image symbolisant la structure complexe du protons composée de quarks et de gluons liés par l'interaction forte
Des physiciens du service de physique nucléaire (SPhN) membres de la collaboration du Hall A au Jefferson Lab (USA), étudient la structure des protons composés de quarks et de gluons décrite par les distributions de partons généralisées. Pour cela un faisceau d'électrons avec une énergie de plusieurs gigaélectronvolts est envoyé sur une cible d'hydrogène liquide. L'électron interagit avec le proton en échangeant un photon, un grain de lumière, qui va nous dévoiler la structure du proton.
Leader de l’analyse des données, les physiciens du SPhN, en collaboration avec ceux de l'Institut de physique nucléaire d'Orsay (CNRS), ont étudié pour la première fois la probabilité de production d’un pion neutre issu de l’interaction entre le photon et le proton, en fonction de l'énergie de l'électron incident. En faisant la mesure avec 2 énergies incidentes, nous changeons les propriétés du photon et c'est comme si nous observions le proton sous un autre angle. En croisant les deux prises de vue, on obtient une information plus complète sur ce que l'on observe. Pour la première fois au monde, notre résultat indique que l’on accède aux distributions de parton généralisées dites de « transversité », qui demeuraient expérimentalement inaccessibles [1]. La production de pions neutres permet donc de photographier une face du proton qui jusqu'alors nous était cachée.
Comment photographier un proton?
Les distributions de partons généralisées (GPDs) décrivent les corrélations entre la position des quarks et gluons dans le plan transverse du proton et la fraction d’impulsion longitudinale du proton qu’ils portent. Un programme expérimental actif accompagne des progrès théoriques récents qui laissent entrevoir un calcul de GPDs à partir des premiers principes de la chromodynamique quantique.
Au Jefferson Lab, dans le Hall A, nous faisons interagir un faisceau d’électrons avec des protons ; plus exactement l’électron et le proton échangent un photon. Ce photon a une longueur d’onde suffisamment petite pour interagir avec un quark à l’intérieur de ce dernier, et non pas le proton dans son ensemble.
Pour étudier les GPDs, il faut alors mesurer la section efficace d’interactions entre photon et proton qui produisent une particule (photon [2], pion,…) tout en laissant le proton intact. Pour continuer notre analogie entre la photo et notre expérience, la particule produite agit un peu comme un filtre sur l’objectif de l’appareil photo: en fonction de la particule produite, nous serons plus ou moins sensibles à différentes saveurs de quarks ou à différentes GPDs. |
Toutefois ce gain d’information a un inconvénient : lorsque nous étudions la production d’un méson (aussi fait de quarks), il faut déconvoluer la structure du proton et la structure du méson qui n’est pas exactement connue.
Dans le cas de la production d’un méson pion neutre, des mesures récentes de sections efficaces (probabilité d’occurrence) sont un ordre de grandeur supérieur aux prédictions théoriques. Ces dernières considéraient uniquement la contribution dominante de la section efficace dans la limite d’un photon de longueur d’onde infiniment petite, hypothèse très souvent appliquée pour les expériences au Jefferson Lab. Cette contribution provient de la composante de polarisation longitudinale du photon.
Fig. 1 : Distribution bidimensionnelle de l’énergie de masse des deux photons (ordonnée) et du bilan d’impulsion de la réaction : Le signal de la production exclusive de pion neutre est net à l’intersection des lignes en pointillés, signalant la masse du pion en ordonnée et la masse du proton au carré en abscisse.
Des théoriciens ont donc émis l’hypothèse que la structure du pion pouvait faire office de « loupe » pour la polarisation transverse du photon et ainsi amplifier la contribution de cette dernière. De plus, la fonction de filtre/loupe du pion neutre pour la polarisation transverse du photon nous permettrait d’étudier expérimentalement des GPDs jamais accédées jusqu’à présent.
Méthode expérimentale
Nous avons mesuré la section efficace en changeant la polarisation du photon, ce qui se réalise en changeant l’énergie des électrons incidents : C’est ce qu’on appelle une séparation de Rosenbluth. Cette méthode est extrêmement sensible aux incertitudes expérimentales, c’est pourquoi l’expérience fut réalisée dans le Hall A du Jefferson Lab : on peut y atteindre des luminosités instantanées qui sont 10000 fois supérieures à celle du LHC et on y dispose de spectromètres de haute résolution diminuant les incertitudes de mesure.
Le faisceau d’électrons est envoyé sur une cible d’hydrogène liquide. L’électron diffusé est détecté par un des spectromètres de haute résolution, ce qui nous permet de déterminer avec grande précision l’impulsion de notre photon virtuel interagissant avec le proton. Le pion neutre produit se désintègre instantanément en deux photons qui sont détectés par un calorimètre électromagnétique, l’identification s’effectuant avec un bilan d’énergie des deux photons (Fig. 1). Enfin le proton de recul n’est pas détecté mais un bilan d’impulsion permet de sélectionner les collisions pour lesquelles on a eu production exclusive de pions.
Résultats et comparaison avec un modèle
En accord avec les prévisions théoriques initiales, la réponse longitudinale est trouvée petite (points bleus fig. 2) , compatible avec zéro dans nos incertitudes. La réponse transverse quant à elle (points rouges) représente l’intégralité du signal observé alors que cette contribution était supposée supprimée vis-à-vis de la réponse longitudinale.
Suivant une suggestion théorique récente [3], une telle mesure apparait alors comme le moyen privilégié d’accéder aux GPDs dites « de transversité », qui demeuraient une face cachée du proton. |
Fig. 2 : Section efficace de production de pions neutres pour un photon polarisé transverse (rouge) et longitudinal (bleu), en fonction du moment transféré au proton. Les bandes représentent les incertitudes induites par l’expérience. Les lignes représentent les prévisions théoriques [3].
[1] M. Defurne et al. (Jefferson Lab Hall A), soumis à Phys. Rev. Lett, arXiv :1608.01003.
[2] M. Defurne et al. (Jefferson Lab Hall A), Phys. Rev. C92, 055202 (2015), arXiv:1504.05453.
[3] S. V. Goloskokov and P. Kroll, Eur. Phys. J. A47, 112 (2011).
Contact: M. Defurne
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