Dans le cadre d’une compétition européenne pilotée par l’Agence spatiale européenne (ESA), des détecteurs IR dotés d’un système de lecture spécifique ont atteint des performances proches des besoins des futures missions d'astrophysique spatiales. La conception, réalisation et mise en œuvre de ces détecteurs, fruit d’une étroite collaboration entre le CEA (DRT/LETI et DSM/Irfu-Service d'Astrophysique) et la société Sofradir, marque une étape pour la création de grands plans focaux des prochaines missions spatiales comme par exemple la mission Euclid récemment sélectionnée. La démarche suivie s'inscrit dans la volonté de l'ESA de doter l'Europe d’une filière industrielle pour la fourniture de détecteurs infra-rouge performants. L'équipe du Service d’Astrophysique conduite par Olivier Boulade a, en apportant moyens techniques et expertises, fortement contribué à ces résultats prometteurs présentés à l'automne 2011 dans plusieurs conférences internationales.
Les alliages de Mercure, Cadmium et Tellure (HgCdTe ou MCT) fournissent un matériau de choix pour la réalisation de détecteurs de photons semi-conducteurs dans le domaine spectral de l’infra-rouge, de 1 à 20 microns en longueur d’onde. Ces détecteurs sont maintenant couramment utilisés dans le spatial dans le cadre des programmes portant sur l'observation de la Terre, la météorologie, la télédétection… En revanche, les détecteurs à base de MCT actuellement disponibles en Europe ne répondent pas aux besoins identifiés des futures missions d’astrophysique spatiale : grande résolution spatiale, grand format, faible courant d’obscurité [1], faible bruit de lecture [2].
Les seuls détecteurs infra-rouge actuellement disponibles pour l’astrophysique spatiale sont nord-américains, ce qui pose un certain nombre de problèmes : faible nombre de fournisseurs, coûts élevés, licences d’exportation,… Côté européen, les détecteurs disponibles ont un format trop petit, un courant d’obscurité et un bruit de lecture trop élevés.
L’Agence spatiale européenne a donc initié une série de développements technologiques dans le but de fournir un détecteur infra-rouge qualifié spatial dans le domaine de longueur d’onde 1 à 2 microns, au format 2Kx2K (détecteur de 2000x2000 pixels). Une collaboration regroupant le CEA/LETI, la Sofradir et le CEA/IRFU/SAp s’est attelé à la fabrication et à la caractérisation d’un premier prototype.
Le premier développement financé par l’ESA avait pour objectif la mesure des performances (rendement quantique et courant d’obscurité) du matériau MCT seul. Comme le niveau de courant spécifié était extrêmement faible (0.1electron/s/pixel), la collaboration LETI/Sofradir/SAp a choisi de développer un détecteur complet, incluant une matrice de diodes MCT au format 384x288 fournie par le LETI, hybridée sur un circuit de lecture très faible bruit développé par Sofradir.
Habitué à la spécificité des caractérisations de détecteurs pour l’astronomie (détecteurs cryogéniques, très faible flux de photo-électrons, très bas bruit de lecture), le Service d'Astrophysique (SAp) a naturellement pris en charge les mesures de courant d’obscurité. Un cryostat, développé au SAp dans le cadre du projet JWST/MIRIM, et permettant une étanchéité totale à la lumière, a été adapté pour recevoir les prototypes de détecteurs. Le SAp a également développé une électronique externe très bas bruit, spécifiquement conçue pour s’adapter au circuit de lecture Sofradir, ainsi que le logiciel de contrôle du détecteur et d’acquisition des données. Les performances des détecteurs prototypes sont extrêmement encourageantes : avec un courant d'obscurité de 0.3 e-/s/pixel à 100K et un bruit de lecture de 13 e- (pour une cadence de lecture de 50kHz), ces prototypes approchent d'emblée l’état de l’art actuel (0.01 e-/s/pixel à 77K, 13 e- à 100kHz).
Courbes de courant d'obscurité obtenues lors de ces tests. Chaque courbe décrit l'évolution du courant d'obscurité avec la température pour chaque variante technologique testée. A la température de fonctionnement requise (100K), les meilleurs prototypes atteignent un courant de 0.3 e-/s/pixel, pour un besoin (spécification requise par l’ESA) de 0.1 e-/s/pixel. Les mesures aux plus basses températures ont nécessité des temps de pose de 5 heures, ce qui a été rendu possible par l’excellente stabilité thermique du banc de test, avec une régulation de la température au 1/1000 de degré (Crédit CEA).
Le développement suivant voulu par l’ESA est la réalisation d’un détecteur complet, au format minimum de 512x512 pixels, aboutable, avec l’idée de disposer d’une architecture permettant la réalisation de grands plans focaux par mosaïquage de détecteurs de format 1Kx1K, voire 2Kx2K. Au vu des résultats déjà obtenus, la collaboration CEA-Sofradir vient d'être sélectionnée pour cette phase suivante, qui se terminera au printemps 2013. A terme, l’Europe devrait pouvoir ainsi disposer d’une filière industrielle pour la fourniture de détecteurs infra-rouge grand format, permettant d’envisager leur utilisation pour les futures missions spatiales de l’ESA. En particulier, une telle solution pourrait servir d’alternative à la fourniture de détecteurs infra-rouge américains pour la mission Euclid, mission dont l’ESA vient de décider l’implémentation avec un lancement prévu à l’horizon 2019.
Contact : (CEA)
« Ultra low dark current CdHgTe FPAs in the SWIR range at CEA and Sofradir. »
O. Gravrand, L. Mollard, O. Boulade, V. Moreau, E. Sanson, and G. Destéfanis.
A paraître dans les Proceedings of SPIE Remote Sensing (2011). Télecharger l'article fichier pdf (210 Ko)
« Infrared ROIC for very low flux and very low noise applications. »
B. Fièque, E. Sanson, L. Martineau, P. Chorier, O. Boulade, V. Moreau, and H. Geoffray.
A paraître dans les Proceedings of SPIE Remote Sensing (2011). Télecharger l'article fichier pdf (440 Ko)
Voir également : " Infrarouge: des cristaux HgCdTe aux microbolomètres ", revue Clefs CEA, N. 54, Automne 2006
Notes :
[1] Le courant d'obscurité est la génération d'un signal d'origine thermique, interne au détecteur. Tous les détecteurs à base de semi-conducteurs sont sujets à cet effet, qui rajoute un signal parasite au signal utile fourni par la détection des photons en provenance des sources astrophysiques (étoiles, galaxies, ...). Dans la gamme de longueur d'onde considérée et à la température de fonctionnement envisagée, le besoin requis par l'ESA est d'obtenir un courant d'obscurité inférieur à 0.1 e-/s pour des pixels de 15 microns de côté. Les meilleurs détecteurs actuels arrivent à 0.01 e-/s/pixel à 77K.
[2] Le bruit de lecture est une erreur liée à la mesure du signal généré par le détecteur. Le besoin requis par l’ESA est d'obtenir un bruit de lecture inférieur à 18 e- pour une cadence de lecture de 100kHz. Les meilleurs détecteurs actuels arrivent à 13 e-.
Rédaction: Olivier Boulade, Christian Gouiffès
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