Comprendre le processus de formation d'étoiles est une question ouverte majeure de l'astrophysique contemporaine. C'est en effet le processus qui contrôle l'évolution des galaxies depuis leur naissance, transformant progressivement leur gaz interstellaire en étoiles et l'enrichissant en éléments lourds et grains de poussière. C'est aussi la formation d'étoiles qui est à l'origine de la formation des systèmes planétaires et de l'apparition de la vie. Ce processus est cependant complexe et encore très mal compris. Il implique en effet la compréhension d'une série d'instabilités hydrodynamiques amenant à l'effondrement d'un nuage moléculaire, dans lequel la gravité, le champ magnétique et la chimie jouent un rôle central. De plus, la rétroaction, c'est à dire le rayonnement ionisant et le vent des étoiles massives nouvellement formées, a pour effet de détruire le reste du nuage moléculaire et d'ainsi inhiber la formation d'étoiles au bout de quelques millions d'années. Cette rétroaction est un élément clef, mais il est encore mal compris.
Une équipe internationale, incluant deux chercheurs du DAp/LFEMI, vient de publier un article dans l'Astrophysical Journal (Wong et al., 2022, ApJ, 932, 47) éclairant sous un nouveau jour le processus de rétroaction stellaire. Cette étude se concentre sur la nébuleuse de la Tarentule (aussi connue sous le nom de 30 Doradus), dans le Grand Nuage de Magellan. C'est la région de formation massive d'étoiles la plus intense du groupe de galaxies local. En effet, il naît, en moyenne, une étoile tous les trois ans, dans un rayon de seulement 500 années-lumière autour de l'amas stellaire principal, R136. Cette équipe a obtenu des observations du gaz moléculaire, avec l'interféromètre millimétrique ALMA. Les molécules étudiées sont le 12CO et son isotopologue1, le 13CO. La molécule de 12CO est la molécule la plus étudiée par les astrophysiciens, car c'est la seconde la plus abondante, après le H2 qui, lui, ne possède pas de raies d'émission à basse température. Quant au 13CO, il permet de sonder les régions plus denses des nuages moléculaires.
1 Un isotopologue est une molécule dont un des atomes est remplacé par son isotope. (source : https://www.futura-sciences.com/)
Image composite de la nébuleuse de la Tarentule (ou 30 Doradus). L'émission stellaire, que l'on voit en bleu, est une observation du VLT, dans le domaine visible. Les nébulosités roses proviennent d'observations VISTA, dans l'infarouge proche. Les filaments jaunes et rouges sont les observations millimétriques de la molécule de CO avec ALMA.
Crédit : ESO, ALMA (ESO/NAOJ/NRAO)/Wong et al., ESO/M.-R. Cioni/VISTA Magellanic Cloud survey. Acknowledgment: Cambridge Astronomical Survey Unit. Fichier original : https://www.eso.org/public/images/eso2209a/. Publié sous licence CC-BY-4.0.
Les observations obtenues, exceptionnelles par l'étendue du champ cartographié et par leur profondeur, ont permis de montrer qu'il restait du gaz moléculaire, dans la région centrale de la Tarentule. Ces nuages ont une structure filamentaire (image ci-dessus), similaire à ce que l'on peut observer dans la Voie Lactée (voir par exemple un fait marquant précédent à ce sujet). Les conditions physiques de ce gaz moléculaire indiquent qu'il est encore partiellement autogravitant et pourrait donc continuer à former des étoiles, malgré la présence de l'amas d'étoiles massives qui devrait résulter en un environnement inhospitalier dominé par une grande turbulence et une faible densité. Il se pourrait que l'on observe ici un état transitoire rapide avant que les structures moléculaires ne soient dispersées et détruites. Ces données ont également permis de mettre en évidence la présence d'une composante moléculaire diffuse résiduelle qui pourrait être la partie visible d'une composante de gaz sombre (voir un fait marquant précédent à ce sujet).
Contact : Suzanne Madden
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