Un nouveau détecteur Micromegas vient d’être développé à l’Irfu : pour la première fois, la micro?grille et l’anode sont segmentées en pistes, dans des directions perpendiculaires. Ce détecteur offre ainsi une vraie structure 2D pour la reconstruction des trajectoires des particules chargées. De plus, ayant une masse très faible, il est parfaitement adapté à des mesures en faisceau de neutrons moyennant l’utilisation d’un convertisseur. Le détecteur a été testé avec succès et est dorénavant utilisé comme profileur transparent du faisceau de neutrons de l’expérience n_TOF au CERN.
Motivation expérimentale
La probabilité d’une réaction nucléaire est directement reliée à une grandeur appelée « section efficace». Il est très important de connaître la valeur de cette quantité pour plusieurs types de réactions nucléaires avec une grande précision, afin de faire avancer la recherche fondamentale et ainsi mieux comprendre les mécanismes de réactions nucléaires, la création des éléments dans les étoiles (nucléosynthèse stellaire), etc. Elle joue de plus un rôle décisif au niveau des possibilités d’applications, comme dans le domaine de la production d’énergie nucléaire, en médecine ou encore pour l’analyse de la structure et de la composition de la matière. Lors d’une mesure de section efficace, le nombre d’événements détectés est proportionnel au flux de particules incidentes à la surface de la cible, au nombre de noyaux présents dans la cible, à la section efficace elle-même et à l’efficacité du système de détection. Pour obtenir des sections efficaces précises il est donc indispensable d’estimer chacun de ces facteurs avec la meilleure précision possible.
Le projet n_TOF
La collaboration n_TOF (neutron Time-Of-Flight) au CERN est une collaboration internationale qui a pour but la mesure précise des sections efficaces de réactions nucléaires induites par neutron. Ces données sont importantes notamment pour l’amélioration des réacteurs nucléaires actuels et futurs ainsi que pour l’astrophysique nucléaire. La mesure précise des réactions nucléaires induites par neutrons est délicate car il est difficile d’estimer les caractéristiques des faisceaux de neutrons, notamment leur flux et leur profil, du fait que ce sont des particules neutres.
Les neutrons sont détectés de manière indirecte en ajoutant un convertisseur, qui contient des noyaux avec lesquels les neutrons interagissent suivant des sections efficaces élevées et bien connues (comme 10B(n,a), 6Li(n,a), 235U(n,f)). Le flux de neutrons arrivant sur le convertisseur est déterminé en comptant les produits de ces réactions. Le profil du faisceau est obtenu en reconstruisant la distribution des points d’impact des neutrons sur le convertisseur. L’installation d’un détecteur de profil dans le faisceau risque de perturber ce dernier et de générer du bruit de fond. Il est donc critique, lors du développement de détecteurs servant à caractériser le faisceau de neutrons, de minimiser la quantité de matière pour qu’ils puissent rester en permanence dans le faisceau sans perturber l’expérience. En outre, pour des mesures par temps de vol, comme celles effectuées à n_TOF, le détecteur doit fournir les caractéristiques du faisceau en fonction de l’énergie des neutrons incidents.
Fig. 1: Schéma du détecteur Micromegas. Pour la détection des neutrons un convertisseur est utilisé et les produits des réactions nucléaires des neutrons avec les noyaux du convertisseur ionisent le gaz du détecteur.
Le nouveau détecteur Micromegas
Le SPhN et le SÉDI, en collaboration avec le CERN et la collaboration RD51 ont développé un nouveau système de ce type, basé sur la technologie Micromegas. Micromegas est un détecteur gazeux composé de deux régions séparées par une micro-grille (Fig. 1):
• la région de dérive où le gaz est ionisé par la particule à détecter
• la région d’amplification où les électrons primaires produits dans la région de dérive sont amplifiés et le signal ainsi généré, lu sur l’anode et/ou sur la micro-grille.
Le détecteur Micromegas, inventé et développé au SÉDI, est aujourd’hui couramment utilisé dans des expériences de physique nucléaire et de physique des particules. Sa très grande polyvalence lui permet d’être utilisé pour la détection de la matière noire, de rayons X ou de particules chargées, dont les fragments de fission nucléaire. De plus, une très bonne résolution en position peut être obtenue en augmentant la segmentation des anodes (pixels, micro-pistes). La technologie Micro-bulk permet d’avoir un détecteur très robuste, de très faible radioactivité et en même temps de très faible masse et transparent aux neutrons.
