L’expérience T2K (Tokai to Kamioka) située au Japon vise à mesurer les oscillations des neutrinos, étonnante propriété qu’ils ont de changer de type selon la distance parcourue. La collaboration internationale T2K vient de choisir d’équiper le détecteur « proche » de l’expérience, installé à Tokai, de chambres Micromegas, inventées au Dapnia. Il aura fallu un an de développements spécifiques et de tests aux ingénieurs-chercheurs et techniciens des services Sédi, SIS et SPP du Dapnia pour démontrer que Micromegas était le meilleur choix pour cette expérience.
L’expérience T2K, qui débutera en avril 2009, veut mesurer avec précision les paramètres décrivant les oscillations du neutrino. En effet, il existe trois types différents de neutrinos, mais cette insaisissable particule passe sans arrêt d’un type à un autre selon un rythme fixé par l’énergie qui lui a été donnée lors de sa création. Selon la distance qui sépare leur détection de leur point de production on trouvera donc plus de neutrinos d’un type que d’un autre.
Les physiciens appellent ces variations continues oscillations et ils disposent d’un jeu d’équations pour en comprendre les mécanismes. Cependant certains paramètres de ces équations restent mal connus, comme le paramètre thêta13 dont on sait seulement qu’il est faible et dont la mesure est l’objectif principal de l’expérience T2K.
De plus, si la valeur du paramètre thêta13 se révélait non nulle, un nouveau champ de recherche serait ouvert sur la compréhension de l’absence d’antimatière dans notre Univers.
Schéma montrant l'oscillation des neutrinos. A Tokai sont produits des neutrinos muoniques, mais une fois arrivé à SuperKamiokande, le faisceau contient principalement des neutrinos du type neutrino tau. A 5000 km les neutrinos muoniques dominent, et une fraction notable de neutrinos électroniques est présente. Cette simulation est faite avec une valeur du paramètre thêta13 relativement faible.
Pour mesurer cette oscillation, un faisceau intense de neutrinos sera créé à partir d’un faisceau très puissant de protons dans le complexe d’accélérateurs JPARC, actuellement en construction à Tokai, au nord de Tokyo, sur la côte Pacifique. Les protons seront envoyés sur une cible faite d’un bloc de métal, produisant un important flux de particules secondaires, des pions, qui se désintègrent en donnant des neutrinos, essentiellement muoniques.
À 280 m de cette cible, un premier ensemble de détection, appelé détecteur "proche", mesurera les propriétés (direction, composition, spectre, flux) du faisceau de neutrinos. Près de 300 km plus loin le faisceau atteindra le détecteur Super Kamiokande, énorme cuve d’eau souterraine de 50 000 m3 dont les parois sont tapissées de 11 200 photomultiplicateurs de grande taille. La comparaison des observations des deux détecteurs permettra de mesurer l’évolution des répartitions de neutrinos de chacun des trois types sur cette distance.
La caractérisation des neutrinos passe par la détection des particules issues de leurs très rares interactions avec la matière. Dans le détecteur "proche" de T2K, les neutrinos interagiront dans deux cibles constituées de fines barres de matériau plastique scintillant. Ces cibles dites actives permettront de détecter l’émission des photons dans les interactions. Des particules électriquement chargées sont également produites lors de ces interactions, et la connaissance de l’énergie et de la trajectoire de toutes ces particules permet de déterminer le type du neutrino qui les a produites. Cette information permet à son tour de déterminer la répartition des différents types de neutrinos à ce point du faisceau.
Pour connaître l’énergie des particules chargées, les physiciens utilisent d’intenses champs magnétiques qui courbent leur trajectoire selon leur impulsion. Le détecteur "proche" sera ainsi placé à l’intérieur d’un grand aimant de quelques mètres d’ouverture déjà utilisé au Cern par les expériences UA1 et Nomad.
La trajectoire de ces particules est mesurée par trois détecteurs appelés TPC, ou chambres à échantillonnage temporel, placés de part et d’autre des cibles. Ces TPC donnent également des informations sur la masse des particules chargées.
Une TPC comporte un grand volume rempli d’un mélange gazeux et soumis à un fort champ électrique et magnétique. Lorsque des particules chargées traversent ce gaz, elles arrachent aux atomes des électrons, qui sont alors canalisés par le champ électrique jusqu’à des plans de détection. Les physiciens peuvent alors reconstruire les trajectoires des particules en trois dimensions à partir des coordonnées des charges déposée sur les plans de détection et du temps mis par les électrons pour y arriver.
Dans les TPC de T2K les plans de détection seront constitués de détecteurs Micromegas. Ces détecteurs, inventés au Dapnia, se présentent sous la forme d’une chambre remplie de gaz, où une grille de quelques dizaines de microns est posée à environ 100 microns d’un plan métallique anode, segmenté en carreaux ou « pads » pour obtenir la localisation spatiale du signal. Grâce à un champ électrique de l’ordre de 40 kV/cm entre grille et anode, les électrons atteignant la chambre créent une micro-décharge électrique et leur signal est ainsi amplifié d’un facteur 1000 à 100 000.
Pour T2K, la construction des chambres Micromegas se fera avec la technologie dite «bulk» qui permet de construire facilement des détecteurs robustes et peu chers permettant de paver de grandes surfaces (de l’ordre de 10 m2) avec très peu de zones mortes (non sensibles).
Cette solution technique a fait l’objet d’une intense activité de R&D. Des détecteurs Micromegas bulk de grande taille ont été testés sur la cage de la TPC de l’expérience HARP au Cern. Ces tests avec des rayons cosmiques, dans des conditions expérimentales très proches de celle de T2K, ont montré de bonnes performances en termes de gain, de stabilité et de résolution spatiale. Ces performances permettront d’atteindre la précision de mesure de l’impulsion des particules attendue dans le détecteur "proche" de T2K, soit 8 % à 1 GeV/c.
Vue du laboratoire JPARC actuellement en construction à Tokai par un consortium entre le KeK (Cern Japonais) et le JAERI (CEA japonais).
Dans T2K, le Dapnia était déjà en charge du système de protection des aimants supraconducteurs de la ligne de faisceau. Avec le choix de Micromegas, le Dapnia prend en charge un ensemble cohérent et crucial, qui va de la détection des électrons d’ionisation jusqu’à la numérisation et au traitement des signaux des TPC. En effet, outre la construction, les tests et l’installation d’une centaine de détecteurs Micromegas, les circuits électroniques d’acquisition (un nouveau circuit intégré et plusieurs cartes d’acquisition) seront réalisés au Dapnia.
Rendez-vous donc en 2009 pour les premières interactions de neutrinos vues par les détecteurs Micromegas et pour les premiers résultats de physique !
Contacts : Marco Zito
Pour en savoir plus :
Scintillations n°38 : Micromegas, un nouveau détecteur de particules.
Un programme java de simulation des oscillations du neutrino
Les autres Faits Marquants du Dapnia traitant de Micromegas :
Quand un Piccolo joue au cœur d’un réacteur
La traque aux axions se poursuit avec Micromegas
• Constituants élémentaires et symétries fondamentales › Physique des neutrinos Structure et évolution de l'Univers
• Le Département d'Électronique des Détecteurs et d'Informatique pour la Physique (DEDIP) • Le Département de Physique des Particules (DPhP)
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