Aujourd'hui, on estime qu'environ 73 % du contenu énergétique de l'Univers provient de l'énergie noire, les 27% restants étant de la matière noire (23 %) et ordinaire (4%). La nature de cette énergie noire responsable de l'accélération de l'expansion de l'Univers est un sujet de recherche brûlant en cosmologie. Son explication la plus simple sous la forme d'une constante cosmologique ne convainc pas tous les physiciens. L'équipe SNLS (Super Nova Legacy Survey) de l'IRFU s'est attachée à confronter un nouveau modèle de gravité modifiée, appelé le Galiléon, aux données de cosmologie les plus récentes issues de différentes observations (SNLS, WMAP, BAO et croissance des structures). Ce modèle fait intervenir un champ scalaire, le Galiléon, médiateur d'une cinquième force qui serait négligeable devant la gravitation au voisinage des corps massifs, mais dominante aux échelles cosmologiques. Ainsi, ce modèle peut s'accorder parfaitement avec tous les tests expérimentaux de la Relativité Générale dans notre Univers local, tout en proposant une explication à l'accélération de l'expansion de l'Univers qui s’observe à grande échelle.
L'équipe de l'IRFU a développé un code d'analyse pour mener cette confrontation du modèle Galiléon aux différentes observations. Les résultats1, publiés dans le journal A&A, montrent que ce modèle alternatif est très prometteur pour comprendre l'évolution de l'Univers. Dans le futur, des mesures du taux de croissance des structures très précises et à des distances lointaines seront déterminantes pour pouvoir distinguer ce modèle de gravité modifiée du modèle de la Relativité Générale d’Einstein.
Quelle est l'origine de l'accélération de l'expansion de l'Univers ? Depuis sa découverte en 1998 par les équipes de Saul Perlmutter, Adam Riess et Brian Schmidt à l’aide de supernovæ lointaines de type Ia, ce fait n'a encore trouvé aucune explication complètement satisfaisante. Au contraire, il a été confirmé avec une précision sans précédent par l’expérience SNLS (Figure 1).
Le nouvel acteur introduit sur la scène cosmique pour expliquer cette observation a été nommé « énergie noire » faute de connaître sa véritable nature. Ce terme regroupe tous les modèles possibles pour expliquer l'accélération de l’expansion de l'Univers: addition d'une constante cosmologique aux équations de la Relativité Générale, modification de cette dernière ou introduction d'un nouveau type d'énergie dans l'Univers. Aujourd'hui, on estime qu'environ 73 % du contenu énergétique de l'Univers provient de l'énergie noire, 23 % de la toujours mystérieuse matière noire et 4 % de la matière ordinaire.
Le plus simple des modèles (appelé ΛCDM) consiste juste à introduire un paramètre supplémentaire dans les équations de la Relativité Générale : la constante cosmologique. Mais, la faible valeur observée de cette constante soulève un plus grand nombre de questions qu'elle n'en résout : pourquoi une valeur non nulle et si petite ? Que nous vivions dans un Univers si particulier semble peu naturel et donc, bien que la constante cosmologique explique bien et simplement l'accélération de l'expansion de l'Univers, cette explication n'est pas aujourd'hui entièrement satisfaisante.
Figure 2 : Dans le plan donné par le coefficient c2 et la densité actuelle de matière dans l’Univers, les contours incluent les valeurs pour lesquelles le modèle du Galiléon a été trouvé compatible à 68.7, 95.4 et 99.7% de niveau de confiance avec l'ensemble des données citées dans le texte. Les régions en pointillés noirs sont interdites théoriquement.