La micro-grille et le plan d’anode sont obtenus par gravure chimique d’une fine feuille de Kapton (25?50 µm) recouverte sur les deux faces par 5 µm de cuivre. La nouveauté de ce détecteur réside dans le fait que ces deux électrodes, segmentées en pistes perpendiculaires, offrent une lecture bidimensionnelle avec le minimum de matière possible (Fig. 2).
La surface de détection est de 6x6 cm2, divisée en 60x60 pistes de 1 mm de large. La segmentation en pistes de la micro-grille a été effectuée pour la première fois par des techniques de gravure chimique. Le point délicat de ces techniques a consisté au bon alignement des zones des trous de la micro-grille avec les pistes d’anode afin de minimiser les zones mortes du détecteur. La segmentation retenue a permis d’obtenir une bonne résolution de la mesure de la charge déposée, quasiment similaire à un détecteur à micro-grille non segmentée.
Le système d'acquisition
Le système d’acquisition choisi est basé sur la puce AGET (Asic for General Electronic for Time projection chamber), qui offre la possibilité de travailler en mode auto-déclenché et enregistre la différence en temps entre les pistes touchées par un signal, permettant de reconstruire la trace de la particule ionisante et rejeter le bruit de fond après analyse des données. Des cartes de protection des circuits AGET contre les potentielles décharges électriques du détecteur ont été développées par le SÉDI. Ces cartes permettent aussi l’alimentation des pistes de la micro-grille, la lecture des électrodes segmentées ainsi que le suivi des signaux de l’anode pour la mesure en ligne du flux du faisceau.
Le système a ensuite été testé en laboratoire sous rayons X par les équipes du SPhN et du SÉDI, et l’image d’un masque de cuivre a été reconstruite avec succès (Fig. 3).
Mesure du profil de faisceau
Après un test sous faisceau de neutrons auprès de l’installation GELINA (GEel LINear Accelerator) à l’IRMM (Institute for Reference Materials and Measurements, Belgique) qui a permis d’optimiser la partie électronique du système, le détecteur a été installé auprès de la source n_TOF au CERN où le faisceau de neutrons est produit par spallation d’un faisceau de protons pulsé de 20 GeV/c sur un bloc de plomb. Les neutrons sont produits dans toutes les directions, avec un spectre en énergie qui couvre neuf ordres de grandeur, et sont exploités dans 2 aires expérimentales différentes. L’EAR-1 se trouve à une distance de ~185 m de la cible de spallation et offre une très bonne résolution sur l’énergie de neutron (?E/E = 10-4 à 1 eV et 10-2 à 1 GeV) et un haut flux instantané de faisceau, de l’ordre de 7×105 neutrons/impulsion. L’EAR-2 se trouve à 20 m au-dessus de la cible de spallation et offre un faisceau ~25 fois plus intense, mais avec une moins bonne résolution en énergie. Le profil du faisceau obtenu à l’EAR-2, avec un convertisseur de 6Li est présenté sur la Fig. 4, et confirme les caractéristiques prévues par les simulations Monte Carlo.
Le nouveau détecteur est maintenant opérationnel et utilisé comme moniteur en ligne du profil de faisceau de neutrons à n_TOF. Il ne gêne pas les expériences grâce à sa transparence aux neutrons et peut rester ainsi en permanence dans le faisceau. Ce système basé sur la technologie Micro-bulk (faible radioactivité et quantité de matière) présente une bonne résolution en énergie, permet la reconstruction de la trajectoire des particules et une discrimination efficace entre le signal et le bruit de fond. Ces caractéristiques pourraient être utiles aux expériences exigeantes, telles que celles associées à la recherche de la matière noire ou de la décroissance double-beta sans émission de neutrinos.
Contacts:
• Détection des rayonnements › Détecteurs pour la physique des 2 infinis Structure de la matière nucléaire › Dynamique des réactions nucléaires › MPGD Activities
• Le Département d'Électronique des Détecteurs et d'Informatique pour la Physique (DEDIP) • Le Département de Physique Nucléaire (DPhN)
• Laboratoire d'études et d'applications des réactions nucléaires (LEARN)
• nTOF