09 avril 2013
Les amas de galaxies en froid avec Planck
Le catalogue d'amas de Planck remet en cause la répartition de la masse dans l'Univers

Un des produits phares du satellite Planck (ESA), le catalogue d’amas de galaxies détectés dans les cartes du fond diffus de l'univers, vient d'être mis à la disposition de la communauté scientifique, le 21 mars 2013, en même temps que les premiers résultats cosmologiques du satellite. Basé sur 15 mois d’observation de l’ensemble du ciel aux ondes millimétriques, ce catalogue, qui contient 1227 amas de galaxies, a été établi grâce au rôle majeur des scientifiques du Service de Physique des Particules (SPP) et du Service d'Astrophysique-AIM du CEA-Irfu. Par l'analyse des perturbations que subit la lumière du fond diffus en traversant ces amas, les chercheurs ont pu déterminer de façon indépendante la répartition de matière dans l'univers. Surprise, cette répartition semble différente de celle déterminée à partir du fond diffus lui-même. Une différence qui pourrait s'expliquer par l'existence de neutrinos massifs. Les plus petites des particules dont les masses n'ont pu encore être déterminées pourrait ainsi modifier la répartition de la matière dans l'Univers et influencer la formation des amas de galaxies, les plus gros objets de l’Univers.

 

L'ombre portée des amas

Le fond diffus de l'univers en ondes millimètriques est considérée comme la première lumière de l’Univers, émise peu de temps (380 000 ans) après le Big-Bang. Elle s’est propagée dans l’Univers jusqu’à nous, au cours des 13,8 milliards d’années qui ont suivi, traversant, pendant son voyage, les amas de galaxies. Ces objets, qui rassemblent jusqu'à un millier de galaxies et ont une taille de plusieurs millions d’années-lumière [1], sont considérés composés en moyenne de matière noire (90%), de gaz chaud visible en rayons X (9%) et de galaxies détectables en lumière visible (1%). Le gaz chaud qu’ils contiennent, porté à plusieurs millions de degrés, modifie faiblement la lumière du fond diffus. En effet, lorsque la lumière passe à travers un amas, elle entre en collision avec les électrons du gaz chaud  et leur emprunte une partie de leur énergie. C’est l’effet SZ, pour "Sunyaev-Zel’dovich", noms des deux chercheurs qui ont prédit cette modification pour la première fois à la fin des années 1960. Dans la toile de fond du rayonnement diffus, cette augmentation d'énergie s'accompagne par un "trou" dans le rayonnement de fond de l'univers à une certaine énergie tandis qu'à une énergie un peu plus élevée se trouve un point brillant car la lumière a été décalée. C'est en recherchant cette signature particulière de l’effet SZ dans les cartes de Planck, qu'il est possible de détecter les amas de galaxies même si ils sont "invisibles" quand ils émettent trop peu de lumière.

 
Les amas de galaxies en froid avec Planck

L'effet SZ sur le fond diffus de l'univers. De gauche à droite, les six cartes de l'instrument haute fréquence de Planck centrées sur l'amas Abell 2163. Le gaz chaud de l'amas modifie la lumière du fond diffus cosmologique dans sa direction (tâche rouge au centre de l'image dans les cartes 100 et 143 GHz et tâche jaune dans les cartes 353, 545 et 857 GHz, l'amas est invisible à 217GHz). La méthode d'extraction développée à l'Irfu/SPP permet de reconstruire l'amas (septième figure tout à droite).

Grâce aux méthodes de détection de l'effet SZ mises au point au Service de Physique des Particules (SPP-Irfu) et au Kavli Institute de Cambridge (UK), un catalogue de 1227 candidats amas, distribués sur l’ensemble du ciel, a pu être assemblé.

Cet ensemble représente le plus grand catalogue de sources SZ jamais publié, regroupant des candidats-amas couvrant une large gamme de masse allant de 0,1 à 1,6 millions de milliards de masses solaires, détectables jusqu'à une distance où l'univers n'a que la moitié de son âge actuel. Près de la moitié de ces candidats amas était inconnue avant Planck. Pour vérifier qu'il s'agissait bien d'amas de galaxies un grand programme de validation a été coordonné par le Service d'Astrophysique-AIM du CEA-Irfu et l’Institut d’Astrophysique Spatiale d’Orsay pour mesurer ces nouveaux amas à partir d'observations en lumière visible grâce aux telescopes au sol mais également en rayons X grâce au télescope XMM-Newton qui permet de detecter le gaz chaud des amas. Des 554 nouveaux amas découverts par Planck, 178 ont ainsi déjà été confirmés. Les 366 sources restantes sont, pour l’instant, non identifiées mais contiennent très probablement des amas massifs plus distants encore.

