Les galaxies naines observées dans l’Univers proche, en particulier celles en orbite autour des galaxies massives comme notre Voie Lactée, ont-elles toutes été formées très tôt dans l’histoire de l’Univers comme le supposent les scénarios cosmologiques classiques ? Des chercheurs du Laboratoire d’étude du rayonnement et de la matière en astrophysique (CNRS, Observatoire de Paris, Université Paris-6) et du laboratoire AIM "astrophysique, interactions multi-échelles" (service d’astrophysique du CEA/Dapnia, CNRS et Université Paris-7) viennent de montrer, à l’aide d’un grand nombre de simulations numériques à haute résolution, qu’une fraction non négligeable d’entre elles aurait été produite au cours de collisions relativement récentes entre galaxies massives.
Ces naines, dites "de marée", qui s’apparentent à des galaxies satellites, pourraient contaminer les échantillons statistiques de galaxies naines sur lesquels s’appuient nombre d’études cosmologiques.
Les galaxies massives telles que la Voie Lactée sont entourées de nombreuses galaxies naines satellites. Selon les modèles cosmologiques standards, elles se seraient formées très tôt dans l’histoire de l’Univers à partir de l’effondrement de petites fluctuations primordiales. C’est pourquoi leur nombre et leur distribution spatiale constituent un test important des scénarios cosmologiques. Ils renseignent à la fois sur la structuration de l’Univers et sur la nature des halos de matière noire dans lesquels ils orbitent. Le nombre de galaxies naines trouvées au sein de notre Groupe Local**, bien inférieur à celui prévu, a d’ailleurs suscité de nombreux débats.
Or, des observations effectuées depuis une quinzaine d’années ont mis en évidence un autre scénario sur la genèse des galaxies naines. Lorsque des galaxies spirales entrent en collisions, elles développent par effet de marée de longues « antennes ». De nouvelles galaxies naines peuvent à leur tour se former au bout de ces queues de marée, loin de leurs galaxies d’origine. Toutefois, les observations ne permettent pas de savoir facilement si ces galaxies de seconde génération, appelées « naines de marée », survivent et constituent ainsi une fraction importante des galaxies naines dans l’Univers.
Exemple d'une simulation de collision entre deux galaxies spirales. Chaque image correspond à l'état du système à des moments clefs : à T=0, début de la collision ; à T=300 millions d'années, formation des naines de marée dans les longues queues de marée ; à T=1 milliard d'années, alors que les naines de marée qui ont survécu apparaissent comme des galaxies satellites en orbite autour de leurs galaxies parents qui ont entre temps fusionné. En bas à gauche, zoom sur l'une des naines de marée dévoilant sa structure spirale interne, obtenu avec une simulation à très haute résolution effectuée sur un supercalculateur du CEA. Les couleurs correspondent aux régions dominées respectivement par les vieilles étoiles (rouge) et le gaz interstellaire plus les étoiles jeunes (bleu).
Des chercheurs de l’Observatoire de Paris et du CEA/Dapnia ont utilisé les supercalculateurs du CEA pour simuler de manière réaliste une centaine de collisions entre galaxies spirales (voir figure et film montrant un exemple de collision). Ils ont identifié environ 600 galaxies naines se formant dans leurs queues de marée, et ont pu étudier le devenir de celles-ci. Cette équipe est parvenue à montrer que si une grande partie des naines de marée sont rapidement détruites, environ un quart survit deux milliards d’années voire plus. Elles apparaissent alors comme de nouvelles galaxies satellites orbitant autour de leurs galaxies d’origine longtemps après la fin de la collision.
L’analyse statistique du grand nombre de simulations réalisées a permis de conclure que les naines de marée représentent quelques % du total des galaxies naines de l’Univers. Mais à proximité de galaxies massives, en particulier des elliptiques, cette contribution devient nettement plus importante. De plus, les naines de marée ont alors tendance à se concentrer aux faibles inclinaisons, autour du plan équatorial de leur galaxie parente. Or, une telle distribution spatiale, dite « anisotrope », correspond justement à celle constatée pour les galaxies satellites à partir de l'analyse de grands sondages du ciel. L'existence des naines de marée, difficiles à distinguer des galaxies satellites mais avec une origine totalement différente, est susceptible de fausser les études statistiques de galaxies satellites. Ces études numériques montrent qu’à l’avenir, il faudra donc prendre en compte ces galaxies formées lors de collisions pour mieux définir les scénarios de structuration de l'Univers.
Références :
From Tidal Dwarf Galaxies to Satellite Galaxies ; Bournaud F. & Duc P.-A. ; Astronomy and Astrophysics, in press ; astro-ph/0605350.
**Ensemble des galaxies proches de la nôtre.
Pour en savoir plus :
Contact : Pierre-Alain Duc
• Structure et évolution de l'Univers › Evolution des grandes structures et des galaxies
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu)