08 février 2017
Atlas observe pour la première fois la réaction de diffusion de photons γ+γ→γ+γ

La réaction à 4 photons :  γ+γ→γ+γ est théoriquement possible comme prédit dès 1936,  mais cette réaction a toujours été inaccessible malgré les dizaines de tentatives expérimentales. L’intérêt de mesurer son taux de réaction est qu’il est lié aux propriétés du vide quantique. C’est dans ce contexte que l’expérience Atlas a annoncé en 2016 sa première observation, obtenue avec des données enregistrées fin 2015 correspondant à environ 4 milliards de collisions de physique (toutes réactions confondues) en ions plomb contre plomb à 5 TeV. Un physicien de l’Irfu/SPP a dirigé l’équipe qui a réalisé cette mesure, dont la publication vient d'être soumise à Nature Physics.

 

 

Quand les champs intenses « tordent » le vide qui les modifie à son tour…

 

En électromagnétisme, deux ondes émises par des sources incohérentes entre elles n’interfèrent pas. La réaction γ+γ→γ+γ n’est donc pas possible. Cependant, au tout début de l’électrodynamique quantique (QED), en 1936, Heisenberg et Euler (l’un de ses étudiants) ont réalisé que cette réaction devient possible en considérant que les champs électromagnétiques (EM) eux-mêmes peuvent polariser le vide lorsqu’ils sont suffisamment intenses. Les équations EM sont alors modifiées par des termes non-linéaires dans les champs. Ce sont ces termes qui rendent possible la réaction recherchée : en effet, le vide polarisé (du fait des champs EM) agit sur les champs qui agissent sur le vide et ainsi de suite.

 

Ce mécanisme admet une traduction directe en QED en faisant intervenir une boucle d’électrons-positrons. La section efficace de la réaction : γ+γ→γ+γ, est alors d’ordre 4 en αEM, la constante de couplage électromagnétique, ce qui induit une section efficace attendue très faible d’environ 1/10000 d’une réaction standard en QED, même en champs EM très intenses (plus grands que 1018 V/m). C’est là que se situe toute la difficulté de cette mesure. Avec des lasers, il semble que les difficultés technologiques soient insurmontables à ce jour. C’est pourquoi cette réaction n’a jamais été observée.

 

 

 
Atlas observe pour la première fois la réaction de diffusion de photons γ+γ→γ+γ

Diagramme en QED de la réaction ?+???+? au LHC. Le carré au centre de l’image représente la boucle d’électrons-positrons.

Atlas observe pour la première fois la réaction de diffusion de photons γ+γ→γ+γ

Un événement candidat pour la réaction à 4 photons : on distingue les 2 photons émis (pour une masse invariante des 2 photons émis de 24 GeV). Les 2 ions Pb, en collision périphérique, ne laissent aucune trace visible dans les détecteurs. En effet, seuls entrent dans la réaction les champs EM des ions Pb incidents (voir texte), représentés sur la figure comme : E[k1] et E[k2]. Les 2 photons émis sont également représentés par leurs champs EM : E[k3] et E[k4]. L’événement illustre ainsi clairement la réaction : ?[k1]+?[k2]??[k3]+?[k4].

Les ions lourds au LHC, il fallait y penser…

 

C’est alors que les physiciens de la collaboration Atlas ont pensé à utiliser les collisions d’ions lourds plomb (Pb) contre plomb. Cette idée n’est pas évidente a priori. Les collisions d’ions lourds à haute énergie au LHC provoquent très généralement une très grande multiplicité de particules, lorsque les ions Pb entrent en contact. Ceci étant, il existe une propriété très importante des particules chargées ultra-relativistes qui est à la base de l’idée explorée dans Atlas : ces particules (ions lourds à hautes énergies) produisent  un champ EM qui est localement un champ d’onde plane (perpendiculairement à leurs lignes de vol). Ainsi, imaginons deux ions Pb (82 protons) arrivant en sens opposés avec un paramètre d’impact assez grand (c’est-à-dire qu’ils se frôlent), alors les ions Pb ne sont pas en collision frontale mais leurs champs EM respectifs (de l’ordre de 1025 V/m) peuvent interagir. De plus, et c’est un élément essentiel, les ions Pb ressortent alors de cette « collision » intacts ou quasi-intacts. C’est le principe de la mesure.

 

La collision frontale est évitée, donc il n’y aura pas production de plusieurs centaines de particules issues de la rencontre des ions Pb, mais les champs EM sont bien en interaction, comme on le souhaite. La prise de données a eu lieu fin 2015. En collisions Pb-Pb au LHC, les événements ont été sélectionnés selon les critères suivants : les ions Pb ressortent intacts de la collision, l’état final ne présente aucune activité hadronique donc les événements comporte exactement deux photons, et ces photons sont émis presque dos à dos. Avec une luminosité intégrée de 480 μb-1 (1 barn = 1 x 10-24 cm2), soit environ 4 milliards d’événements de physique toutes réactions confondues en collisions Pb-Pb, l’équipe a été capable d’isoler 13 événements candidats pour la réaction à 4 photons, pour un bruit de fond résiduel de 2.6 ± 0.7. Cela constitue la première observation pour ce processus avec une signification statistique de 4.4 σ. La section efficace de cette réaction à 4 photons dans le domaine cinématique accessible à l’analyse  a aussi été mesurée, soit : 70 ± 20 (stat.) ± 17 (syst.) nb [1, 2]. Elle est en bon accord avec la prédiction de QED qui est : 49 ± 10 nb. Les incertitudes, mêmes théoriques, sont encore grandes car jamais la théorie n’a été testée dans cette configuration.

 

 

 

L’enquête continue

 

Ces résultats ont été présentés pour la première fois à la conférence Hard Probes 2016, en Chine le 23 Septembre. Les collisions photon-photon dans le contexte décrit ci-dessus présentent de nombreux intérêts, qui dépassent le cadre de la physique des particules. Par exemple, elles pourraient donner accès aux propriétés du vide. C’est pourquoi, ce travail a été proposé à la revue Nature Physics, une première pour les publications d’ATLAS. Pour conclure, notons également que plus de données dans les prochaines années permettront de nouvelles percées, en recherchant par exemple des effets de nouvelle physique avec cette catégorie d’événements.

 

Contact : Laurent Schoeffel

[1] ATLAS Collaboration 2016, http://xxx.lanl.gov/pdf/1702.01625v1 soumis à Nature Physics .

[2] Courrier du CERN, 11 Nov. 2016, ATLAS spots light-by-light scattering.

 
#3892 - Màj : 23/05/2018

 

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