30 mars 2013
Corrélations et asymétrie proton-neutron
Corrélations et  asymétrie proton-neutron

Figure 1: Télescopes du détecteur MUST2 utilisés pour l'expérience au GANIL.

 

De nouveaux résultats expérimentaux permettent de tester l’hypothèse de couches nucléaires pour les noyaux atomiques éloignés de la vallée de la stabilité nucléaire. Alors que des travaux antérieurs aboutissent à des conclusions contradictoires, nos mesures de transfert récentes effectuées au GANIL montrent une faible dépendance des corrélations avec l’asymétrie proton-neutron en accord avec les meilleurs modèles ab initio de structure du noyau. Elles plaident en faveur d’un effort théorique pour traiter structure et réaction dans un modèle unique pour obtenir une image consistante du noyau atomique, quel que soit le mécanisme de réaction envisagé.

 

 

Le modèle en couches du noyau

Formellement semblable au modèle en couches atomique, le modèle en couches nucléaire a rencontré de nombreux succès, notamment dans la description des noyaux atomiques au voisinage des nombres magiques nucléaires. Le noyau y est décrit par l’occupation de couches en énergie, remplies successivement lorsque le nombre de nucléons augmente. L’occupation des couches par les nucléons passe brutalement de 1 pour les couches les plus profondes en énergie à 0 pour les couches les moins liées dans le puits. Seules quelques couches, dites de valence, peuvent être partiellement remplies ou partiellement vides.

Cette image simple est perturbée dans la réalité par l’existence de corrélations entre les nucléons qui tendent à vider partiellement les couches pleines et remplir les couches vides. Des corrélations ont été observées expérimentalement dans les noyaux stables, comme 16O et 208Pb, avec une réduction du remplissage des couches de 30 à 40% par rapport aux prédictions du modèle en couches. Elles sont interprétées comme (i) l’effet de diffusions à grand moment causées par la partie très répulsive à courte portée de l’interaction nucléaire, (ii) l’existence de composantes de vibration collective du noyau, deux effets non pris en compte dans le modèle en couches usuel.

 
Corrélations et  asymétrie proton-neutron

Figure 2: Les corrélations sont mesurées par le désaccord entre la section efficace mesurée et la section efficace calculée à partir du modèle en couches et d'un calcul de mécanisme de réaction de transfert. Les nouvelles mesures (en rouge) concernent le transfert vers l'état fondamental de l'azote 13 et son premier état excité ainsi que vers l'état fondamental de l'oxygène 13. Le désaccord (Rs voisin de 0.6 au lieu de 1) entre l'expérience et la théorie basée sur le modèle en couches est compatible avec notre connaissance des noyaux stables.

Qu'en est-il des noyaux très éloignés de la stabilité ?

 

Qu’en est-il lorsqu’on s’intéresse à des noyaux éloignés de la vallée de stabilité nucléaire? Récemment, des calculs ab initio, sans paramètre phénoménologique d’ajustement, ont montré une légère dépendance de ces corrélations avec l’asymétrie neutron-proton des noyaux que l’on peut caractériser par ΔS, la différence de l’énergie de liaison d’un proton et de celle d’un neutron [1]. C’est l’étude de cette dépendance qui a été entreprise expérimentalement depuis quelques années à l’IRFU/SPhN. Ces corrélations peuvent être sondées par la mesure des sections efficaces de certaines réactions nucléaires.

 

Les deux types de réactions nucléaires étudiés

Deux types de mécanisme de réaction ont été utilisés, correspondant à des domaines d’énergie incidente bien distincts.

Le premier type de mécanisme concerne l’arrachage d’un nucléon (ou knockout) autour de 100 MeV/nucléon. Le modèle utilisé pour décrire cette réaction suppose un arrachage adiabatique, sans excitation du reste du projectile. Une étude systématique effectuée aux Etats-Unis [2] a montré une très forte dépendance des corrélations avec l’asymétrie : les noyaux avec une forte asymétrie ΔS=20MeV subiraient des corrélations si fortes que l’occupation des couches de valence serait réduite de 75% par rapport au modèle en couches! Ce résultat est très surprenant, mais il mélange une information de structure et une interprétation du mécanisme de réaction. L’équipe du SPhN a montré les limites d’un modèle de réaction adiabatique pour comprendre les réactions d’arrachage de nucléons [3]. Elle a également montré que l’accord avec les données pouvait être amélioré en prenant en compte explicitement les excitations des noyaux produits au cours de la réaction, ce qui est justement au-delà de l’approximation adiabatique [4].

L’équipe du SPhN a voulu aborder cette question en utilisant un autre type de réaction étudié depuis de nombreuses années : le transfert d’un nucléon à plus basse énergie incidente. La mesure du transfert d’un proton peu lié 14O+d→13N+3He et d’un neutron très lié 14O+d→13O+t  a été effectuée en 2009 au GANIL avec un faisceau de 14O produit à 18 MeV/nucléon par la machine SPIRAL. Le noyau de 14O présente une forte asymétrie ΔS=19 MeV. L’expérience a été effectuée avec l’ensemble de télescopes MUST2 [5] (voir Fig. 1) et le spectromètre magnétique VAMOS, deux systèmes de détection en partie développés à l’IRFU, en collaboration avec des équipes de l’IPN Orsay et du GANIL.

 

L’analyse des mesures récentes effectuées au GANIL (points rouges de la figure 2)  n’indique qu’une très faible ou aucune dépendance des corrélations avec l’asymétrie neutron-proton. Ces résultats sont en accord avec les théories ab initio modernes et en désaccord avec la forte dépendance observée dans l’étude américaine précédente. La réduction moyenne de ≈40% entre l’expérience et la théorie basée sur le modèle en couches est en accord avec notre connaissance des noyaux stables. Ces résultats sont  publiés dans Physical Review Letters [6].

 

contact : A. Obertelli et A. Gillibert

 

[1] A. Gade et al., Phys. Rev. C 77, 044306 (2008).
[2] O. Jensen et al., Phys. Rev. Lett. 107, 032501 (2011).
[3] F. Flavigny et al., Phys. Rev. Lett. 108, 252501 (2012).
[4] C. Louchart et al., Phys. Rev. C 83, 011601(R) (2011).
[5] E.C. Pollacco et al., Eur. Phys. J A 25, 287 (2005).
[6] F. Flavigny et al., Phys. Rev. Lett. 110, 122503 (2013).
 

 

 
#3287 - Màj : 11/09/2017

 

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