03 mai 2024
Des chercheurs cartographient la météo sur une planète située à 280 années-lumière grâce au James Webb

Une équipe internationale de chercheurs, dont fait partie le CEA, a utilisé le télescope spatial James Webb de la NASA pour cartographier la météo de la géante gazeuse chaude WASP-43 b.
Des mesures en infrarouge moyen obtenues avec l’instrument MIRI, combinées à des modèles climatiques 3D et à d’autres observations suggèrent la présence de nuages épais et denses du côté nuit, un ciel dégagé du côté jour, et des vents équatoriaux atteignant jusqu'à 8 000 km/h, mixant les gaz atmosphériques autour de la planète.
Cette étude démontre les avancées de la science des exoplanètes grâce aux capacités uniques du JWST à mesurer les variations de température et à détecter les gaz atmosphériques à des centaines d’année-lumière de nous.
Cette étude fait l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue Nature Astronomy.

 
Jupiter chaud lié par effet de marée

WASP-43 b est une exoplanète de type "Jupiter chaud" (Figure 1). De taille similaire à Jupiter et principalement composée d'hydrogène et d'hélium, elle est beaucoup plus chaude que les géantes gazeuses de notre propre système solaire, en raison de sa proximité avec son étoile, à moins de 1/25e de la distance entre Mercure et le Soleil.

Avec une orbite aussi serrée, la planète est gravitationnellement bloquée par effet de marée, présentant ainsi toujours la même face à son étoile. Elle a donc un côté continuellement illuminé et l'autre dans l'obscurité permanente. Toutefois, même si le côté nuit ne reçoit jamais de radiation directe de l'étoile, des vents atmosphériques orientés vers l'est transportent la chaleur du côté jour.

Depuis sa découverte en 2011, WASP-43 b a été observée avec de nombreux télescopes, dont les télescopes spatiaux Hubble de la NASA et Spitzer qui n’est plus en service.

"Avec Hubble, nous pouvions clairement voir qu'il y a de la vapeur d'eau du côté jour. Tant Hubble que Spitzer ont suggéré qu'il pourrait y avoir des nuages du côté nuit," a expliqué Taylor Bell, chercheur à la BAER Institute et auteur principal de cette étude. "Mais nous avions besoin de mesures plus précises du JWST pour commencer vraiment à cartographier la température, la couverture nuageuse, les vents et la composition atmosphérique plus détaillée tout autour de la planète."

 
Des chercheurs cartographient la météo sur une planète située à 280 années-lumière grâce au James Webb

Figure 1 – Vue d’artiste de l’exoplanète géante gazeuse WASP-43 b située à environ 280 années-lumière dans la constellation du Sextan.
Crédits : NASA, ESA, CSA, Ralf Crawford (STScI)

Des chercheurs cartographient la météo sur une planète située à 280 années-lumière grâce au James Webb

Figure 2 - Courbe de phase du système WASP-43, obtenue par le spectromètre MIRI à basse résolution (LRS) du télescope spatial James Webb pendant 24h. La courbe de phase montre le changement de luminosité du système WASP-43 au fil du temps, lorsque la planète tourne autour de son étoile. Le système apparaît le plus lumineux lorsque le côté chaud de la planète fait face au télescope, juste avant et après son passage derrière l'étoile. Le système s'assombrit au fur et à mesure que la planète poursuit son orbite et que le côté nuit est visible par rotation. Il s'éclaircit à nouveau après être passé devant l'étoile, lorsque le côté jour revient dans le champ de vision.
Crédits : Image : NASA, ESA, CSA, Ralf Crawford (STScI) ; Science : Taylor J. Bell (BAERI), Joanna Barstow (Open University), Michael Roman (University of Leicester).

Cartographier la température et déduire la météo

La courte période orbitale de WASP-43 b, seulement 19,5 heures, en fait un candidat idéal pour la spectroscopie en courbe de phase, qui consiste à mesurer la variation de luminosité du système étoile-planète pendant que la planète orbite autour de l'étoile. Cette technique permet de cartographier la température à la surface de toute la planète.

En effet, la température d'un astre est étroitement liée à la quantité de lumière qu'il émet. Pour mesurer la lumière émise par la planète, on calcule la différence entre la luminosité de l'étoile seule (lorsque la planète est cachée derrière elle) et la luminosité combinée de l'étoile et de la planète (lorsque la planète est visible).

L'instrument MIRI, optimisé pour l’infrarouge moyen (de 5 à 12 microns), du JWST est un outil parfait pour cette technique car, d'une part, une planète émet principalement dans cette gamme spectrale du fait de sa température intrinsèque, et d'autre part, il faut que l’instrument soit suffisamment sensible pour détecter des différences de luminosité de l'ordre de quelques parties par million, soit 40 parties par million (0,004 %) dans le cas de WASP-43 !

L'équipe a donc pointé MIRI vers WASP-43 afin de mesurer la lumière du système toutes les 10 secondes pendant plus de 24 heures, soit un peu plus que le temps nécessaire à WASP-43 b pour faire le tour de son étoile. La Figure 2 montre le résultat des quelques 8 000 mesures prises dans l’infrarouge moyen.