 
Les amas de galaxies en froid avec Planck

Distribution sur le ciel des 1227 candidats amas (points rouges) détectés par Planck. Parmi ces sources, 861 ont été confirmées comme des amas, dont 178 sont des amas nouveaux découverts par Planck; 366 sont encore à confirmer. La bande noire au centre est la Voie Lactée masquée dans l'analyse. Crédit Planck (ESA)

Vagues de matière dans  l'univers

Le grand nombre d'amas de galaxies détectés par Planck permet indirectement de mesurer la quantité et la répartition de matière dans l'univers. Le nombre d'amas en fonction de la distance dans l'univers est en effet une quantité très sensible au contenu en matière de l’Univers et à la façon dont celle-ci est répartie dans l’espace et le temps. En analysant leur catalogue, les chercheurs ont ainsi pu déterminer la fraction de l'univers sous forme de matière, très exactement 29% avec une incertitude de seulement 2%. Cette même quantité peut être déterminée indépendamment par l'analyse du seul rayonnement diffus mesuré également par Planck, elle est alors légèrement plus élevée. Mais surtout la répartition de cette matière ne semble pas identique selon qu'elle est déduite de la répartition des amas ou du fond diffus. La présence de matière produit des fluctuations dans le fond diffus qui sont comme des vagues sur l'eau. Selon l'inventaire des amas, ces vagues devraient être de petite amplitude alors que l'analyse du fond diffus suggère des vagues beaucoup plus hautes.

Pour tenter d'expliquer cette différence, les astrophysiciens ont tout d'abord reconsidéré la méthode par laquelle ils évaluent la masse des amas à partir de l'effet SZ. Cet effet n'est sensible qu'au gaz chaud des amas qui ne représente qu'une partie de la masse totale. Une correction doit alors être apportée pour reconstituer la masse totale. Cette correction, nommée "biais de masse", a été évaluée à partir d'amas bien connus et est estimée de l'ordre de 20%. Pour reproduire la répartition de matière de l'univers déduite du fond diffus, il faudrait que ce biais atteigne environ 45%. L'hypothèse reste possible mais relativement extrême. Cette situation amène aujourd'hui les astrophysiciens à une autre solution possible.

 
Les amas de galaxies en froid avec Planck

Répartition de la masse des amas de galaxies détectés par Planck sur l'ensemble du ciel (points noirs) en fonction de la distance (mesurée par le décalage vers le rouge, un décalage de 1 correspond à une distance de 8 milliards d'années-lumière). Comparés aux amas détectés par les télescopes au sol (SPT et ACT télescopes, cercles et carrés), Planck détecte des amas plus massifs à grande distance. Cette répartition des amas permet de contraindre la masse de matière dans l'univers. Crédit Planck (ESA)

L'hypothèse des neutrinos massifs ?

Les vagues du fond diffus et des amas pourraient être reconciliées si les particules les plus abondantes de l'univers, les neutrinos avaient une masse non nulle. Dans le modèle standard des particules, le neutrino (dont il existe trois variétés) est prédit comme une particule de masse nulle. Mais la découverte à partir 1998 des "oscillations" de neutrinos conduit aujurd'hui les physiciens à considérer des extensions du modèle standard dans lesquelles les neutrinos pourraient avoir une masse faible mais non nulle.

L'écart de masse des amas pourrait-il être dû à ces neutrinos massifs ? Les scientifiques de la collaboration Planck ont calculé que pour réconcilier leurs mesures, il faudrait que la masse des neutrinos soit environ deux millions de fois plus faible que celle de l'électron. La plus petite des particules pourrait ainsi expliquer la formation des plus grosses structures de l'univers.

Cette explication, encore hypothétique, pourra sans doute être précisée dans un avenir proche. En effet, les résultats actuels de Planck ne sont basés que sur les 15 premiers mois de la mission. A partir de mi-2014, l'ensemble des données couvrant 28 mois sera publié. Le gain attendu sur le nombre d’amas, allié à une meilleure compréhension de la physique des amas de galaxies, pourrait enfin permettre d'atteindre la masse de la plus insaissisable des particules.

 

Contacts : Monique ARNAUD , Jean-Baptiste MELIN , Gabriel PRATT

Publication :
Planck 2013 results. XXIX. Planck catalogue of Sunyaev–Zeldovich sources
Collaboration Planck, dans la revue Astronomy & Astrophysics, pour une version électronique : http://arxiv.org/abs/1303.5089

Planck 2013 results. XX. Cosmology from Sunyaev–Zeldovich cluster counts
Collaboration Planck, dans la revue Astronomy & Astrophysics, pour une version électronique : http://arxiv.org/abs/1303.5080

 

voir aussi :  "Planck découvre d'étonnants amas de galaxies" (janvier 2011)
                  "Découverte d’un superamas grâce au « rayonnement fossile » (16 septembre 2010)
                  "Le satellite européen Planck achève son premier tour de ciel" (24 mars 2010)"

 

 


Notes :

[1] 1 année-lumière= 9 460,895 milliards de kilomètres

 
#3286 - Màj : 02/02/2015

 

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