstruction et l’identification des leptons tau étant un défi expérimental majeur. L’utilisation de ce canal n’est possible que grâce au recours à des techniques de pointe, en particulier en ce qui concerne l’identification des leptons τ: les physiciens ont fait appel à des méthodes sophistiquées d’intelligence artificielle. Ainsi, par rapport aux études précédentes, des améliorations substantielles exploitant l'algorithme d'apprentissage automatique ont été apportées aux algorithmes d'identification des photons, des leptons τ, à la mesure de l'énergie des jets de quark b, ainsi qu’à l'extraction des événements de signal du bruit de fond dominant l'échantillon. Quant à l'interprétation des résultats, l'étude du mécanisme de production VBF a été incluse pour la première fois en complément de celui de production par fusion de gluons. Le mécanisme VBF est caractérisé par la production de deux jets (signalant l’émission de quarks), en supplément de la paire HH.
La Figure du haut montre une signature typique d’un événement candidat VBF (HH→bbγγ) enregistré parmi les collisions collectées en 2018.
Les recherches HH→bbγγ et de type HH→bbτ+τ- concluent que la section efficace de production de HH est inférieure respectivement à 7,7 et à 3,3 fois la prédiction du MS avec un niveau de confiance de 95 %. Afin d’optimiser la sensibilité de la recherche HH, les analyses des canaux HH→bbγγ et HH→bbτ+τ- sont statistiquement combinées avec celles d'autres états finaux HH utilisant le même échantillon de données et analysés par d’autres membres de la collaboration CMS, comme par exemple le canal HH→bbbb. Cette combinaison permet ainsi d’affirmer que la section efficace de production HH, tous canaux confondus, est inférieure à 3,4 fois celle prédite par le MS.
Ces résultats sont réinterprétés pour contraindre la gamme de valeurs autorisées pour les paramètres λ et λ2V. La combinaison des recherches HH menées par CMS permettent de contraindre λ entre -1,24 et 6,49 sa valeur dans le MS et λ2V entre 0,67 et 1,38 sa valeur dans le MS. Ce dernier résultat constitue un jalon historique dans les recherches HH : la valeur de λ2V = 0 étant exclue, l'existence du processus impliquant l'interaction de deux H avec deux bosons vecteurs est établie pour la première fois. Les contraintes sur ces deux paramètres sont présentées sur la figure ci dessous.
Limites supérieures attendues (ligne noire pointillée) et observées (ligne noire pleine) sur les valeurs de section efficace de production HH obtenues pour différentes valeurs du rapport d'auto-couplage de Higgs (κλ, à gauche) et sur les valeurs de section efficace de production VBF HH obtenues pour différentes valeurs de κ2V (à droite). Les paramètres κλ et κ2V représentent le rapport entre la valeur mesurée et celle prédite par le MS, respectivement pour λ et λ2V. Les bandes verte et jaune représentent, respectivement, les extensions d'un et deux écarts-types au-delà de la limite attendue. La ligne rouge en pointillés montre la prédiction théorique en fonction de κλ ou κ2V, lorsque cette ligne est en dessous de la ligne noire pleine, l’expérience n’est pas sensible à cette gamme de valeur des paramètres.
crédit CMS collaboration
En conclusion, les résultats obtenus par CMS montrent une sensibilité accrue par rapport à celle attendue à partir des analyses précédentes, amélioration dûe à l’utilisation de méthodes d’analyse avancées, à l’augmentation du nombre de canaux analysés et de la statistique. Ces résultats ne contredisent pas le MS. Ces nouveaux résultats sont très prometteurs alors que les collisions au LHC ont repris le 5 juillet 2022. Ainsi la quantité de données bientôt disponibles devrait permettre de sonder toujours plus loin le MS en contraignant les paramètres λ et λ2V, λ étant le dernier paramètre du MS encore non mesuré expérimentalement.
Dans un avenir plus lointain, le LHC sera remplacé à partir de 2029 par un nouveau collisionneur, le HL-LHC, et permettra d’accumuler un lot de données 10 fois supérieur à celui disponible à la fin de la prise de données en cours. Cela permettra d'augmenter la sensibilité aux processus très rares tels que la production HH, son observation étant un des enjeux principaux du programme de physique du HL-LHC.
Contacts :
Irfu: Serguei Ganjour, Chiara Amendola
Cern:
- Recherche HH→bbγγ JHEP 03 (2021) 257
- Recherche HH→bbτ+τ- soumise à Physics Letters B et disponible sur https://arxiv.org/abs/2206.09401
- Combinaison des recherches HH: Nature 607, 60–68 (2022)
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• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département de Physique des Particules (DPhP)
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