 

 

"En observant sur toute une orbite, nous avons pu calculer la température des différents côtés de la planète lorsqu'ils entrent en vue," a expliqué Bell. "À partir de là, nous avons pu construire une carte approximative de la température à travers la planète."

Les mesures montrent que le côté jour a une température moyenne de près de 1 250°C tandis que le côté nuit est significativement plus froid avec 600°C (cf. Figure 3). Les données aident également à localiser le point le plus chaud de la planète (le "point chaud"), qui est légèrement décalé vers l'est par rapport au point qui reçoit le plus de radiation stellaire (le « point substellaire »), là où l'étoile est la plus haute dans le ciel de la planète. Ce décalage se produit en raison des vents supersoniques, qui déplacent l'air chauffé vers l'est.

"Le fait que nous puissions cartographier la température de cette manière est un véritable témoignage de la sensibilité et de la stabilité de Webb," a déclaré Michael Roman, co-auteur de l'Université de Leicester au Royaume-Uni.

Pour interpréter la carte, l'équipe a utilisé des modèles atmosphériques 3D complexes similaires à ceux utilisés pour comprendre la météo et le climat sur Terre. L'analyse montre que le côté nuit est probablement recouvert d'une épaisse couche nuageuse à haute altitude qui empêche une partie de la lumière infrarouge de s'échapper dans l'espace. En conséquence, le côté nuit - bien que très chaud - semble plus sombre et plus froid qu'il ne le serait s'il n'y avait pas de nuages.

 
Des chercheurs cartographient la météo sur une planète située à 280 années-lumière grâce au James Webb

Figure 3 - Ce graphique présente la variation de la température à la surface de l'exoplanète géante gazeuse WASP-43 b. Le côté jour possède une température moyenne d'environ 1250°C, tandis que celle du côté nuit est d'environ 600°C. Cette différence de température s'explique par le fait que la planète présente toujours la même face à son étoile, mais également par d'autres facteurs comme la vitesse du vent et la présence de nuages. Des modèles atmosphériques 3D complexes révèlent que le point le plus chaud de la planète n'est pas directement sous l'étoile, mais décalé d'environ 7 degrés vers l'est en raison de forts vents équatoriaux déplaçant l'air chaud à l'horizontale avant qu'il ne puisse rayonner de l'énergie vers l'espace. Ces vents transportent la chaleur vers le côté nuit, bien que ce dernier apparaisse tout de même trop froid, probablement en raison de nuages qui retiennent l'énergie thermique.
Crédit : Image : NASA, ESA, CSA, Ralf Crawford (STScI) ; Science : Taylor J. Bell (BAERI); Joanna Barstow (Open University); Michael Roman (University of Leicester)

Des chercheurs cartographient la météo sur une planète située à 280 années-lumière grâce au James Webb

Figure 4 – Ce graphique compare les molécules attendues et observées dans l'atmosphère de l'exoplanète WASP-43 b, de jour comme de nuit. Comme attendu, la vapeur d'eau est présente des deux côtés, contraignant l'épaisseur des nuages et leur altitude dans l'atmosphère. Cependant, l’absence de méthane dans l'atmosphère, surtout du côté nuit, étonne car étant plus frais, il devrait exister. Les chercheurs expliquent cette absence par des vents extrêmement rapides, atteignant au moins 8000 km/h, qui empêchent la formation de méthane du côté nuit à des seuils détectables par le JWST.
Crédits : NASA, ESA, CSA, Ralf Crawford (STScI), Joanna Barstow (Open University).

Méthane manquant et vents forts

Le large spectre de lumière en infrarouge moyen (de 5 à 12 microns) capturé par le James Webb a également permis de mesurer la quantité de certaines molécules dans l’atmosphère de la planète WASP-43 b.

"Webb nous a donné l'opportunité de déterminer exactement quelles molécules nous observons et de mettre des limites sur les abondances," a déclaré Joanna Barstow, co-auteur de l'Open University au Royaume-Uni.

Les spectres montrent des signes clairs de vapeur d'eau tant du côté nuit que du côté jour de la planète, fournissant des informations supplémentaires sur l'épaisseur des nuages et leur altitude dans l'atmosphère.

Cependant, les données montrent l’absence de méthane dans l'atmosphère. Du côté jour, cela n’est pas étonnant car il y fait trop chaud pour que la molécule puisse exister (la majeure partie du carbone devrait être sous forme de monoxyde de carbone). Toutefois, elle devrait être stable et détectable du côté nuit car plus frais.

"Le fait que nous ne voyions pas de méthane nous indique que WASP-43 b doit avoir des vitesses de vent atteignant environ 8000 km/h" explique Barstow. "Si les vents déplacent assez rapidement le gaz du côté jour vers le côté nuit et vice versa, il n'y a pas assez de temps pour que les réactions chimiques attendues produisent des quantités détectables de méthane du côté nuit."

L'équipe pense qu'en raison de ce mélange induit par le vent, la chimie atmosphérique est la même tout autour de la planète, ce qui n'était pas évident d'après les travaux précédents avec Hubble et Spitzer.

 

 

Contacts : Elsa Ducrot, Pierre-Olivier Lagage

Article : Taylor Bell et al. 2024

 

 

 

 

 
#5252 - Màj : 03/05/2024

 

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