18 avril 2008
CPT ? pas brisé !
L'invariance de Lorentz à l'épreuve de l'expérience BaBar

L’expérience BaBar qui se déroule auprès de l’accélérateur PEP-II au SLAC (Californie) prend des données depuis dix ans et a accumulé une telle quantité d’événements qu’elle permet de sonder les aspects les plus subtils à mettre en évidence du modèle standard de la physique des particules et de la théorie quantique des champs. En analysant au fil du temps les systèmes particule-antiparticule de mésons B produits en abondance, une équipe de chercheurs à laquelle participe l’Irfu/SPP a pu ainsi montrer que puisque l’Univers ne présentait pas de direction privilégiée, l’invariance de Lorentz, pierre de touche de la physique moderne, était bien respectée. Cette analyse originale se rapproche conceptuellement de la fameuse expérience de Michelson et Morley qui a démontré l’invariance de la vitesse de la lumière.

 

Invariance de Lorentz et théorème CPT
Dans sa théorie de la relativité restreinte, Einstein a révolutionné nos conceptions de l'espace et du temps en mettant en lumière les symétries sous-jacentes du monde qui nous entoure. Les lois de la physique demeurent les mêmes partout dans l'univers et pour tous les observateurs. Qu'une expérience soit effectuée dans un laboratoire situé ici sur Terre ou sur une planète lointaine, orientée vers le nord ou le sud, qu'elle soit réalisée il y a trois ans, aujourd'hui ou dans dix ans, elle aboutira toujours aux mêmes résultats. Ce principe de relativité permet de garantir que la description d'un objet sera identique quels que soient le moment où on l'observe, sa position, sa direction et sa vitesse (tant que celle-ci demeure constante). Or c'est cette invariance que les physiciens nomment parfois « symétrie », ou plus exactement « invariance de Lorentz», en l'honneur du physicien néerlandais Hendrik Antoon Lorentz qui à la fin du XIXe siècle introduisit et formalisa ce principe pour expliquer le résultat de l’expérience de Michelson-Morley qui démontrait l’invariance de la vitesse de la lumière.
L’invariance de Lorentz est associée à une autre « symétrie » fondamentale en physique des particules, la symétrie CPT, qui es le « produit » de 3 symétries fondamentales : C est la transformation qui associe son antiparticule à toute particule, P celle qui lui associe son image dans un miroir et T celle qui renverse le sens du temps. Le fameux « théorème CPT », démontré par Wolfgang Pauli, établit un lien entre la l’invariance de Lorentz et la symétrie CPT. Schématiquement, une « violation » de la symétrie CPT impliquerait une violation de l’invariance de Lorentz. A ce jour, aucune expérience n’a pu mettre en évidence une violation de la symétrie CPT, comme le prévoit d’ailleurs le modèle standard de la physique de particules.
Il y a près de 20 ans, Alan Kostelecký a proposé que cette symétrie de notre espace-temps fût peut-être imparfaite à des distances infinitésimales de l’ordre de la longueur de Planck, distance à laquelle la gravité, négligeable d'ordinaire à l'échelle subatomique, devient aussi importante que les trois autres interactions (faible, forte et électromagnétique). Ceci introduirait une direction privilégiée dans l’Univers et briserait alors l’invariance de Lorentz. Kostelecký a suggéré un certain nombre d’expériences qui pourraient mettre en évidence la violation de la symétrie de Lorentz et de la symétrie CPT. L’une d’entre elle concerne les systèmes particule-antiparticule et peut être réalisée dans le cadre de l’expérience BaBar.

 
CPT ? pas brisé !

Figure 1. Asymétrie ACPT pour des événements de type « dilepton » en fonction du temps sidéral. La courbe bleue correspond à l'ajustement recherchant une éventuelle modulation qui serait une indication de violation de l'invariance de Lorentz.

Tester la symétrie de Lorentz dans l’expérience BaBar
Depuis dix ans, l’expérience BaBar, auprès du collisionneur électron-positron PEP-II du SLAC (Californie), constitue un véritable laboratoire mettant à l’épreuve les symétries dans le système des mésons B0 et
B0, particules et anti-particules composées d’une paire de quarks, respectivement (quark d, anti-quark b) et (anti-quark d, quark b). On peut, par exemple, tester la symétrie CPT en comparant l’évolution au fil du temps des deux processus symétriques par CPT, B0 B0 et B0 B0 Cette étude se fait avec des événements contenant deux leptons (électron ou muon) de charges opposées issus de la désintégration des mésons B. Selon que le lepton de charge positive a été produit en premier ou en second, on détermine lequel des 2 processus il convient de considérer. On peut alors construire la quantité ACPT — l’asymétrie —, qui doit être nulle ci CPT est une « vraie » symétrie.
Dès 2006, en utilisant une méthode mise en œuvre par les physiciens de l’Irfu/SPP, l’expérience BaBar avait publié dans Physical Review Letter un article qui concluait à l’absence globale de la violation de la symétrie CPT dans ces systèmes de mésons. Cependant, il restait intéressant de tester les idées d’Alan Kostelecký plus avant. Comme dans sa théorie, il existe une direction privilégiée, il semblait naturel de voir si cette asymétrie était constamment nulle en fonction de la direction de désintégration des B0 par rapport à un référentiel absolu. Cette asymétrie pourrait en effet, être nulle en moyenne mais présenter une modulation sur une période correspondant à un jour sidéral (durée au bout de laquelle l’expérience BaBar revient à la même position par rapport à un repère absolu). La figure 1 représente la distribution de l’asymétrie ACPT en fonction du temps sidéral. L’ajustement (courbe bleue) trouve une légère modulation qui reste statistiquement compatible avec un effet nul (droite rouge). Par conséquent, le fameux modèle standard tient toujours bon !

 

Pour compléter cette étude, une autre méthode, issue de la recherche d’étoiles variables dans l’expérience Eros, a été proposée par Alain Milsztajn. Elle consiste à utiliser une technique de périodogramme qui a l’avantage de pouvoir balayer une large gamme de périodes variant de quelques heures à quelques mois. Cette méthode a tout de suite montré que le périodogramme du nombre d’événements « dilepton » enregistrés par BaBar présentait deux pics correspondant exactement à des fréquences d’un jour solaire et d’une semaine (voir figure 2). C’est un phénomène bien connu des physiciens des particules : la prise de données est toujours plus efficace la nuit et le week-end, quand les experts des détecteurs se reposent… Plus sérieusement, la figure 3 montre le périodogramme associé à ACPT pour les événements de type « dilepton » de charges opposées. On n’observe aucun pic significatif et particulièrement dans la région située autour d’un jour sidéral. Cette méthode confirme donc l’absence de violation de l’invariance de Lorentz déjà observée.

 
CPT ? pas brisé !

Figure 2. Périodogramme portant sur le nombre d'événements de type « dilepton » détectés. On observe 2 pics correspondant à des fréquences de 1/semaine et de 1/jour.

CPT ? pas brisé !

Figure 3. Périodogramme des événements de type « dilepton » de charges opposées. Les fréquences correspondant à un jour solaire et un jour sidéral sont indiquées par un triangle dans l'encart.

Cette analyse menée en collaboration avec l’université d’Irvine (Californie) vient d’être publiée dans Physical Review Letter. Même si elle ne met pas en évidence une violation de l’invariance de Lorentz, cette étude n’en reste pas moins intéressante et originale car elle marie des techniques de physique des particules et d’astronomie. Enfin, nous tenons à préciser que l’originalité de la méthode utilisée tient beaucoup à Alain Milsztajn qui nous a quittés trop tôt, l’été dernier.

 

 

Contacts : Christophe YECHE et Georges VASSEUR , Irfu/SPP

 

 
#2439 - Màj : 17/03/2010

 

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