Une alternative consiste à modifier les lois de la Relativité Générale aux échelles cosmologiques. Le modèle du Galiléon a été proposé pour la première fois en 2008. Il s'agit d'un modèle de gravité modifiée, faisant intervenir un champ scalaire, le Galiléon, médiateur d'une cinquième force. Ce modèle ne souffre d'aucun problème théorique, contrairement à d'autres modèles antérieurs. Sa dynamique a l'avantage de pouvoir être décrite par seulement quatre paramètres libres sans dimension c2, c3, c4 et c5, chacun pondérant un des termes d’interaction possibles du champ scalaire. De plus, grâce à un mécanisme astucieux appelé « effet Vainshtein », cette cinquième force est négligeable devant la gravitation au voisinage des corps massifs, mais dominante aux échelles cosmologiques. Ainsi, ce modèle peut s'accorder parfaitement avec tous les tests expérimentaux de la Relativité Générale dans notre Univers local, tout en proposant une explication à l'accélération de l'expansion de l'Univers.
Aujourd'hui, de nombreuses observables cosmologiques existent pour tester le modèle du Galiléon. C'est à cela que le groupe SNLS de l'IRFU s'est attelé dans une publication récente. Les magnitudes apparentes des 472 supernovæ fournies par l'expérience SNLS, les distances issues de l'observation du fond diffus cosmologique par le satellite WMAP (satellite prédécesseur de Planck) ainsi que des oscillations baryoniques acoustiques ont été utilisées pour tester la compatibilité du modèle du Galiléon avec l'histoire de notre Univers. Enfin, comme le Galiléon est un modèle où la gravité est modifiée à grande distance, il est aussi intéressant d'utiliser les mesures du taux de croissance des grandes structures de l'Univers pour contraindre ce qu'a été la gravitation par le passé, et ainsi distinguer le modèle du Galiléon de la Relativité Générale.
Pour confronter le modèle du Galiléon aux données cosmologiques, il a fallu dériver les équations d'évolution de l'Univers et, pour chaque jeu de paramètres, calculer les différentes observables. De plus, des dégénérescences entre les paramètres du modèle existent. Le groupe a montré qu’une redéfinition originale des paramètres du modèle permettait de s’en affranchir et d’obtenir ainsi des résultats fiables. L'équipe de l'IRFU a développé un code d'analyse pour calculer les prédictions de toutes ces observables cosmologiques pour des centaines de millions de combinaisons possibles de c2, c3, c4, c5 et Wm, et confronter ces prédictions aux données (Figure 2). Cela constitue la première contrainte sur le modèle du Galiléon qui utilise de façon rigoureuse les observables données par les expériences de cosmologie les plus récentes.
Figure 3 : Évolution des densités d'énergie dans le cadre du modèle ΛCDM (tirets) et Galiléon (traits pleins) : les deux sont très similaires.
Le résultat de l'équipe de l'IRFU montre que les données favorisent un scénario d'Univers qui ressemble en tout point au modèle ΛCDM (Figure 3) avec une quantité de matière d'environ 27 %, mais avec une croissance des structures plus rapide que dans le modèle ΛCDM. Au final, le χ² obtenu pour le scénario Galiléon le plus compatible aux données est environ égal à celui obtenu dans le cadre d'un modèle ΛCDM avec le même code d'analyse et les mêmes observables cosmologiques. Le Galiléon apparaît donc comme un excellent candidat pour expliquer la nature de l'énergie noire, car il respecte à la fois les contraintes de la gravitation locale grâce à l'effet Vainshtein, est théoriquement viable et s’ajuste aussi bien que le modèle ΛCDM aux données cosmologiques. Pour le moment, la contrainte principale sur le modèle du Galiléon vient du fond diffus cosmologique, mais, dans le futur, des mesures très précises, et à des distances lointaines, du taux de croissance des structures seront déterminantes pour pouvoir distinguer ce modèle de gravité modifiée du modèle ΛCDM.
1Experimental constraints on the uncoupled Galileon model from SNLS3 data and from other cosmological probes, J. Neveu, V. Ruhlmann-Kleider, A. Conley et al., A&A 555, A53 (2013) et arXiv :1302.2786.
Contact : Jérémy NEVEU et Vanina RUHLMANN-KLEIDER
• Structure et évolution de l'Univers
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département de Physique des Particules (DPhP)